Article rédigé par Gérard Thoris, le 06 juillet 2012
Dans le pays où la culture générale est érigée au rang des principes constitutionnels, la formule de Louis Klotz, ministre des Finances de Clémenceau en 1917, devrait immédiatement revenir en mémoire. Elle devrait revenir avec son cortège de malheurs, depuis l’obligation faite à l’Allemagne de faire réparation des dommages causés à l’Europe jusqu’au solde de tout compte du 3 octobre 2010 (eh oui !) en passant par les nombreux moratoires partiels ou totaux. Or, nous vivons avec la Grèce un accéléré de l’histoire de l’Allemagne après 1919. Qu’on en juge.
En 1921, la conférence de Londres fixe le montant de la dette de l’Allemagne. Celle-ci ne peut payer et sollicite un moratoire. La réponse franco-belge sera l’occupation de la Ruhr. L’opération se termine en fiasco et les Américains proposent de prêter aux Allemands l’argent qu’ils doivent aux Français (Plan Dawes de 1924). Comme il est évidemment difficile à l’Allemagne d’honorer ses échéances, un premier moratoire est décidé sous forme de diminution du montant des réparations à travers le plan Young (1929), chiffre encore diminué lors de la Conférence de Lausanne (1932) après que la suspension des paiements pendant un an (moratoire Hoover de 1931) ait rien donné. En 1933, Hitler met fin au paiement des réparations. L’Allemagne n’a pas payé, ou si peu mais elle aura envenimé à l’extrême les relations franco-allemandes.
Le motif pour lequel l’Allemagne ne pouvait pas payer est simple. Il a été mis en claire lumière aussi bien par J.-M. Keynes que par J. Rueff. Pour ce dernier, le paiement des dettes de guerre dans un pays qui ne dispose pas d’un stock d’or important suppose d’avoir une balance des capitaux déficitaire. Mais, pour obtenir les devises nécessaires à ce remboursement, l’Allemagne doit avoir une balance commerciale excédentaire. Aussi, pour faire simple, l’Allemagne doit exporter en France, au détriment de la production française, de façon à obtenir les devises nécessaires au remboursement de sa dette vis-à-vis de la France. Evidemment, la France ne pouvait souscrire aux conséquences économiques de ses propres exigences monétaires !
Plus que quelques jours
Malgré l’évidence de ce raisonnement, les Allemands jouent aujourd’hui le même jeu vis-à-vis de la Grèce, ce même jeu qui ne peut que se retourner contre eux si ses effets s’étendent à l’Espagne, l’Italie, la France, etc.
Le 16 octobre 2009, l’Union européenne découvre la crédibilité comptable de la Grèce. Le déficit budgétaire est soudainement réévalué de 3,7 % à 10,7 % du PIB et la dette publique estimée pour 2011 de 97,4% à 135,4%. A l’occupation de la Ruhr succède la pression à la vente d’îles grecques (Josef Schlarmann, membre du CDU, mars 2010), le contrôle des finances publiques par la troïka (janvier 2012) et jusqu’à l’incroyable déclaration de la Directrice générale du FMI invitant les Grecs à payer leurs impôts (25 mai et 11 juin 2012) alors qu’elle-même en est exempte !
Pas plus que les militaires en 1923, une armée de fonctionnaires internationaux ne peut faire surgir la richesse d’un pays en crise économique majeure. La piste du prêt international a donc été tentée parallèlement. Inutile d’aligner les chiffres qui donnent le vertige. Ce qui est certain, c’est que ces prêts ont déjà donné lieu à un premier moratoire (équivalent du plan Young de 1929) et que l’on sait avec certitude qu’il sera suivi d’un second (équivalent de la Conférence de Lausanne). Sauf que le calendrier électoral mettra peut-être fin à cette tactique qui consiste à donner du temps au temps alors que le temps n’arrange rien. Si la Grèce devait effectivement sortir de l’euro, ce serait l’équivalent de la fin des réparations par Hitler.
