Article rédigé par Roland Hureaux, le 25 mai 2012
Au vu du niveau d’impopularité atteint par Nicolas Sarkozy dans les mois qui ont précédé l’élection présidentielle, c’est par une marge de 60% – 40% qu’il aurait dû été battu. C’est d’ailleurs ce qu’annonçaient la plupart des sondages.
N’être défait que d’une courte tête : 51,6 % - 48,4% relève pour le président sortant de l’exploit. A l’origine de ce redressement, d’abord son extraordinaire talent pour mener une campagne électorale. Ses derniers discours furent particulièrement flamboyants. Surtout, son énergie est demeurée intacte jusqu’au bout, l’énergie du désespoir peut-être, contrastant avec la relative placidité du candidat Hollande (sauf dans le débat final où, marqué par ses efforts, Sarkozy a accusé la fatigue).
On sait que Napoléon gagna ses plus belles batailles lors de la campagne de France de 1814, acculé et avec des moyens diminués, mettant tout son talent à retarder l’inévitable défaite. Pour une fois, la comparaison des deux personnages n’est pas absurde.
Le président sortant aurait-il pu aller plus loin et gagner malgré tout, ne serait-ce que de justesse ?
Ceux qui le pensent mettront en cause la « trahison » de tel ou tel, à commencer par François Bayrou dont l’impact sur un électorat centriste de toutes les façons appelé à se diviser est cependant difficile à mesurer.
Tout aussi difficile à mesurer, l’effet des discours (innocents ?) de certains lieutenants de Sarkozy qui, entre les deux tours, répétaient que l’UMP ne conclurait jamais d’accord avec le Front national : la langue française est pourtant assez riche pour contourner la question (comme sut le faire le candidat lui-même) pour ne pas paraître cracher sur des électeurs dont on quémande par ailleurs les voix.
D’autres mettront en cause l’attitude de la presse, en grande majorité acquise au candidat socialiste dans la dernière phase de la campagne. Surtout dans les chaînes publiques que l’on a tant accusé le « petit César » de vouloir les mettre à sa botte. Mais cette partialité, aux limites de la démocratie, n’a-t-elle pas contribué aussi à mobiliser la droite, comme jamais sans doute elle ne l’avait été depuis 1981 ? Il se peut que la droitisation de la campagne, reprochée au conseiller Patrick Buisson ait eu moins un effet direct qu’un effet en retour, le caractère manifestement excessif de certaines attaques contre le président sortant ayant conduit la plus grande partie de la droite, au départ réticente, à resserrer les rangs. Cette ultime mobilisation s’est, semble-t-il, faite d’avantage sur des thèmes identitaires (droit de vote des étrangers) ou les questions de société (mariage homosexuel, légalisation du cannabis) que, comme en 1981, sur le risque du bolchevisme ou de la confiscation des richesses. Il n’est pas sûr, à cet égard, que la propagande de l’UMP sur l’irresponsabilité financière des socialistes ait beaucoup porté, d’autant que le président sortant n’a jamais été sur le plan de la rigueur, une référence.
Par le même effet boomerang, le candidat du Modem a largement perdu sa crédibilité en pointant le doigt, avant toute enquête, à la suite des attentats de Toulouse, vers Marine le Pen et Sarkozy.
Du Front national, le candidat Sarkozy a récupéré à peu près tout ce qui était vraiment de droite. En revanche la composante « nihiliste » du vote Le Pen - le chômeur de longue durée rivé à son canapé depuis quinze ans (il ne le sait pas, mais s’il en est là, c’est à cause de choix économiques comme le franc fort puis l’euro fort où les responsabilités de la droite et de la gauche sont largement partagées !) - fut sans doute peu portée au report vers l’homme au pouvoir.
Le prix de l’incompétence
Mais plus décisif, nous semble-t-il, dans le déficit final de Sarkozy furent les griefs de certaines catégories sociales déterminées que sa campagne du second tour n’a pu que très partiellement apaiser.
Magnifique candidat, Sarkozy fut en effet, il faut bien le dire, un piètre président.
On pourrait admettre à la rigueur que des réformes jugées nécessaires eussent entrainé une impopularité qu’il aurait dû payer : par exemple la réforme des retraites (pourtant faite à minima). Les bienveillants diront alors que gouvernement a payé le prix de son courage. Mais les réformes de ce genre ont été rares et plutôt bien comprises.
