Napoléon ou La destinée
Article rédigé par , le 24 août 2012 Napoléon ou La destinée

Stanley Kubrick s’était, comme il en avait coutume, documenté à l’extrême avant d’entreprendre la réalisation d’un Napoléon qui ne vit le jour. Sans s’en douter, Jean-Marie Rouart conçut en son for que, non moins que chez un cinéaste, les images d’un romancier elles aussi se préparent. Avant de se voir couchées sur le papier pour l’éventuel bonheur du lecteur, en tous cas pour son édification, elles doivent se laisser cuire et recuire, triturer, macérer des années – que disons-nous ? -, depuis la prime adolescence s’il se peut dans les marais salants de l’esprit et du cœur. Au mitan ou au couchant de sa vie, pas avant, l’homme de lettres peut donner tout son sel, laisser poindre ou deviner sur ce qu’il a sur le cœur. Et il nous dit : l’Empereur lui aussi m’habitait, voici que, de pied en cape et de cape et d’épée, je vous le restitue.

A l’instar du metteur en scène de Barry Lindon, l’auteur, outre la fameuse biographie de Bainville [1], s’est plongé dans l’Histoire du Consulat et de l’Empire de l’historien Louis Madelin afin de canaliser ses sensations rétrospectives, discipliner projection et rétro-projection, afin, en somme, de nous laisser deviner qu’il se (re)trouve en son héros tout en laissant Narcisse se fondre d’admiration devant sa face. Alors, l’écrivain peut alors nous raconter… Et il nous raconte un Bonaparte qui, anxieux et tout en nerf, se gratte jusqu’au sang ses boutons de fièvre et qui, secret d’Etat, hérita peut-être plus du comte de Marbeuf (aux ancêtres riches en valeureuses figures militaires) que de son père ; un stratège né qui, tout au long de sa vie, ne cessera de dire et de vérifier dans ses faits et gestes qu’il se sent jusqu’à un certain point téléguidé de la main des dieux et d’un Dieu dont, pour le bien commun des Français et l’ordre de la société, il conférera à nouveau à l’Eglise la représentation ; un boute-en-train causeur et solitaire, rarement ingrat, vivant dans le souvenir des différents sauveurs, instruments du destin, qui lui permettront de poursuivre son entreprise de restauration de l’Etat. Bonaparte n’a jamais traversé le pont d’Arcole mais il est tout aussi certain qu’il a toujours porté dans son cœur Muiron, le ci-dessus sauveur qu’il couchera dans son testament. Y figurent aussi le général du Teil, le conventionnel Gasparin qui lui furent de bon pères à la fin de son adolescence et même le réveille-matin qu’il chipa à Postdam à Frédéric II, légué, ‘‘lorsqu’il aura seize ans’’ à son fils, le roi de Rome.

Il y a un moyen de vérifier que l’écrivain balance en raison et avec cadence entre le romancier, l’essayiste et l’historien. Nous tairons la grille caractérologique à laquelle nous nous référons en l’espèce. Les initiés savent à quel type appartient Napoléon Ier. Mais, nous ignorions ceux auxquels se rattachent par exemple Joséphine de Beauharnais et Marie-Louise d’Autriche. L’exercice consiste donc à les pronostiquer à l’issue de la seule lecture de leurs portraits. Or, le test fut positif ce qui signifie que Jean-Marie Rouart avait aussi objectivement saisi ces deux épouses de sorte qu’on en déduit que le trait du romancier – du psychologue – était bien au service de la vérité.

Mais il y a bien d’autres noms qu’à l’exemple de l’auteur, nous conservons nous aussi enfermés dans notre mémoire. Et d’abord, les militaires qui lui firent du bien, au premier rang Caulaincourt (qui, au détriment de Berthier, l’accompagnera au retour de la campagne de Russie) et Duroc le bien-nommé. Ensuite, les femmes de l’Empereur. Malheureusement pour elles, et avant tout pour lui, il ne leur demandait pas d’être à sa, mais à la hauteur. Ce qu’elles ne surent ou ne pouvaient faire : nous parlons ici des ‘‘officielles’’. Ce qui, par contrecoup, hisse au rang du véritable amour ses amours officieuses, la comtesse Marie Walewska certes qui lui donna un fils et nombre des autres…parmi lesquelles leur secrète étude incite à retenir Betsy Balcombe et Mary Ann Robinson. Rouart ne traite pas des causes de la mort de l’Empereur. Mais arsenic et vieilles dentelles du comte de Montholon ou pas, nonobstant les pommes de terre aux oignons cuites sous la cendre, le cancer de l’estomac n’est pas de trop pour sonner à notre bonhomme d’empereur l’heure du couchant.

Napoléon, comme Bonaparte, aurait voulu gracier ceux qui avaient attenté à ses jours s’ils avaient accepté de se repentir. Murat, plus que lui décida de l’assassinat du duc d’Enghien qui fut en effet une erreur et une faute. Les guerres napoléoniennes ne peuvent guère s’analyser comme des précurseurs de celles, de masse, civiles ou d’agression, coadjutrices des régimes jumeaux, au bas mot hétérozygotes, de Lénine, Hitler et Staline qui, déjà, occupèrent le XXème siècle. Napoléon, lui, avions-nous naguère indiqué, a laissé grosso modo un bon souvenir [2]. Et Jean-Marie Rouart avec lui écrit à ce jour un de ses deux meilleurs livres.  

Hubert de Champris

[1] Tallandier/Texto

[2] Cf. la critique de Sudhir Hazareesingh, La légende de Napoléon, traduit par Albert Sebag, Tallandier dans Liberté politique n° 43, Hiver 2008.

http://www.amazon.fr/Napoléon-ou-destinée-Jean-Marie-Rouart/dp/2070136949/libertepoliti-21 Gallimard 2012 352 21,90 Non 21,90 €