Quelle recomposition politique en France après la « vague Marine » ?
Article rédigé par Catherine Rouvier, le 26 avril 2012 Marine Le Pen

Certes il est encore tôt pour un bilan de l'élection présidentielle. Elle ne prendra tout son sens que le 6 mai, lors du vote final. Au vu des résultats du premier tour, Catherine Rouvier envisage les contours de la recomposition politique annoncée par la victoire de Marine Le Pen.

Pour l'heure on se réjouit surtout d'être délivré des élucubrations rocambolesques de Cheminade, des éructations d'Artaud, des appels à la révolution de Poutou et Mélenchon.

On est un peu tristes, à l'inverse, de l'arrêt des  facéties du « Tintin » de la politique française qui a mené les journalistes par le bout du nez, des stations-service aux péages d'autoroutes, ce Dupont Aignan, transformé brutalement de Dupont Gnangan en Dupont Teigneux vers la fin de la campagne dans une agression remarquée du peu sympathique Apathie au sujet de ses revenus qui font sans doute partie de ces salaires « indécents »  évoqués par Hollande dimanche soir.

Nous manquerons aussi les rappels à l'ordre séffères de la  mère fouettard des écolos, démentis par des coups d'œil langoureux de midinette jetés au-dessus de ses lunettes caméléon rouge/vert, les vraies couleurs de son parti.

Mais tentons tout de même un premier bilan post tsunami.

François Hollande et Nicolas Sarkozy  « sentaient monter la vague ». Mais c'est la vague Bleu Marine qui a surtout frappé les esprits dimanche.

Avec 18% des suffrages, celle qu'on n'appelle plus que « Marine » a réussi à se faire un prénom. Mieux, à en faire une « marque », un brevet.

Les commentaires des politiques au soir du 6 mai ont « surfé » sur cette vague Marine avec plus ou moins de bonheur, affichant au gré de leurs positions idéologiques sévérité ou  sérénité (1). Qu'en disent Marine le Pen  et ses porte-paroles ? (2) Que conclure de tout cela relativement à une « recomposition » du paysage politique français ? (3)

Les réactions à chaud de la classe politique

Sur Europe 1, la gauche ouvre le bal avec l'indignation  d'Eva Joly: « La cause du  succès de l'extrême droite, ce sont les apprentis sorciers de l'identité nationale. C’est, sur la France, une tache indélébile ».  Jean Luc Melanchon, peu après, dénonce : « L'extrême droite est à un haut niveau. Honte à ceux qui ont refusé ce combat !  Souvenez-vous du nom de ceux qui nous ont lâchés » (Attention François, gare à  la guillotine). Mais rien ne saurait troubler François Hollande qui se sert aussitôt de l'information pour rameuter son camp : « Ce vote est la sanction d'un quinquennat, le désaveu d'un candidat sortant dont le discours a fait le lit de l'extrême droite, qui n'a jamais eu un score aussi haut, même en 2002 »…Puis c'est au tour de Bayrou de jeter un cri d'alarme  autant que d'impuissance : « L'inquiétude est ce soir brûlante : l'extrême droite à près de 20%… le mal français  est là et il s'aggrave ». 

A droite on est beaucoup plus modéré.

François Fillon avertit, mais mezzo voce - « La crise n'est pas finie, on n'a pas le droit à l'erreur » - et les allusions à un « non républicanisme » lepéniste, jadis dégainées d'entrée de jeu, sont très discrètes, voire subliminales : « Le 6 mai vous allez voter. Faites-le pour l'idéal républicain que nous avons en partage »…

Dans  l'ensemble, plutôt que de « stigmatiser » le vote Marine, on préfère  persister dans l'interprétation classique - quoique clairement  dépassée - d'un vote protestataire : « Il faut répondre aux électeurs inquiets de la crise , du chômage » ( Luc Châtel, ministre de l'Education nationale), « C'est un vote de crise face à ce nouveau monde. Angoisse , souffrance … » ( Nicolas Sarkozy )

Cependant , certains à l'UMP, font entendre une petite musique nouvelle.

