Article rédigé par , le 28 septembre 2012
C’est une volée de bois vert que lance le très sévère ancien ministre de l’économie, libanais et chrétien Georges Corm, à l’adresse des étudiants en économie, gestion et finances du monde entier, de leurs professeurs et de leurs mentors de tous poils.
«Dieu se rit des gens qui déplorent les maux dont ils chérissent les causes» enseignait Bossuet. L’évêque de Meaux ne pourrait qu’abonder dans le sens des propos de l’auteur d’un Proche-Orient éclaté (1956-2000) [1] toujours prompt à détecter tant en politique étrangère qu’en politique économique et monétaire l’origine du mal. Il n’y aucune raison d’espérer le dépérissement, si ce n’est l’infortune idéologique à moyen terme des politiques économiques et financières mises en œuvres par les gouvernements des états occidentaux et, au premier chef, par la volonté insistante et arrogante des organes directeurs de l’Union européenne et regroupés sous le vocable d’ultra-libéralisme, s’il n’est pas mis fin à l’endoctrinement de ceux, encore en herbes, qui se feront forts, naïfs et ardents à la fois, une fois sortis de leurs écoles, de le propager à leur tour, de le mettre en actes. Les différents libéralismes, chacun, sont des doctrines. Les mots d’enseignement et de doctrine ont une racine étymologique commune. Le libéralisme, qui n’est au reste pas à coup sûr celui de nos anglais du XVIIIème [2], qui subordonne l’économie réelle à l’économie virtuelle, qui déconnecte celle-ci de celle-là plus encore en abandonnant la relation monnaie/étalon (étalon-or, bimétallisme ou autre adossement), qui prône à la fois et comme un oxymore ignoré le «marché libre et non faussé» et la dérégulation tous azimuts, oui, ce libéralisme là est bien devenu en économie l’horizon indépassable de notre temps (pour reprendre une formule que Sartre appliquait au marxisme.) Si les morts qu’il engendre (dont il faut compter les morts spirituelles) sont sans doute moins nombreuses et sanglantes que celles dues à la juste (ou injuste, la question est débattue) observance de la doctrine de l’auteur du Capital, le libéralisme actuel, quel que soit sa filiation intellectuelle et son intitulé, n’en est pas moins une doctrine enseignée dans les MBA du monde entier. C’est une matière sans foi, ni loi ; c’est une matière qui nie la validité du droit chez elle ; c’est une matière qui ne veut connaître que sa propre loi. Il est bien évident que son anomie et son amoralisme, larvés quand ils ne sont pas revendiqués, confinent à l’immoralisme. Mais cette matière continue à être enseignée comme si elle allait de soi. Et, en effet, elle procède bien de l’homme, mais de ce qu’il y a de plus mauvais en lui puisqu’elle propage l’égoïsme, l’individualisme, le matérialisme, le mépris du pauvre. Elle est positive, ou plutôt devrait-on dire, positiviste. Elle est comme saint Thomas apôtre : elle ne croit que ce qu’elle peut toucher. Si elle condescendait à s’y intéresser, elle se mettrait à abhorrer Thomas d’Aquin. Elle ne pense qu’à son petit bonheur présent. Pourtant, fussent-ils indignés, bien des étudiants ne jurent que par elle… et ne voient pas la contradiction.
Il faut donc en revenir à un enseignement de toutes les doctrines économiques et monétaires nous dit Georges Corm et en finir avec l’institutionnalisation du libéralisme actuel présenté comme la seule et unique doctrine économique encore valable, viable, vivable et digne d’ être enseignée alors qu’elle porte en elle tout à l’inverse.
Au reste, il existe un lien entre cet enseignement économique et comptable là et les sciences politiques. Car la financiarisation de l’économie mondialisée et mondialiste contient et porte en elle la volonté consciente de destruction des Etats et des nations. C’est ce qui se déduit entre autres de l’article de ce volume rédigé par le non moins sévère Alain Joxe consacré aux Guerres sans fin ou, en tous cas, sans autre fin que celle ci-dessus soulignée.
Georges Corm et Alain Joxe sont, en sciences politiques, des classiques , à la différence des autres contributeurs de ce volume qui ont pour point commun de faire beaucoup plus confiance à la société civile et aux individus pour réformer le monde. C’est peut-être là, réalisme oblige, une des raisons pour laquelle leurs arguments nous parurent enracinés dans l’expérience et que nous nous sommes intéressés à leurs personnes.
Hubert de Champris
[1] La Découverte puis Folio/Histoire.
[2] lire en rubrique Le Fil notre recension de Jean-Claude Michéa, Le complexe d’Orphée – La Gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès, Climats.
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