N’importe les résultats des élections du 17 juin en Grèce, le fait de s’être enferré sur un principe en contradiction avec les faits économiques élémentaires a déjà produit ses effets délétères en Europe. La monnaie unique, qui devait être couronnée par une union politique, risque d’être la cause de nouveaux conflits. Qu’on en juge : l’Espagne ne demande pas une aide qu’on lui accorde sans que l’on exige pour elle les contreparties demandées à la Grèce ; l’Irlande, qui se sacrifie pacifiquement en holocauste pour les fautes professionnelles de ses banquiers ne comprend plus les exigences que la même troïka lui a imposées ; l’Italie va bien, Mario Monti l’assure comme Mariano Rajoy il y a seulement quelques jours. Quant à la France…
Il n’y a plus que quelques jours pour sauver ce qui peut être sauvé du projet européen. Que les Américains aient cantonné jusqu’à 1400Mds$ de crédits toxiques détenus par leurs banques dans le bilan de la FED sans le moindre sourcillement d’inflation doit faire rêver les Irlandais qui travaillent pour renflouer leurs banques à hauteur de 32 % du PIB ! Que la même FED ait aujourd’hui 1700Mds$ d’obligations du Trésor Public dans ses livres sans le moindre sourcillement d’inflation devrait faire comprendre aux Allemands la nature d’une crise à l’abri de laquelle ils se croient encore.
Pour finir sur une nouvelle note de culture générale, où se trouve le Jules César qui passera le Rubicon qui mène à Francfort ?
Gérard Thoris est professeur d’économie à Sciences Po. Economiste et philosophe, il est l’auteur d’une Analyse économique des systèmes. Contributeur régulier de la Revue française des finances publiques et de Sociétal. Expert auprès de l’Association Progrès de Management (APM) avec, comme sujet principal depuis 2008 « La crise va-t-elle durer dix ans ? »
Photo : Fresques du palais de Knossos © Wikimedia Commons / Cavorite
Publications récentes
(2012), « Pour en finir avec les allégements de charges sociales », Revue française des finances publiques, n° 119, juin, à paraître
(2012), « Rembourser ou remettre les dettes », Liberté politique, à paraître
(2012), « Flux et stocks dans l’équilibre des finances publiques », Revue française des finances publiques, n° 117, février, 169-177
(2012), « Le remboursement des dettes publiques, une « relique barbare » ? », Revue française des finances publiques, n° 117, février, 277-280
(2012), « Ephémérides d’une crise annoncée : moratoire ou remise des dettes publiques sans collatéraux », Rapport moral sur l’argent dans le monde 2011-2012, Association d’économie financière, 313-338
(2012), « La mascarade de la dette sociale », Sociétal, n° 75, 1° trimestre, 61-69
(2011), « Du diviseur budgétaire à la crise des dettes publiques », Revue française des finances publiques, n° 116, novembre, 219-236
(2011), « Les manipulateurs de symbole ont encore frappé », Commentaire, n° 134, automne
(2011), « L’héritage des droits acquis », Revue française de finances publiques, n° 115, septembre, 135-152
(2011), « La place du don dans l’économie marchande », Liberté politique, n° 54, automne, 31-40
(2011), « Le colosse aux pieds d’argile », Sociétal, n° 71, 1er trimestre, 32-36
(2010), « De la crise des collatéraux à la remise des dettes publiques », Revue d’économie financière, n° 100, décembre, 43-67
(2010), « Pour une remise des dettes publiques », Rapport moral sur l’agent dans le monde, Paris, Association d’économie financière, 225-244
(2010), « La France est-elle réformable », Sociétal, n° 70, 4° trimestre, 89-104
(2010), « Après la crise, que reste-t-il des instruments de régulation conjoncturelle ? Les politiques monétaire et budgétaire face à l’effet de cliquet », Revue Française de Finances Publiques, n° 109, février, 2003-2011
Presse-Radio
France Culture – Les Enjeux Internationaux
(2011), « Union européenne vs Etats-Unis », 12 juillet
(2010), « Quels mécanismes de solidarité européens pour quelle sortie de crise ? », 21 décembre ; « Quand pourra-t-on se dire sorti de crise ? », 8 septembre
RCF – Le magazine de l’économie de Didier MEILLERAND
(2011), « Crise européenne, que faire des dettes ? », avec Michel BARNIER, Michel DEVOLUY, Jean-Paul GAUZ7S, François-Gilles LE THEULE, 3 octobre
La Croix
(2011), « Le mistigri des dettes sans collatéraux », 11 octobre ; « Opportunisme et société de classe », 13 septembre ; « Strabisme divergent pour les marchés financiers », 4 juillet
(2010), « Le moteur et l’essence », 9 novembre
Le Cercle « Lesechos.fr »
(2011), « Supplications au bord de l’abîme », 4 octobre ; « Plan de rigueur : double dividende politique, double pénalité économique », 25 août ; « Remise des dettes publiques et croissance », 8 août ; « Remise des dettes publiques et risque d’inflation », 5 août ; « Il faut monnayer l’avenir plutôt que le passé », 26 juillet ; « Serions-nous devenus friedmaniens, maintenant ? », 14 juin ; « Sortir sans moratoire du piège des dettes publique et sociale », 27 janvier