Rachida Dati, qui retrouve avec bonheur le rôle de battante qu'elle avait eu dans la campagne de 2007, glisse  mine de rien : « où est la dynamique à gauche quand le FN double ses scores ? » ou encore: « la gauche, monsieur Ayrault notamment, méprise les électeurs du FN. Ce sont des électeurs comme les autres et ils ont peur de voir la gauche au pouvoir »…

Guillaume Peltier, porte-parole de la campagne de Nicolas Sarkozy, répondant aux critiques du journaliste d'Europe n° 1 sur la droitisation de la campagne de Nicolas Sarkozy explique : « Si on n'avait pas fait ce choix, Marine le Pen serait encore plus haute », laissant ainsi penser qu'il ne s'agit plus d'une différence de nature mais de degré entre droite UMP et droite FN. Il ajoute : « C'est ce que le microcosme parisien n'a pas perçu ». Et pour cause puisqu'à Paris le FN était quasiment absent du scrutin (6,2%  pour Marine le Pen contre 32, 2 % pour Nicolas Sarkozy et 34,8 pour François Hollande) et précise : «L'électeur FN doit être considéré ». Par ailleurs, il inclut les électeurs de Marine Le Pen dans le total des droites qu'il dit être «de 45 % à peu près » (27% NS +18% MLP donc) « sans compter les électeurs du modem »… . A la question : « Les partisans de Marine le Pen n'ont- ils pas intérêt à la défaite de Nicolas Sarkozy ? » il réplique : « A votre avis …ils veulent des drapeaux rouges ? Ils veulent des immigrés? »

C'est sans doute à ce mode de comptabilité nouveau  d'une droite s'essayant à inclure le parti « mariniste » que le candidat président Nicolas Sarkozy a fait une allusion à peine voilée en disant à la fin de son discours dimanche soir : « J'appelle tous les français qui mettent l'amour de la Patrie au-dessus de tout intérêt particulier à me rejoindre ». C'est sans doute aux électeurs de Marine le Pen  qu'il a pensé aussi en énumérant ensuite ce qui donne des « angoisses » aux français et sur quoi il veut agir : « la perméabilité des frontières, l'immigration de masse, les délocalisations, l'insécurité »….

Qu'en disent Marine Le Pen et ses porte-paroles ?

Du côté des porte-paroles de Marine le Pen on conteste, comme l'a fait Marie Christine Arnautu dimanche, cette vieille rengaine d'un vote lepéniste d'angoisse et de frustration. « Nous ne sommes ni des angoissés, ni des frustrés. C'est seulement la victoire des français » dit-elle comme en réponse à Luc Châtel et à Nicolas Sarkozy. Elle met aussi l'accent sur ce que la gauche, si prompte d'habitude à saluer l'ascension des femmes, a totalement occulté, en notant sur un ton jubilatoire que : « le troisième homme est une troisième femme ! » qui apparaît, de  fait , comme « la seule vraie force d'opposition ».

C'est ce que dit aussi Florian Philippot, le jeune énarque qui a dirigé la campagne de la candidate : « Il faut un chef de l'opposition face à la gauche …Ce sera Marine Le Pen ». A la question : « Vous souhaitez que Nicolas Sarkozy perde ? » il répond clairement : « Non. Mais pour nous, entre lui et Hollande, ça ne fait pas de différence ». Le journaliste alors, faisant mine de n'avoir entendu que le « non »,  et espérant une réponse instantanée et irréfléchie qui « ferait le buzz »  « Vous inciterez vos électeurs à voter pour  Nicolas Sarkozy alors ? ». C'est raté. Philippot  a une réponse subtile, à triple détente. « Marine s'exprimera sur ce sujet le 1er mai à 11 h ». Les électeurs sont des français libres ! Mais ils ont été tellement déçus… »

Le message est clair. Marine n'appellera sans doute pas à voter contre Nicolas Sarkozy. Elle résistera à la tentation de venger son père, ses électeurs et son parti du refus outrageant par Jacques Chirac du débat d'entre deux tours de 2002, et de la mobilisation anti FN de la droite gaulliste et centriste aux côtés de la gauche. Mais elle n'appellera pas non plus, en l'état actuel des choses, à voter pour lui, laissant ses électeurs libres de leur choix.

Or elle sait - ce que confirment les sondages d'intention de vote au second tour - qu'une  partie de son électorat, lui, n'a pas pardonné et votera Hollande (20%, sondage BVA pour le parisien dimanche soir). Qu'une autre partie, terriblement déçue par Sarkozy de « l'ouverture » à ces ministres gauchisants désormais  retournés dans leur famille politique, s'abstiendra (23% , même source , dimanche soir toujours ). Que seule la frange  de son électorat à laquelle la victoire de la gauche - que ce soit pour des raisons idéologiques, religieuses ou économiques  fait horreur -, votera Sarkozy  (57%, même source). Elle sait aussi qu'avec un report annoncé par les mêmes sondages de 39% seulement des électeurs de Bayrou sur le candidat président , le compte de 45 % « sans compter  les voix de Bayrou » fait par Guillaume Peltier risque d'être 45 % tout compris, y compris les voix de Dupont Aignan ( 1, 81) ….C'est du reste ce qu'annoncent les sondages avec constance depuis le début de la campagne .

