Article rédigé par Roland Hureaux, le 27 septembre 2012
La question du mariage entre personnes du même sexe est d'abord une affaire de raison.
A Dijon, le premier ministre Jean-Marc Ayrault, défendant le projet de loi sur l’ouverture du mariage aux homosexuels, en réponse aux interventions de plusieurs évêques et d’autres autorités religieuses non catholiques, a cru bon de dire qu’ « aucune religion ne peut s’imposer à tous ».
Il témoigne ainsi d’une singulière confusion de pensée, qui n’est d’ailleurs pas absente non plus de certaines personnalités religieuses, car il ne s’agit pas d’abord d’une question religieuse.
A l’appui de son projet, Ayrault croit bon d’en appeler à la laïcité : "La France est une République laïque qui garantit la liberté de conscience et le libre exercice des cultes, qui respecte les convictions religieuses et philosophiques, mais aucune ne peut s'imposer à tous. Le mode de vie des Français ne peut être soumis à aucune spiritualité. »
A aucune spiritualité, non, mais à la morale universelle, à la morale laïque, oui.
Contrairement au dogme, la morale n’est nullement fondée sur le relatif (sinon les « droits de l’homme » n’auraient aucun sens !) Même si elle appelle un débat afin d’en préciser le contenu - et nous ne demandons que cela ! - la morale doit réunir les hommes indépendamment de leurs croyances métaphysiques.
L’idée d’une morale qui transcende les dogmes, d’une « morale laïque », est issue de la loi naturelle des scolastiques. Mais la philosophie des Lumières, Voltaire en tête, l’a faite sienne.
La morale laïque, Jules Ferry, dans sa célèbre circulaire aux instituteurs du 18 septembre 1883, la définit comme « cette bonne et antique morale que nous avons reçue de nos pères et mères et que nous nous honorons tous de suivre dans les relations de la vie, sans nous mettre en peine d’en discuter les bases philosophiques. » Et l’illustre homme politique républicain d’ajouter :
« Au moment de proposer aux élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve à votre connaissance un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire, sinon, parlez hardiment : car ce que vous allez communiquer à l’enfant, ce n’est pas votre propre sagesse ; c’est la sagesse du genre humain, c’est une de ces idées d’ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l’humanité. »
Est-il utile de dire qu’avec le projet de mariage homosexuel, nous nous trouvons aux antipodes de la laïcité ainsi définie ?
On pourrait même ajouter que si un Jules Ferry, un Gambetta avaient entendu quelqu’un proposer le mariage homosexuel, ils l’auraient sans doute expédié à Saint-Anne !
Car par-delà la morale, il y a la raison. Le plus choquant dans un tel projet n’est pas tant l’atteinte à la morale, qui en a vu bien d’autres, que l’entorse au bon sens. Si une telle loi était adoptée, ne serions-nous pas entrés définitivement dans cette déraison collective qui, au dire de Hannah Arendt, menace toutes les sociétés et dans laquelle, au gré de certains, le système financier international serait déjà entré ?
A supposer même que l’homosexualité fasse l’objet de tolérance, ce que nous ne discutons pas, une société libérale ne doit-elle pas se cantonner à ne reconnaître et réglementer dans ses lois que ce qui est d’utilité commune ? Une fois écartée l’adoption par les homosexuels ( que récusent non seulement des religions millénaires mais la déjà centenaire tradition freudienne), on ne voit pas quelle utilité commune, justifierait le mariage de personnes du même sexe. Si le mariage tout court existe, c’est d’abord pour régler la filiation.
Tout cela n’est pas une question religieuse, certes. Mais l’unanimité des grandes religions est un indice tout de même significatif d’une certaine universalité. Comme au Bas-Empire romain, l’effondrement des institutions avait amené l’Eglise à jouer un rôle de suppléance dans la gestion des cités, la déraison collective où nous fait entrer ce genre de projet fonde les autorités religieuses à rappeler ce qui leur paraît être la voix de la raison. En attendant que de grandes voix laïques prennent le relais.