Article rédigé par Philippe Oswald, le 18 mai 2012
Les trains de sanctions contre le régime de Bachar El-Assad se succèdent : on en est au quinzième décrété par l’Union européenne ! Mais rien n’y fait : la Syrie s’enfonce dans la guerre civile et confessionnelle. Et la contagion s’étend au Liban.
Les nouvelles sanctions contre le régime syrien adoptées le 14 mai par les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne ont coïncidé avec les journées les plus meurtrières qu’ait connues la Syrie : ce même jour, 23 soldats des troupes régulières ont trouvé la mort dans des combats contre des rebelles. La veille, on dénombrait 45 morts (civils et militaires) dans l’ensemble du pays et encore une douzaine de morts civils le lendemain, 15 mai. En près de 15 mois, cette guerre civile aurait fait quelque 12 000 morts.
Les affrontements entre pro et anti-régime ont gagné le nord du Liban tuant 5 personnes et en blessant 47 autres les 12, 13 et 14 mai à Tripoli. D'un côté, les sunnites adversaires du régime syrien, de l'autre, des alaouites et sympathisants de Bachar el-Assad. Le Liban est devenu un des principaux lieux de passage clandestin d’armes et de combattants en soutien de la rébellion. Le risque majeur qu’encourt à présent le Pays du Cèdre est que ces confrontations gagnent l’armée libanaise où se côtoient sunnites, chrétiens et chiites du Hezbollah, alliés de Damas et de Téhéran. Une internationalisation du conflit plus large encore se profile, comme en témoigne la dénonciation du Kosovo comme terrain d’entraînement de l’opposition armée syrienne par l'ambassadeur russe auprès de l'ONU le 14 mai.
Que va-t-il se passer en Syrie dans les mois à venir ? La fin de Bachar El-Assad paraît inéluctable à plus ou moins long terme. Mais on ne prend pas de risque à faire ce genre de « prédiction », il suffit d’attendre qu’elle se réalise…un jour ! Selon Georges Malbrunot (Le Figaro du 9 mai), trois scénarios sont généralement envisagés par les chancelleries :
1) Un scénario yéménite, celui qu’a concocté à l’Onu l’équipe de l’ex-secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan : un départ du « raïs » en douceur, au terme d’une période de transition, comme pour l’ex président Saleh du Yémen en novembre 2011. Mais il n’y a plus grand monde pour y croire. Les combattants n’ont cure du cessez-le-feu, et les 150 observateurs de l’ONU et collaborateurs civils déployés en Syrie (dont le nombre devrait être doublé à la fin du mois) sont régulièrement pris pour cibles, comme les journalistes. Les six monarchies du Golfe réunies lundi dernier à Ryad ont averti par la bouche du prince Saoud Al-Fayçal que « la confiance dans les efforts de l'émissaire international commence à faiblir sérieusement et rapidement ». Or l’arrêt des hostilités est conditionné par des garanties régionales et internationales impliquant l’Arabie saoudite et le Qatar -principaux soutiens des rebelles- aussi bien que la Russie, principal soutien avec l’Iran du régime syrien…
2) Un scénario libyen paraît encore plus aléatoire : une coalition militaire dirigée par l’Otan chasse ou élimine Bachar al-Assad du pouvoir… ce qui suppose que la communauté internationale ait trouvé un accord. Certes, la Turquie a évoqué cette hypothèse après plusieurs attaques de l’armée syrienne contre des rebelles réfugiés sur son territoire. Mais l’Iran a explicitement averti son voisin turc que toute avancée de son armée en Syrie aurait pour contrepartie l’intervention de ses propres troupes en vertu d’accords bilatéraux noués avec Damas.
3) Quant au troisième scénario, il paraît enclenché. C’est celui d’une sanglante décomposition à l’irakienne, ponctuée d’attentats de plus en plus meurtriers, avec la survie plus ou moins longue de Bachar al-Assad tandis que le peuple cumule les affres de la guerre civile et de l’embargo. Sauf que l’agonie du régime baasiste syrien risque de se prolonger plus longtemps encore que celle du régime baasiste irakien, en raison de la position géostratégique de la Syrie et des soutiens internationaux de poids dont dispose Bachar el-Assad : Iran, Russie mais aussi Irak et peut-être Liban. D’ailleurs la chute de Bachar al-Assad n’apporterait vraisemblablement pas davantage la paix à la Syrie que celle de Saddam Hussein ne la donna à l’Irak.
Une certitude, hélas, quel que soit le scénario : le nombre croissant de victimes innocentes des combats ou des attentats à la bombe comme les deux, monstrueux, perpétrés avec des voitures piégées qui ont fait 55 morts et des centaines de blessés le 10 mai à Damas. Outre les personnes qui ne sont pas particulièrement visées mais seulement présentes au mauvais endroit et au mauvais moment, il y a les victimes ciblées : les minorités confessionnelles, d’abord les alaouites (auxquels appartient le clan d’Assad) mais aussi des chiites et des sunnites « modérés » ainsi, comme d’habitude, que les chrétiens, dont l’exode a commencé : « A Homs, ville d’un million d’habitants, les deux tiers de la population ont fui les lieux. Plus de 90% des chrétiens ont été forcés de partir, souvent sans avoir le temps de rien emporter » expliquait le mois dernier Mère Agnès-Mariam de la Croix supérieure du monastère de Saint Jacques le Mutilé à Sara. Depuis « l’épuration » où se mêlent haine religieuse et banditisme semble se généraliser : par exemple, les familles chrétiennes du village de Al Borj Al Qastal ont systématiquement été chassées de chez elles par les rebelles, le 12 mai.
Sources : Le Monde.fr, Le Figaro.fr, Agences Fides, Misna, Radio Canada
Photo : © Fabio Rodrigues Pozzebom / ABr