C'est en anticipant ces résultats - que seule une déclaration claire avant le 1er mai d'un accord de désistement réciproque au second tour des législatives entre UMP et le « Rassemblement Bleu Marine » pourrait inverser - que Marine et ses conseillers se positionnent en  seul « irréductible opposant à la gauche », le président Sarkozy ayant clairement dit que, battu, il sortirait , comme Jospin en son temps, de la vie politique .

Que conclure de tout cela relativement à une « recomposition » du paysage politique français ?

Marine le Pen, seule opposante irréductible à la Gauche, soit. Mais  à quelle Gauche ?

Comme en écho aux propos de son directeur de campagne, Marine le Pen a dit  un peu plus tard sur la scène de l'Equinoxe : « Nous sommes la seule opposition à la gauche ultra libérale, laxiste et libertaire ». Il s'agit donc de la gauche « des bo-bos  et des gogos », comme dit un  autre de ses porte –paroles,  Paul Marie Couteaux. La gauche caviar, la gauche parisienne, la gauche Strauss Kahnienne, immorale et richissime, bref , celle des principaux cadres du PS… Mais comment concilier cette vocation de « seule opposante à la gauche » avec ce que ses adversaires de droite comme Nathalie Kosciusco Morizet et les frontistes hostiles à sa ligne politique appelaient le « gaucho- lepénisme ? »

Dès ses premières prestations médiatiques comme dirigeante du parti, Marine le Pen a affiché cette ambition d'être la porte-parole du peuple « de droite et de gauche », décevant les tenants de la ligne « droite traditionnelle » - dont certains ont déserté pour rejoindre Carl Lang - et rendant désuète sa classification obstinée par les médias à l'extrême droite ».

 « Son » peuple, c'est celui des PME, des petits commerçants, des artisans, jadis séduits par Poujade dont Jean Marie le Pen fut un des députés puis par Alain Madelin, et celui  des ouvriers naguère séduits par un Parti Communiste fort, avant qu'il ne soit peu à peu étouffé par le baiser qui tue de Mitterrand à partir de 1972 et du « programme commun ».

C'est parce qu’elle se revendique comme la seule protectrice et porte-parole des français de  droite mais aussi de gauche  prolétarisés qu'elle refusera de plus en plus qu'on  lui attribue le qualificatif d'extrême droite" qu'elle a, dès son entrée en politique dans « génération le Pen », récusée. Droite nationaliste populaire et sociale, voilà un intitulé qui serait plus propre à caractériser  le futur parti qu'elle dessine dans sa tête depuis  qu'elle le dirige, et sans doute même avant. Cette évolution donne tout  leur  sens à ses paroles  de dimanche soir :   « Avec ce grand élan de fraternité nous imposerons le grand changement que vous attendez » .

Tout cela laisse deviner que la recomposition dont tout le monde parle ne sera  pas seulement tactique et de surface.

Elle naîtra de la superposition d'un clivage horizontal peuple/élite  au clivage vertical existant gauche /droite  (a) et d'un visage du parti de Marine le Pen  quelque peu modifié (b).

La superposition des deux clivages

Marine le Pen incarne, plus que son père, et plutôt  à la manière de Megret en son temps, le refus d'une Europe dite « supra nationale ». Elle a inscrit, après Villiers, Pasqua, Seguin, ce clivage dans la vie politique de la droite française …

Ce  clivage horizontal divise également la gauche depuis 1992 (pro et anti Maastricht) et s'est accentué en 2005 lors de la campagne pour ou contre la ratification du traité portant une constitution pour l'Europe. Mais il n'avait pas alors de chef de gauche, seul Laurent Fabius ayant clairement revendiqué le « non » au referendum, mais ne l'ayant pas exploité pour créer un nouveau parti. Jean Luc Mélenchon a su exploiter cette différence « peuple patriote /élites mondialisées »

La différence entre les deux camps est cependant que, dans un cas, le clivage est intégré dans le système politique existant puisque jean Luc Mélenchon a fait clairement allégeance à François Hollande alors qu'à droite l'auteur du clivage, Marine le Pen, dit vouloir s'en servir pour « dynamiter » le système  existant  si elle n'est pas reconnue ainsi que ses électeurs comme des partenaires lors des législatives. Notons que, cité sur le site du Monde du 25, d’après un sondage OpinionWay, les électeurs de Marine Le Pen et ceux de Nicolas Sarkozy  sont favorables  - respectivement 59 % et 64 %. !- à une alliance FN-UMP pour les législatives. Les Français ayant choisi François Hollande (PS), Jean-Luc Mélenchon (Front de gauche) et François Bayrou (MoDem) s'y opposent seuls franchement  (92 % pour les électeurs des deux premiers; 72 % pour les électeurs du candidat centriste).

