Article rédigé par Gérard Thoris, le 29 juin 2012
Fort de sa légitimité démocratique renforcée par les élections législatives, le Président François Hollande se prépare à défendre un programme de dépenses publiques d’un montant de 120 Mds€ lors du sommet européen des 28 et 29 juin à Bruxelles. Sémantique d’origine keynésienne oblige, ce programme se présente comme un ensemble de « mesures de croissance », qui plus est « à effet rapide ».
Dans les faits, ce qui peut passer pour du volontarisme n’est qu’un aveu de faiblesse ; ce qui est « à effet rapide » n’est que, au mieux, « à décision rapide » ; quant à la capacité de ce programme à être porteur, à un moment ou à un autre, de croissance économique supplémentaire, personne, à vrai dire, n’en sait rien.
Un aveu de faiblesse
La crise économique qui nous accable est liée à des excès de dettes. Pour s’en sortir, tous les agents économiques qui le peuvent cherchent à se désendetter. Dans un premier temps, les Gouvernements ont pensé disposer du pouvoir contra-cyclique par des politiques budgétaires coordonnées. Le résultat est là que l’endettement des Etats a, au mieux remplacé, au pire s’est ajouté, à l’endettement des agents privés. Dans ce contexte, tous les Etats européens pratiquent désormais des politiques pro-cycliques de deleveraging. Pour la France, Le Monde du week-end des élections législatives ose le titre : « Et maintenant, quelle rigueur prépare la gauche ? ». Dans l’incapacité d’endetter la France à compte propre, François Hollande se propose donc de l’endetter par l’intermédiaire de structures européennes dont la Banque européenne d’investissement ou les « project bonds ». Si l’on cherchait une comparaison avec les entreprises privées, on penserait immédiatement aux LBO où la création d’une holding accroît le levier de l’endettement… jusqu’à ce qu’elle pressure les établissements opérationnels en remontée d’intérêts. Tout cela vaut aussi longtemps que la croissance générée par cette stratégie permet effectivement l’amortissement de la dette.
Une décision rapide
Or ce n’est pas une décision rapide qui fait un projet rapide. Lire et relire Keynes, c’est comprendre que sa formule « à long terme nous sommes tous morts » s’applique aux projets d’investissements publics. C’est maintenant que les salariés au chômage ont besoin de retrouver un emploi ; c’est donc avec le stock de capital existant. L’élargissement du stock de capital, c’est du long terme. Si le sommet européen décidait d’une ligne à grande vitesse Paris-Varsovie, la montée en puissance des dépenses de salaires serait tellement progressive qu’elle atteindrait vraisemblablement son maximum à la fin du mandat que François Hollande vient de commencer. Quant au remboursement de la dette qui a soutenu ce projet, elle ne pourrait commencer qu’à partir du moment où les infrastructures ainsi constituées entreraient en service, sous réserve que le succès soit immédiatement au rendez-vous, ce qui est loin d’être évident.
Un rendement incertain
Là encore, c’est Keynes qui nous guide : « à parler franc, on doit avouer que, pour estimer dix ans ou même cinq ans à l’avance le rendement d’un chemin de fer (…) les données dont on dispose se réduisent à bien peu de choses, parfois à rien ». Sur ce point, ce ne sont pas les financeurs du tunnel sous la manche qui le contrediront. D’ailleurs, la contribution et la garantie de l’Etat pour la construction de la ligne LGV Tours-Bordeaux montre que, même si en cas de « projects bonds », les grandes entreprises de construction savent engager les budgets publics.
Pour un keynésianisme moins conventionnel
Alors, faut-il se résoudre à ne rien faire ? Pas vraiment si l’on s’en tient aux mécanismes économiques élémentaires. En termes strictement keynésiens, les entreprises investissent si la demande effective le justifie d’une part, si l’efficacité marginale du capital l’emporte sur le taux d’intérêt d’autre part. Sur le premier point, la demande future est conditionnée par la rigueur à venir et son incertain partage. Les classes moyennes, qui fournissent quand même les plus gros bataillons de consommateurs, ne peuvent faire un budget prévisionnel fiable sans connaître le surcroît de charges ou la diminution des prestations publiques auxquelles elles devront faire face. Les entrepreneurs le savent et, à cette incertitude sur la demande, ils ajoutent leur propre incertitude sur la rentabilité future de leurs investissements, elle-même conditionnée par l’imprécision avec laquelle les promesses électorales seront traduites dans les faits.
Au fond, ce que les uns et les autres demandent, ce sont des règles simples, prévisibles, dégageant l’horizon de leurs décisions. Nos sociétés de consommation n’ont pas besoin de potion publique pour accroître leur appétit de biens et services. Le goût de l’aventure de nos entrepreneurs n’a besoin que d’horizon visible, de fonds propres et de mains plus libres, sans préjudice de l’intérêt général.
Une telle politique n’offre que peu de titres de gloire à ceux qui la promeuvent. Est-ce pour cela que la France peut s’en passer ?