Article rédigé par Gregor Puppinck, le 20 septembre 2012
Le 5 septembre 2012, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de Luxembourg a rendu un arrêt important en faveur de la liberté religieuse en définissant quel type d’atteinte au droit à la liberté de religion justifie l’octroi du statut de réfugié en Europe conformément à la directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, sur le statut des réfugiés (Arrêt Bundesrepublik Deutschland/Y et Z, C-71/11 et C-99/11). Selon cette directive, les Etats membres de l’Union européenne doivent en principe accorder le statut de réfugié aux étrangers qui risquent d’être persécutés en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un groupe social dans leur pays d’origine.
Cette affaire concerne deux ressortissants pakistanais appartenant à la minorité musulmane ahmadiste (une minorité non reconnue par la majorité musulmane) demandeurs d’asile en Allemagne au motif qu’ils encourent, selon le code pénal pakistanais, une peine allant jusqu’à trois ans d’emprisonnement s’ils prétendent être des musulmans, prêchent ou tentent de propager leur religion. Les autorités allemandes ont rejeté leur demande au motif que les restrictions à la pratique de la religion en public imposées aux ahmadis ne constituaient pas une « persécution » au regard du droit d’asile. Les deux requérants ont alors saisi les juridictions administratives allemandes, estimant que la position des autorités allemandes étaient contraires à la directive 2004/83/CE. Le tribunal administratif fédéral, saisi des litiges, a décidé de surseoir à statuer afin de demander à la Cour de Justice de l’Union européenne – à laquelle revient la charge d’interpréter les directives – de préciser ce qu’est une persécution religieuse au sens de la directive de 2004.
La Cour de Luxembourg devait donc se prononcer sur la pratique fréquente en Europe de n’accorder l’asile pour motif religieux qu’en cas de persécution extrême, c'est-à-dire en cas de risque pour l’intégrité physique de la personne du seul fait de son appartenance religieuse (le « noyau dur » de la liberté religieuse). En application de cette pratique, de nombreuses demandes d’asile sont refusées au motif que les demandeurs peuvent échapper à la persécution s’ils pratiquent leur religion en privé, voire dans le secret, dans leur pays d’origine. Ainsi par exemple, des convertis de l’islam au christianisme sont renvoyés au motif qu’ils sont susceptibles d’échapper à la persécution s’ils gardent secrète leur conversion.
La Cour de Luxembourg, et il faut s’en réjouir, a refusé cette interprétation restrictive de la liberté religieuse en rappelant que le droit fondamental à la liberté religieuse garantit également la capacité de manifester sa religion en public et collectivement. La Cour de Luxembourg a indiqué que, selon la directive 2004/83/CE du Conseil, certaines formes d’atteintes à la manifestation de la religion en public doivent aussi justifier l’octroi du statut de réfugié, à condition que ces atteintes aient un degré suffisant de gravité et que les manifestations publiques susceptibles de causer ces atteintes soient prescrites par la religion. La Cour de Luxembourg a également affirmé que les autorités nationales ne peuvent pas exiger du demandeur d’asile qu’il renonce à la pratique publique de sa religion pour éviter un risque de persécution.
Cette interprétation officielle de la directive 2004/83/CE s’impose aux Etats membres de l’Union européenne à l’égard de toutes les demandes d’asile pour motif de persécution religieuse, quelle que soit leur religion ; donc également aux nombreux chrétiens d’Orient empêchés de pratiquer leur religion publiquement. Cette interprétation prolonge l’approche développée par les résolutions du Parlement européen (20 janvier 2011) et de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (27 janvier 2011) sur la persécution des chrétiens d’Orient dans lesquelles était demandée une meilleure prise en compte de la persécution religieuse comme motif d’asile, tout en évitant d’encourager les membres des minorités à quitter leur pays.
La définition de l’étendue de la liberté religieuse donnée par la Cour de Luxembourg a une portée de principe qui dépasse les faits en cause. Ce rappel de la dimension publique de la liberté religieuse s’oppose à la volonté très répandue de limiter la liberté religieuse à la seule sphère privée, à la seule liberté de croyance et de culte.
Cet arrêt est aussi bienvenu dans le contexte européen en raison de l’hostilité croissante contre l’expression publique des religions, même s’il faut admettre que toutes les formes d’expression publique des religions ne sont pas équivalentes. Il a été prononcé le lendemain d’une audience très médiatisée devant la Cour Européenne des droits de l’homme (Strasbourg) dans des affaires contre le Royaume-Uni où était en cause l’interdiction faite à des chrétiennes par leur employeur de porter visiblement une petite croix autour du cou sur leur lieu de travail. (affaires Eweida et Chaplin contre Royaume-Uni). Les requérantes, dont l’une est copte, ont été sévèrement sanctionnées par leur employeur (suspension sans salaire ; mutation et perte de l’emploi) parce qu’elles ont refusé de retirer ou de cacher leur croix.
Les juridictions nationales britanniques, saisies de ces affaires, ont donné raison aux employeurs. Devant la Cour européenne, le Gouvernement britannique a justifié la légalité de cette interdiction en soutenant que la liberté religieuse de ces femmes était respectée dès lors qu’elles sont « libres de démissionner » ou de « manifester leur religion en privé ».
Ainsi, si le Gouvernement britannique disait vrai, la situation de Mesdames Eweida et Chaplin ne serait pas fondamentalement différente de celle des minorités religieuses dans les pays musulmans : seule les distingue une différence de degré dans la gravité de la persécution.
Grégor Puppinck est directeur de l’ECLJ
L’arrêt Arrêt Bundesrepublik Deutschland/Y et Z, C-71/11 et C-99/11 est accessible sur le site de la CJUE.
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