Article rédigé par , le 14 juin 2012
Titre : Le pays où la vie est plus dure
Auteur : Philippe Manière
Editions : Grasset
Nombre de pages : 301
Prix : 18,00 €
Tout à son bonheur d’avoir une fois encore trouvé personnage à son image, l’entreprenant Claude Ribbe nous entraîne dans une cavalcade entre les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France – et on en passe –, par le biais d’un inconnu qui n’a pas eu beaucoup le loisir de buller au soleil. Eugène Bullard sera donc connu grâce à l’imagination pétaradante de Ribbe, à sa patte de romancier qui nous raconte des histoires. Parfois, en effet, Ribbe, en sa qualité d’historien amateur, nous raconte, dit-on, des histoires. Ou alors, ‘‘il exagère’’. Ou alors encore : ‘‘il tient des propos tendancieux’’. Mais, de nos jours, mon bon monsieur, qui n’en tient pas ? Qui n’a pas, de près ou de loin, de comptes à régler avec son enfance, sa patrie, son docteur, son percepteur, son employeur ou son critique littéraire ? Ou contre soi ? La Troisième guerre mondiale est d’abord individuelle : pour chaque habitant de la Terre, elle se mène d’abord contre soi-même. Parenthèse refermée, Ribbe nous conte une histoire, et, cette fois-ci, encore plus vraie que de coutume. Voici un self made man descendant d’esclaves (il faut des périphrases pour éviter ‘‘Noir’’ ou afro-américain), débrouillard comme par deux, s’échappant de sa Géorgie natale, passager clandestin d’un steamer allemand pour tenter d’échapper à sa condition de naissance. Et c’est de bout en bout passionnant parce l’auteur nous livre un récit très enlevé qui doit s’appuyer sur des documents dont il ne nous dit que goutte. Si bien que Ribbe prête – mais est-ce à crédit ? – des attitudes, des pensées au personnage et aux protagonistes avec d’autant plus de liberté qu’il peut toujours nous rétorquer que, nourri de toute sa documentation, lui seul est dans le secret des dieux et qu’il sait ce qu’il en est. Mais, foin des livres avec moult notes et bibliographie abondante. On sait que ces allers-retours ralentissent la lecture, et lui, Eugène Bullard n’a jamais arrêté. Il nous faut donc lire le récit de sa vie à son rythme. Celui d’un docker, d’un artiste de foire, d’un danseur, d’un boxeur, d’un musicien de jazz montmartrois, d’un légionnaire en 14, d’un combattant de Verdun, d’un agent spécial et d’un grand amoureux. Encore notre liste n’est-elle pas exhaustive puisque, après Dumas romancier, Dumas père et général d’Empire, après le Chevalier de Saint-Georges, escrimeur et musicien à la Cour, Claude Ribbe voudrait rajouter, comme une figure emblématique, le nom d’Eugène Bullard, franco-afro-américain, au Panthéon des minorités en voie de visibilité [1].
A l’instar des précédents, ce nouveau récit de Claude Ribbe en son fond est ainsi proprement politique. Il participe à la fois de l’auto-fiction, de l’auto-biographie, du roman, du pamphlet, de la biographie historique. Un vaste règlement en début de comptes seulement. Que vous lirez non sans dommages (pour votre conscience), mais non sans intérêt.
Hubert de Champris
[1] cf. notre critique de Claude Ribbe, Les nègres de la République, Alphée-Jean-Paul Bertrand dans Le Magazine des livres n°5, septembre 2007.
http://www.amazon.fr/Eugène-Bullard-Claude-Ribbe/dp/2749124492/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1339703320&sr=8-1/libertepoliti-21 Le Cherche-Midi 2012 241 17,00 Non 17,00 €