Fritz Mauthner, scepticisme linguistique et modernité : Une biographie intellectuelle
Article rédigé par , le 31 mai 2012 Fritz Mauthner, scepticisme linguistique et modernité : Une biographie intellectuelle

 

 

 

 

 

 

 

9782729119621R1

Titre : Ben Laden, le bouc émissaire idéal 

Auteur : Bruno de Cessole

Editions : La Différence

Nombre de pages : 157

Prix : 15,25 €

Lindéniable beauté de l’écroulement des deux tours jumelles dites du Centre de commerce mondial du quartier de Manhattan, à New York, le onze septembre 2011, soulignée par ce bon observateur de notre temps que fut le sociologue Jean Baudrillard, ne doit pas nous faire oublier que Ben Laden avait signé son forfait. Sous les cendres de basalte qui recouvraient les décombres de ce Pompéi contemporain, on découvrait à un moment, garée dans la rue, une camionnette de livraison sur le côté de laquelle s’inscrivait en toutes lettres Laden… Mais, au lieu de faire amende honorable, de feindre ne serait-ce que l’humilité, l’Amérique très, très profonde à n’en pas douter, pour ne pas dire archaïque, ne trouva rien de mieux que de reconstruire non pas à l’identique, mais en plus grand l’édifice qui symbolise son orgueilleux mercantilisme. Se tromper est humain, persévérer est diabolique : si Ben Laden et la grande puissance  - la Chine probablement-  qui le téléguidait au loin sont des diables, nul doute que ce à quoi ils s’attaquent a, au fond, de qui tenir…

Ce jeu de miroir entre l’Occident très (peu) chrétien et les agissements criminels islamistes ou islamiques (selon le degré de dangerosité qu’en vertu d’une vision essentialiste des choses on attache à la religion mahométane) est le propos de l’essai que Bruno de Cessole consacre à ces deux versions d’un même nihilisme. Parodiant Pierre Chaunu et Alain Besançon qui employaient l’expression au sujet du communisme et du nazisme, notre confrère aurait pu lui aussi, mutatis mutandis, parler à leurs sujets de ‘‘jumeaux hétérozygotes’’,- des hétéros qui gigotent comme dirait ma concierge. Ses explications de textes de Dostoïevsky et de Plutarque figurent parmi les points forts d’une thèse avérée qu’il résume ainsi : « Le nihilisme n’est ni une opinion ni une doctrine mais un mouvement consubstantiel à l’Histoire. » D’autres bons penseurs viennent à sa rescousse comme René Girard avec son passe-partout du bouc-émissaire (qu’il assaisonne à toutes les sauces sauf, inexplicablement, au sang sacrificiel ultime du Christ qui permet de mettre un terme au cycle, sinon sans fin, de la vengeance) ou l’historien Alphonse Dupront et sa réhabilitation de la Croisade. L’avantage, avec Cessole, c’est que vous pouvez, peu ou prou, retrouver ses leitmotive préférés toutes les semaines en lisant Valeurs actuelles. Comme il n’est pas sûr que les lecteurs de l’hebdomadaire lisent entre les lignes, on a voulu ici les aider. Donc, sachez-le, avec Bruno de Cessole, il y a toujours anguille sous roches… ce qu’on appelle être pince-sans-rire…

Mais vous pouvez toujours approfondir vos connaissances en ces matières en vous reportant à la biographie de Fritz Mauthner. On vous aura presque tout dit si l’on précise que Jacques Le Rider est un spécialiste en viennoiseries et que cette biographie est sous-titrée « Scepticisme linguistique et modernité ». Vous serez sur le point d’avoir tout compris des ‘‘aboutissants’’ du parcours intellectuel de notre homme si l’on ajoute que Fritz Mauthner était un Juif se voulant entièrement assimilé non seulement à la culture mais à la nation allemande (le multi-ethnisme et le multi-culturalisme de l’empire austro-hongrois n’étaient pas sa tasse de thé viennois). En ligne droite de ses importants ouvrages de critique linguistique, il écrivit un Dictionnaire de la philosophie (avec celui de Voltaire en exemple) pour terminer avec L’Athéisme et son histoire en Occident. Qu’est-ce à dire ? Qu’il ne nous faut pas nous départir d’un esprit catégorique pour appréhender, tant faire se peut, l’esprit en sympathie avec le sien (mais la main au collet), un intellectuel de ce gabarit. Ni conceptualiste, ni réaliste, l’approche de la langue et du langage (lui-même, à tort, confondait volontairement le mot et la parole) par Mauthner appartient à l’école nominaliste. En pratique, de nos jours encore (plus encore de nos jours devrions-nous écrire !), et pour demeurer dans les termes de la Querelle des Universaux, toute conception non réaliste de la connaissance équivaut, de fait, à scier la branche sur laquelle on est assis. Les philosophies de la connaissance de facture nominaliste, en réfutant tout arrière-plan aux mots incitent à contester (à réprouver même) tout au-delà à la vie terrestre. Le pyrrhonisme mène alors d’une main ferme à l’agnosticisme (prendrait-il le nom d’un «mysticisme athée» comme le bouddhisme) et au scepticisme moral qu’on nomme de nos jours relativisme. En matières juridique, il a nom positivisme, et politique, totalitarisme.

On le voit : la boucle a été bouclée, et rapidement bouclée. En gros, deux siècles… des Lumières enténébrantes du XVIIIème pour nous situer dans le sillage de Léo Strauss aux régimes (politiques) stricts de ce XXème. (et plus, qui sait ?). Critiquant Mauhner et son scepticisme linguistique, un penseur catholique du nom de Ferdinand Ebner mettait à la même époque en valeur la pneumatologie : la philosophie de l’esprit de la parole. Une parole qui n’est ici pas loin de prendre une majuscule. Via Cessole et Le Rider, de Ben Laden (et Mauthner) à la Parole d’Ebner, on a là le mal et son remède.                        

 

Hubert de Champris

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