Un  autre visage pour le parti de Marine Le Pen ?

Le futur parti « mariniste », quel que soit son nom (« Le 12 janvier dernier, en toute discrétion, Louis Aliot, numéro deux  du parti , a déposé le nom « Alliance pour un  Rassemblement National » peut-on lire sur le site du magazine Challenges d'hier )  ressemblera au Front National d'origine pour ce qui est de la ligne nationaliste, mais viendront s'y adjoindre des éléments doctrinaux récents relevant d'autres familles de pensée, tels le socialisme ou le libéralisme.

Le nationalisme, composante essentielle

Le nationalisme reste le point central du programme.

Ce  nationalisme n'est pas  « intégral » au sens maurassien du terme car il se réclame de la démocratie et de la République, mais les références fréquentes à la grandeur de la France dans son héritage chrétien et monarchique font que de nombreux monarchistes se sont, dès sa naissance, reconnus dans ce nationalisme frontiste.

Mais il est intégral au sens courant du terme car à la fois interne (défense de l'identité française   contre la communautarisation, protectionnisme économique) et externe (sortie de l'OTAN et politique  d'alliances autonome, sortie de l'euro et politique financière et monétaire autonome)

Le socialisme, des emprunts mesurés

Le  FN était, reste, et restera, très hostile au  socialisme marxiste anarchisant et libertaire des écolos, des trotskistes et d'une partie du PS et du front de gauche qui sévit depuis 1968 en France.

En revanche, le parti flirte volontiers avec une certaine  gauche, celle de la tradition française proudhonienne  jauressienne ou clémenciste

Dans cette mouvance peut s'inscrire l'étatisme de la dirigeante actuelle du FN, qui se limite cependant  à la défense d'un  service public monopole d'Etat, et ne s'étend en  aucun cas  à une  nationalisation des moyens de production telle celle prônée par Marx et appliquée en France en 1945 puis en 1981.

Il s'agit en réalité de l’étatisme traditionnel à la France dès l'ancien régime, mais élargi aux fonctions « non régaliennes » par la troisième  République (école gratuite et obligatoire) puis par ce mélange de communisme et de gaullisme social qui a abouti en 45 à la création de la « sécurité sociale ».

A l'objection du coût pharamineux de cet Etat providence (les deux plus gros postes de dépenses de l'Etat au plan intérieur)  la présidente du Front National répond que ces dépenses ne sont devenues abyssales que du fait de leur extension sans contrôle et quasiment sans limites à des millions d'étrangers, ceux qui ont été naturalisés massivement, ceux qui sont restés illégalement sur le territoire français avec conjoints et enfants, ainsi que les  très nombreux demandeurs d'asile. Sa politique de limitation de l'immigration jointe au remplacement  du droit du sol  par le droit du sang devrait, à l’entendre, générer un coût bien moindre de ces prestations sociales.

Un soupçon de libéralisme, dans sa version originelle

Le libéralisme classique, tocquevillien, est à distinguer soigneusement de l'ultralibéralisme, régulièrement mis en accusation par la présidente du Front National, qui est en réalité un « capitalisme » que les élites politiques médiatiques et patronales  de droite et de gauche courtisent de la même façon.

Le libéralisme  des origines, celui de Turgot ou d'Adam Smith, qui est d'abord une   revendication de liberté individuelle contre toute tyrannie publique ou privée, ne sera pas absent des  programmes  du futur parti, du moins si l'on en croit l'hostilité marquée et répétée de Marine Le Pen  à la tyrannie du « tout sécurité » et du  « tout écologie ». Elle s'est déclarée hostile au « permis à points » et endiguerait volontiers ce  flux continu de lois anti-tabac qui ont fait de nos « premières bouffées » à la fois un luxe hors d'atteinte de nos salaires dépréciés  et une exposition pénible aux intempéries. Par ailleurs, ce libéralisme originel, qui lutte  contre les monopoles  des « ententes » et protège, face aux géants financièrement surpuissants de l'économie mondiale, les PME, les petits commerçants et d'artisans, chers au Front National depuis l’origine, ne peut pas lui être étranger.

Cette brève analyse, fondée sur des « indices » plus que sur des orientations futures pour l'heure non intégralement formulée permet d'imaginer les contours, pour l'heure flous, de la  recomposition annoncée. Ses contours se préciseront en fonction du résultat du second tour. Mais les  appréhender  permet de décrypter  les différentes déclarations ou attitudes des deux candidats restés en lice dans l'entre-deux tours, et de voter dans dix jours en mesurant  mieux les enjeux et les conséquences de nos choix.

 

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