Article rédigé par Roland Hureaux, le 20 septembre 2012
Mariano Rajoy, président du gouvernement espagnol depuis novembre 2011, est un homme sérieux, trop sérieux.
Après une victoire très large de la droite lassée d’un gouvernement socialiste touché par la crise et qui avait totalement renié sa vocation sociale pour appliquer les directives européennes, Rajoy avait annoncé qu’il concentrerait son action sur la gestion économique : rééquilibrer les comptes publics pour maintenir l’Espagne dans l’euro, sauver le système bancaire et si possible relancer la machine économique.
Comme si le gouvernement conservateur pouvait mieux faire sur ce sujet que le gouvernement socialiste, comme si les grands débats qui divisaient la gauche et la droite au cours des années précédentes n’avaient pas été plutôt le mariage homosexuel, l’avortement, la mémoire de la guerre civile, tous sujets sur lesquels le socialiste Zapatero avait pris le risque de diviser gravement le pays.
Le choix de Mariano Rajoy : l’économie, rien que l’économie, était d’autant plus audacieux, en un sens, qu’il n’avait aucune chance de réussir sur ce terrain !
Il ne faut pas être un grand expert pour voir que si, à la rigueur, la France pourrait encore survivre quelques temps dans l’euro, l’Espagne subit aujourd’hui un préjudice tellement lourd que, plus le temps passe, plus ses chances de redressement se trouvent obérées.
Certes les taux auxquels elle emprunte sont repassés au-dessous de la barre des 6 %, mais son endettement public, au départ moindre que celui d’autres pays européens, y compris l’Allemagne, s’envole. La situation des banques privées est très dégradée et la hausse des prix de revient au cours des dernières années a enlevé toute compétitivité aux produits espagnols.
Ne pouvant plus guère vendre, le pays est conduit à un taux de chômage record qui avoisine les 25 % de la population active, 50% des plus jeunes !
Une équation impossible
Toujours bon élève, Marian Rajoy a choisi de rester dans l’euro. Régler les problèmes économiques de l’Espagne et rester dans l’euro, c’est ce que les mathématiciens appellent une équation impossible.
La récession, réduisant les recettes, empêche de rééquilibrer les comptes publics ; si les dépenses publiques sont réduites, ce que préconisent d’une seule voix Berlin, Bruxelles et Francfort, la récession s’aggravera, aggravant le chômage et réduisant encore les rentrées fiscales et, du coup, le déficit s’aggravera. L’Espagne est déjà entrée dans cette spirale récessive.
Seule une sortie de l’euro, assortie d’une dévaluation de 40 ou 50 % permettrait une issue à la crise. Dans un tel scénario, l’effort immédiat serait certes encore plus dur : les prix importés augmenteraient et les prix intérieurs aussi, le pouvoir d’achat des Espagnols voyageant à l’étranger se trouverait amoindri. Mais très vite, comme il advient toujours en cas de dévaluation, l’économie repartirait, alors que dans la situation actuelle, ce redémarrage n’a aucune chance de se produire.
Ajoutons que, rétablissant sa souveraineté sur la banque d’Espagne, le gouvernement espagnol réglerait plus facilement le problème de ses banques commerciales et celui de sa dette propre.
Si l’Espagne s’acharne encore à rester dans l’euro, nul doute que toutes ses difficultés présentes s’aggraveront.
Encore quelques années de ce régime et l’Espagne perdra le bénéfice de 50 ans de croissance économique : elle se retrouvera au niveau préindustriel du début du franquisme.
Pour une Espagne récemment industrialisée, l’Europe et l’euro ont représenté une sorte de promotion sociale. Il est donc peu probable que ce pays prenne de lui-même l’initiative d’en sortir, alors même que c’est son intérêt le plus évident.
Néanmoins, en bon espagnol, Rajoy reste fier. Il répugne à accepter l’aide que lui proposent ses partenaires européens sachant que cela signifierait une mise en tutelle de l‘Espagne. Il a raison. Mais quel autre choix, dans la logique qui est la sienne ?
Les seuls qui trouvent leur compte à cette politique suicidaire sont les Indignés. Ce mouvement de protestation contre l’austérité imposée par les institutions européennes était parti d’Espagne. Mais il était, à ses débuts, gêné aux entournures de trouver en face de lui un gouvernement de gauche, celui de Zapatero. Maintenant que la même politique impopulaire est menée par la droite, dans ce mouvement où la sensibilité progressiste domine, les choses se remettent en ordre. Avec un gouvernement de droite, chacun est à sa place : ceux qui imposent la rigueur et ceux qui protestent !
En se concentrant sur l’économie, Rajoy avait voulu éviter de s’engager sur le terrain politiquement incorrect des questions de société ou de mémoire. Il a probablement pensé que le vent de l’histoire étant ce qu’il est, les réformes hasardeuses menées par les socialistes, comme le mariage homosexuel, ne sauraient être remises en cause, malgré les millions de personnes qui avaient manifesté contre et qui l’avaient porté au pouvoir.
Il n’est pour le moment pas question de revenir sur le mariage homosexuel, malgré le peu de succès qu’il rencontre. Cependant, un projet de loi récent tend à restreindre le droit à l’avortement (dans des proportions au demeurant très raisonnables) : l’Espagne était devenue le pays où il était le plus facile en Europe. Peut-être le sage Rajoy a-t-il compris que, contrairement aux apparences, il avait plus de chances de l’emporter sur ce terrain apparemment miné que sur celui de l’économie. Et que peut-être il touchait là, en termes de civilisation, un enjeu plus important que le sauvetage de l’euro, entreprise aujourd’hui sans espoir.
Photo : Wikimedia Commons / Partido Popular de Cataluna