Article rédigé par , le 06 avril 2012
Il captive la langue française pour mieux la libérer, en dégager les fragrances, faire d’elle une huile essentielle, et d’abord à notre bien-être. La langue unique, uniformisatrice, uniformisante et castratrice, c’est bien évidemment l’anglo-américain, le ‘‘globish’’ du ban de la City, de l’arrière-ban de nos bourgs dont notre linguiste montre au début du livre combien il est notre adversaire commun, très commun (et même, en premier lieu du pur anglais shakespearien.) Claude Hagège explique les emprunts, les allers-retours, les interpénétrations, à l’époque consenties, naturelles entre les langues qui descendent du westique, cette branche occidentale du germanique commun (langues des Angles, Saxons et Jutes), le futur anglo-normand, le français définifif (si tant est que l’on puisse accoler cet adjectif au mot langue) et le latin. Il nous fait écouter le son du canon propre à chaque langue, c’est-à-dire sa règle, son esprit. L’esprit des lois d’un pays, c’est l’esprit de la langue qu’on y pratique. Il nous avertit des dangers d’une langue qui, de véhiculaire, pourrait bien devenir vernaculaire et, de la sorte, s’impatroniser non plus seulement dans les cervelles body-buildées de nos contrées prétendument civilisées mais, pour leur plus grand mal, dans les consciences les plus reculées de la savane.
Même s’il sous-estime les prédéterminismes propres aux essences religieuses, voire ethniques, cet ouvrage n’en est pas moins d’une grande richesse. Notre séducteur de la langue nous invite à poser ce genre de questions : n’existerait-il pas un esprit de chaque langue, indépendant de celui du locuteur (chaque idiome serait animé d’une âme, animus intangible) ? Ne peut-on établir un parallèle entre les étapes de la formation d’un peuple, et celle d’une langue ? A-t-il existé dans la nuit des temps un peuple primordial auteur et promoteur d’une langue primordiale ? Au départ, la pensée n’est-elle pas toujours première ? (C’est elle qui initie la langue.)
Autant Claude Hagège s’écoute parler tant il sait sa langue belle, autant il ne se regarde pas écrire tant il est emporté par sa fougue stylée. Il y a trois ans, au Festival des grands voyageurs de Saint Malo, l’îlot traversé à gué, il s’est arrêté devant le tombeau de Chateaubriand (ah ! de Gaulle, Chateaubriand, patronymes bienheureux… quand se dire tel, se nommer tel, c’est être tel). Bientôt, l’ancien professeur au Collège de France s’en ira à nouveau face aux falaises d’albâtres, celles de la perfide Albion ; il s’en ira se dire qu’il domine plein de latin, d’abstractions et de baratin, l’anglo-américain. Puis, l’air de rien, l’air marin, s’en retournera la tête sifflant un certain quatrain libertin, épicurien qu’on lui avait naguère soufflé.
Et tous, naturellement, nous admirerons cette capacité qu’il a, de retenir les langues, beaucoup de langues, même si, pour notre bonheur et notre gouverne, il ne sait retenir la sienne.
Hubert de Champris
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