Article rédigé par Philippe Oswald, le 13 avril 2012
L’Eglise vient de franchir la première étape de l’enquête qui pourrait l’amener à proclamer la sainteté du grand savant et défenseur de la vie.
Il y avait plus de fidèles encore que les années précédentes à la traditionnelle Messe pour la vie célébrée à Notre-Dame de Paris, ce 11 avril. C’est que celle-ci suivait une cérémonie rare, et généralement moins populaire : la clôture de l’étape diocésaine du procès de béatification du professeur Jérôme Lejeune (1926-1994). Sans préjuger de l’issue que connaîtra à Rome ce procès, dont c’est la première étape, la force du symbole, dix-huit ans après la mort de Jérôme Lejeune, le dimanche de Pâques 3 avril 1994, n’échappait à personne. En solennisant ainsi cinq années d’enquête diocésaine, l’Eglise, en la personne de l’archevêque de Paris que représentait pour cette cérémonie de clôture Mgr Eric de Moulins-Beaufort, remettait déjà en pleine lumière un des acteurs majeurs du grand combat pour la vie qui se poursuit encore, avec de nouveaux épisodes non moins cruciaux. L’un des principaux candidats à l’élection présidentielle et favori des sondages, François Hollande, n’a-t-il pas inscrit la légalisation de l’euthanasie dans son programme, tout en promettant de mettre en place des centres d’IGV dans tous les hôpitaux ? Le combat contre la « culture de mort » reste donc une priorité « non négociable ».
Certes, une chose est la justesse d’une cause, autre chose la sainteté personnelle de ses défenseurs. S’agissant de Jérôme Lejeune, ceux qui, comme l’auteur de ces lignes, ont eu le privilège de l’approcher, et même, comme journaliste, de l’interviewer, peuvent simplement témoigner de ce qu’ils ont vu, entendu et perçu comme dans un halo. Avec bien d’autres, je ne puis oublier ni la lumière qui émanait de sa personne, ni la clarté de son regard, ni la douceur de sa voix. Et sur ce velours, non pas dissimulée par lui mais comme posée sur un écrin, la lame d’une détermination inflexible.
Contre vents et marées
Découvreur du chromosome surnuméraire causant la trisomie 21, le Pr Lejeune, tout en s’acharnant à trouver une thérapie, mena contre vents et marées le combat contre l’avortement légal. Sa logique rendait sa position inexpugnable : il l’énonça d’emblée face au docteur Pierre Simon, cofondateur du Planning familial et ancien grand maître de la Grande Loge de France, dans cette interview contradictoire que j’avais menée pour Le Figaro Magazine (5 mai 1979) auquel je collaborais alors. A la question : « Après quatre ans d’application de la loi Veil, êtes-vous toujours un adversaire résolu de cette loi ? », Jérôme Lejeune répondit en effet : « Médecin, je suis adversaire de la maladie et de la mort, et partisan résolu de la vie. Or l’avortement consiste à éliminer un être humain extrêmement jeune : c’est une sorte de racisme des vieux contre les très jeunes, des puissants contre les faibles ou, lorsque l’enfant est souffrant, des bien-portants contre les malades. Ce racisme-là est aussi laid et aussi dangereux que les autres… » L’article avait fait la couverture du Figaro Magazine, illustrée par le dessin très suggestif d’un oiseau s’apprêtant à fracasser son œuf…Quel journal grand public oserait aujourd’hui une telle illustration sur ce sujet plus que jamais tabou, en raison du nombre élevé de femmes ayant subi un ou plusieurs avortements du fait même de la loi Veil ? (On compte de nos jours en France un avortement pour quatre naissances !)
Une immense solitude
Mais dès le début, le combat pour la vie fut violent, implacable. Et à son niveau de chercheur de premier plan, Jérôme Lejeune le mena dans une immense solitude. Lui et sa famille, femme et enfants, en subirent les conséquences quotidiennes, tant le nom de Jérôme Lejeune était conspué, vilipendé sur les antennes, dans les journaux, sur les murs. Et il y aurait beaucoup à dire sur le silence, voire la réprobation, qu’il essuya de la part de certains membres de l’Eglise d’alors, spécialement en France. On ne pouvait lui pardonner le contraste entre son courage éclairé et la lâcheté rampante qui avait précédé le vote de la loi Veil (les « mémoires » du Garde des sceaux de l’époque, le regretté Jean Foyer, qui avait tenté en vain des démarches personnelles auprès de certains membres de la hiérarchie catholique pour obtenir une déclaration solennelle, sont confondantes à ce propos).
Le soutien et l’amitié de Jean Paul II
Heureusement, ou plutôt providentiellement, Jérôme Lejeune allait recevoir bientôt de la tête de l’Eglise mieux que de la compréhension et des encouragements, un appui et très vite une amitié indéfectibles de la part du pape Jean Paul II. On a pu en lire, sur le livret de la cérémonie de clôture de l’enquête diocésaine, un écho particulièrement significatif dans le message que le souverain pontife avait adressé à l’archevêque de Paris, le cardinal Jean-Marie Lustiger, en avril 1994, lors de la mort de celui que le pape nomme « notre frère Jérôme ». Citons-en quelques extraits en guise de conclusion : «…le professeur Lejeune a toujours su faire usage de sa profonde connaissance de la vie et de ses secrets pour le vrai bien de l’homme et de l’humanité, et seulement pour cela. Il est devenu l’un des défenseurs ardents de la vie, spécialement de la vie des enfants à naître qui, dans notre civilisation contemporaine, est menacée au point que l’on peut penser à une menace programmée. » Et Jean Paul II de poursuivre avec des mots qui prennent, dix-huit ans plus tard, des allures prophétiques : «Aujourd’hui, cette menace s’étend également aux personnes âgées et malades. Les instances humaines, les parlements démocratiquement élus, usurpent le droit de pouvoir déterminer qui a le droit de vivre et, inversement, qui peut se voir dénier ce droit sans faute de sa part. De différentes manières, notre siècle a fait l’expérience d’une telle attitude, surtout pendant la dernière guerre mondiale, et aussi à la fin de la guerre. » En d’autres termes, le pape nous avertissait que de telles législations dites « permissives » nous faisaient en réalité sombrer dans un nouveau totalitarisme. Pas étonnant que ses promoteurs n’aient rien ménagé pour tenter de réduire au silence Jérôme Lejeune. Jean Paul II n’avait pas manqué d’évoquer ces persécutions dans le paragraphe suivant : « Le Professeur Jérôme Lejeune a pleinement assumé la responsabilité particulière du savant, prêt à devenir un « signe de contradiction », sans considération des pressions exercées par la société permissive ni de l’ostracisme dont il était l’objet. »
Le courage : peut-être la plus rare des vertus dans les temps que nous vivons. Gageons qu’elle ne sera pas oubliée par l’Eglise dans l’examen qui lui permettra, nous l’espérons, de proclamer l’« héroïcité des vertus » de Jérôme Lejeune.