Super Tuesday, the day after
Article rédigé par Pierre Jovanovic, le 23 mars 2012 Traditionnellement, le scrutin du « Super Tuesday », le 6 mars dernier, permet de départager les candidats des primaires

L’investiture du Parti républicain, en vue de l’élection présidentielle américaine de novembre prochain, est toujours suspendue dans l'incertitude. 

L’investiture du Parti républicain, en vue de l’élection présidentielle américaine de novembre prochain, est toujours suspendue dans l'incertitude. Traditionnellement, le scrutin du « Super Tuesday », le 6 mars dernier, permet de départager les candidats des primaires. En 2008, l’émergence nationale de John McCain avait ainsi clarifié l’ambiguïté entre l’ancien gouverneur de l’Arkansas et pasteur baptiste Mike Huckabee, chantre des valeurs conservatrices, et un certain Mitt Romney. Ce dernier fut à l’époque disqualifié pour son côté snob - qu’il a largement corrigé depuis -, et sa modération centriste - qui lui est toujours reprochée. Aujourd’hui, bien que l’ancien gouverneur du Massachussetts détienne d’ores et déjà le tiers des 1 440 délégués nécessaires pour emporter l’investiture à la Convention de Tempa (Floride) en août, il ne suscite pas d’élan populaire au sein de la base.

Les primaires républicaines prennent donc  le chemin d’une longue guerre d’usure, comparable au duel acharné entre Hillary Clinton et Barack Obama en 2008. Cette situation profite évidemment au président sortant dont l’attraction reste forte, malgré une reprise économique fragile. C’est ce qu’a bien compris le Premier ministre de l’État d’Israël, Benjamin Netanyahu, qui avait parié pendant plusieurs mois sur l’élection d’un républicain lié au lobby pro-israélien, mais qui a dû se résoudre à conserver Barack Obama comme interlocuteur.

L’absence de leadership chez les républicains, qui dure, en réalité, depuis le départ de George W. Bush et l’éclatement du consensus reaganien ; le conservatisme économique uni au conservatisme sociétal et la solidité de l’administration Obama radicalisent les prises de position, alors même que le débat du HSS Contraception Mandate agite passionnément l’Amérique. 

Le remboursement de la contraception est imposé aux hôpitaux privés y compris aux établissements tenus par l’Église catholique : il ne s’agit pas seulement d’une pression sur la bioéthique mais d’une intrusion de l’État fédéral dans la puissante société civile américaine, ce qui le rend doublement inacceptable. Les trois quarts des évêques américains se sont élevés violemment contre le projet de loi, le populaire et nouvellement cardinal de New York, Mgr Timothy Dolan, en tête. Le speaker républicain de la Chambre des représentants, John Boehner, l’a qualifié d’ « attaque contre la liberté religieuse ». L’auteur catholique George Weigel n’a pas hésité à comparer le Contraception Mandate avec le décret de 1953, en Pologne communiste, qui donnait au régime le pouvoir de nommer les évêques… C'est un point Godwin qui renvoie aux fantasmes du camp républicain envers la pensée « socialiste » (ou supposée telle). La bioéthique et les mœurs sont redevenus des fractures dans ce que CNN n’a pas hésité à appeler la « guerre culturelle 2.0 » entre progressistes et conservateurs.

Une aubaine pour l’ancien sénateur de Pennsylvanie Rick Santorum, « poster boy » (tête d’affiche) de la « droite religieuse » du Parti républicain : catholique traditionaliste, père de famille nombreuse marié à une charmante épouse faisant l’école à la maison, défenseur des valeurs morales,  il est la coqueluche de l’électorat protestant évangélique, très présent dans le Sud des États-Unis, la Bible Belt. En outre, Santorum est favorisé par la nouvelle composition de son parti : 62 % des républicains se disaient conservateurs au début des années 2000, ils sont 71 % aujourd’hui.

Toutefois, malgré l’appui financier du milliardaire évangélique Foster Friess et ses récentes victoires dans des États sudistes clefs, tels le Mississippi et l’Alabama, celui qui est parvenu à s’installer dans le rôle d’alternative crédible à Mitt Romney, est  loin de menacer son challenger, qui a trop d’avance en nombre de délégués. En outre, le maintien de la candidature de Newt Gingrich l’empêche de mettre la main sur la totalité de l’électorat conservateur.

En France, les primaires républicaines sont une source d’inspiration inépuisable pour les blogs de la « cathosphère » les plus militants, qui partagent peu ou prou la même idéologie que Rick Santorum et Newt Gingrich : le combat pro-vie, la promotion d’une morale publique traditionnelle et l’attachement au marché libre. Ils envient, en outre, l’activisme politique des évêques américains. Cependant, en 2008, 54 % des catholiques américains avaient voté pour Barack Obama. En effet, si les attaques répétées du camp démocrate - gagné au progressisme comme le Parti républicain l’est au conservatisme -  contre la vie et la famille sont autant de blessures infligées à l’Église, la soumission des républicains aux dogmes néolibéraux et leur mépris des questions sociales posent également problème aux catholiques et à un certain nombre de protestants.

Nombre de partisans de Rick Santorum procèdent ainsi à un tri stupéfiant dans la doctrine catholique : ainsi, le blog CatholicVote.org, « association patriotique catholique », vomit les recommandations du Conseil pontifical Justice et Paix, vulgaire « note bureaucratique de la Curie ». L’accueil de ces milieux à l’encyclique « socialiste » Caritas in Veritate avait été glacial. Quand à George Weigel, fervent défenseur des aventures militaires américaines, il écrivait en 2003, lors de la guerre en Irak : « les arguments moraux [contre le conflit] sont, au mieux, une pieuse diversion, au pire, une fatale distraction devant le péril ».

De fait, le bellicisme qui caractérise actuellement Mitt Romney, Rick Santorum et Newt Gingrich, partisans d’une guerre préventive contre l’Iran, et leur alignement sur la droite israélienne la plus dure, n’ont jamais autant incarné le contraire exact des orientations des papes Jean-Paul II et Benoît XVI. Sur ce sujet, le seul candidat qui tienne un discours radicalement novateur est le libertarien Ron Paul, vieil habitué de la commission des Affaires étrangères du Congrès. Pour la première fois, un républicain s’attaque au dogme de la « paix garantie par la force » (« peace through strength ») et pointe du doigt la complexité des relations internationales, tant dans son propre camp que face à l’administration Obama. Les convictions de Ron Paul ont provoqué la marginalisation de ses partisans au sein du Parti républicain, qui se retrouve accusé de fraude dans l’organisation de certaines primaires.  

L'investiture républicaine sera probablement accordée à Mitt Romney, alors que son profil centriste est le plus à même de brasser large et de séduire les électeurs indépendants ou démocrates conservateurs. Début mars, une enquête de l’institut de sondages Scott Rasmussen lui donnait une avance de 6 points sur Barack Obama, à 48 % contre 42 %.