Dans l’impopularité du président, il y a davantage : combien de réformes ont été à la fois, inutiles - voire nuisibles quant au fond - et désastreuses sur le plan électoral ? La liste en est longue. Le remue-ménage brouillon des structures de l’Etat (qu’il ne faut pas confondre avec la RGPP, non remplacement d’un fonctionnaire sur deux, qu’à la rigueur on pouvait comprendre dans un pays où les charges publiques ont atteint 56 % du PIB, quasi record mondial). L’extension irréfléchie de méthodes supposées managériales au secteur public. La réforme de l’administration territoriale (inutile et qui avait déjà fait basculer le Sénat). Une réforme brouillonne de la gendarmerie qui a fait que ce corps, généralement de droite, a largement voté à gauche. L’incapacité malgré ces réformes de maîtriser les dépenses publiques. D’inutiles camouflets infligés aux armées (affaire du Rwanda). L’abolition des circulaires Robien à l’Education nationale, l’introduction de la théorie du gender dans le programme scientifique des lycées – sans que le ministre concerné ait vraiment compris, à ce qu’il semble, de quoi il retournait ; le lycée à la carte que personne ne demandait. Une réforme syndicale tendant à ne laisser subsister que les deux grands syndicats de gauche (CGT et CFDT) et à faire disparaître les trois syndicats de droite (CGC, CFTC, FO) : pour remercier le président sortant, la CGT a ouvertement appelé à voter Hollande !
On pourrait continuer longtemps à égrener les réformes ni faites ni à faire, génératrices de mécontentement et qui n’ont pas fait avancer d’un pouce la « modernisation de la France ».
Paradoxe : certaines de ces réformes n’étaient que l’application de décisions prises par la gauche (ainsi la « LOLF » loi de finances votée sous Jospin qui préconise le contrôle quantifié de l’activité de tous les fonctionnaires ou la fusion des corps supposés proches) ou étaient tributaires d’une idéologie de gauche dominante dans certains ministères : ainsi la non-application de peines de moins de deux ans, en contradiction flagrante avec les promesses sécuritaires du candidat Sarkozy et qui, semble-t-il, a remonté la filière hiérarchique sans que personne y trouve à redire. Mais dans bien des cas, c’est à des experts de gauche qu’on s’est adressé pour réformer: ainsi Richard Descoings pour la réforme des lycées. Reconnaissant ainsi sa propre incompétence, la droite ne signait-elle pas, par anticipation, sa défaite ?
Cette incompétence ne fut naturellement pas seulement celle du président, mais aussi d’une partie substantielle de son entourage. A l’inverse dans les rares cas où un ministre compétent a bien géré son département, par exemple, à l’agriculture, Bruno Le Maire (ancien élève de l’Ecole normale supérieure et non d’HEC, soit dit en passant), le président a fait le plein des voix – alors que les affinités de Nicolas Sarkozy avec le monde paysan étaient rien moins qu’évidentes.
Cette incompétence a continué à régner jusque dans la campagne électorale : en proposant stupidement de contraindre les professeurs à rester 26 heures au lycée, le président cautionnait le préjugé répandu dans certains milieux selon lesquels « les profs ne fichent rien », et s’est aliéné ainsi le tiers des enseignants qui votent habituellement à droite.
Le plus inquiétant est que le nouveau président ne remet pas en cause la plupart de ces réformes contre-productives à cause desquelles des professions entières ont voté pour lui. Lui aussi semble prisonnier du même moule idéologique qui mène à tous les niveaux de l’Etat, un processus réformateur devenu fou, tributaire de schémas simplistes, de préjugés ambiants non vérifiés ou de modes nationales ou transnationales.
Ainsi apparaît finalement Sarkozy : à l’instar de Chirac, dont il fut en réalité le véritable fils spirituel, un grand professionnel de la campagne électorale, un amateur de la gestion publique, comme si l’une et l’autre exigeaient des compétences si pointues que plus personne désormais ne pouvait être à la fois un bon candidat et un bon président. Inquiétante dérive de la démocratie élective.
Roland Hureaux est l'auteur de La grande démolition – La France cassée par les réformes – Buchet-Chastel – janvier 2012