Article rédigé par Valeurs actuelles, le 16 mars 2012
Dans un papier paru il y a un mois dans Valeurs actuelles, Fabrice Madouas fait le point sur la réforme des 35 heures à l'hôpital et en révèle les failles. Aujourd'hui, le fonctionnement des hôpitaux est gravement handicapé par cette mesure qui le freine et conduit à une mise en danger des malades.
En 2002, la gauche a décidé d’appliquer la réduction du temps de travail. Sans préparer l’avenir. L’addition s’alourdit encore.
Le premier a dit, en novembre 2002 : « Pour former un médecin, il faut dix ou douze ans. Nous avons été incapables d’anticiper l’appauvrissement démographique qui s’est maintenant installé. Le pire aura été, dans ce contexte, de vouloir imposer les 35 heures, sans parler du repos compensatoire. Quand on y songe avec un peu de recul, c’est consternant. »
La deuxième a reconnu, en septembre 2003 : « Il aurait mieux valu étaler la mise en place des 35 heures au fur et à mesure des recrutements effectifs. »
Le troisième a conclu, en 2005 : « Nous avons commis une erreur sur un point : nous n’aurions pas dû faire les 35 heures à l’hôpital tant que le personnel nécessaire n’était pas recruté et formé. »
Le premier, c’est Bernard Kouchner. Il était ministre délégué à la Santé quand il a négocié avec les syndicats l’application des 35 heures à l’hôpital. La deuxième est Élisabeth Guigou, ministre de l’Emploi et de la Solidarité, qui avait succédé à Martine Aubry en octobre 2000. Le troisième n’est autre que Lionel Jospin, premier ministre quand cette décision fut prise.
Tous ont donc admis leur erreur après coup. Mais tous savaient avant. Le gouvernement de Lionel Jospin savait que l’application des 35 heures allait désorganiser le travail des médecins et de leurs équipes. Il savait que cette décision risquait, en conséquence, de détériorer la qualité des soins. Et pourtant, les socialistes l’ont fait. Puis ils ont laissé la droite déminer une situation périlleuse, encore aujourd’hui : le ministre du Travail et de la Santé, Xavier Bertrand, a dû négocier un nouvel accord avec les médecins, signé la semaine dernière (Valeurs actuelles du 26 janvier).
Pourquoi ? « Nous avons voulu forcer le rythme et imposer cette réforme sans impliquer les gens. Fabriquer du bonheur à marche forcée… », tente d’expliquer Bernard Kouchner dans son livre Le premier qui dit la vérité… (Robert Laffont, 2002). Une explication sans doute sincère : il est dans la nature de la gauche de vouloir faire le bonheur des gens, parfois contre eux-mêmes et souvent avec l’argent des autres. Mais une explication partielle.
“C’était trop beau pour être vrai”, se rappelle un négociateur
L’accord sur les 35 heures à l’hôpital fut paraphé par les syndicats en un temps record. « L’affaire a été rondement menée, pour ne pas dire au pas de charge », note la Tribune, le 14 septembre 2001. « C’est que Bernard Kouchner accède à presque toutes les revendications des médecins hospitaliers », ajoutent les Échos, le 19 octobre. Les personnels médicaux espéraient 5 à 10 jours de RTT. Les socialistes leur en accordent 20.
« Sur arbitrage personnel » de Lionel Jospin, précise Élisabeth Guigou, le nombre de créations d’emploi liées aux 35 heures est porté de 40 000 à 45 000 – auxquelles s’ajoutent 3 500 postes de médecin. « Cela fait 6 % de hausse des effectifs des agents hospitaliers », souligne la Tribune. « Les 35 heures vont permettre de décloisonner les services, d’enrichir le contenu des tâches, de développer la qualité du service rendu et d’améliorer les conditions de travail », promet Martine Aubry.
« C’était trop beau pour être vrai », confiera plus tard le président de la Coordination médicale hospitalière, François Aubart, dans le Parisien. Nous étions à quelques mois de la présidentielle. « Les élections approchant, votre gouvernement a décidé d’appliquer la réduction du temps de travail à l’hôpital alors que les personnels soignants font défaut », accuse Bernard Accoyer, alors député de Haute-Savoie. La réforme est pourtant adoptée par la gauche, malgré les mises en garde de la droite. « Nous étions tétanisés à l’idée de voir les Hôpitaux de Paris faire grève et contaminer les 800 000 salariés du secteur », avouera plus tard un ancien conseiller ministériel socialiste.
Les hôpitaux ont eu moins de trois mois pour s’adapter à cette révolution. Ils n’y parviendront pas. Avant même la fin de l’année 2002, la Mission nationale d’évaluation de la mise en place de la RTT dans les établissements de santé recense les dysfonctionnements provoqués par cette réforme. On lit dans son rapport, remis à Jean-François Mattéi, alors ministre de la Santé, que : « la RTT a souvent été considérée davantage comme un problème supplémentaire à gérer que comme une opportunité » ; « les tensions à l’intérieur des équipes se sont accrues avec la diminution des temps de chevauchement » ; « l’application des procédures d’hygiène serait sur certains sites en recul » ; « les fermetures d’été, qui ont concerné davantage d’unités, auraient fréquemment été plus longues » ; « le coût à payer se traduit par la diminution des temps d’ouverture des secrétariats médicaux et administratifs et, d’une manière générale, par l’augmentation des files d’attente des courriers et des dossiers ». Enfin, « au plan personnel, les agents constatent un paradoxe : leur fatigue augmente avec la diminution du temps de travail ».
« L’application des 35 heures conduit à des mesures inacceptables qui font courir de réels dangers aux malades », résument Bernard Debré et Philippe Even, deux éminents professeurs de médecine, dans un livre paru la même année : Avertissement aux malades, aux médecins et aux élus (Le Cherche Midi, novembre 2002). « Elles ont fait l’effet d’une déflagration, dans un contexte de pénurie d’infirmières, dans des services qui travaillaient en sous-effectifs permanents. » « Décréter brutalement les 35 heures sans anticiper leurs conséquences, c’est grave, je dirais même que c’est irresponsable », concluait Jean- François Mattéi dans Valeurs actuelles, le 3 janvier 2003. Les emplois promis mettront des années avant d’être pourvus. À l’époque, 15 000 à 20 000 postes de soignant étaient vacants, faute de candidats. On fit même appel à des infirmières espagnoles ! « Les recrutements effectifs sont parfois difficiles pour les personnels soignants, voire impossibles pour les personnels médicaux », constatait la Mission d’évaluation des 35 heures en 2002. « La situation est d’autant plus préoccupante qu’un tiers au moins des infirmières devraient partir à la retraite avant 2010, écrivions-nous le 14 septembre 2001. […] Cette pénurie survient alors que les besoins en matière de santé ne cessent de croître » en raison du vieillissement de la population, et que l’exercice de la médecine requiert des compétences toujours plus grandes. À ces contraintes techniques s’ajoute un alourdissement des tâches administratives, qui réduisent le temps consacré aux soins.
Soucieux de maintenir la qualité des soins dans ce contexte difficile, les médecins hospitaliers et les personnels soignants ont accumulé sur leur compte épargne-temps les RTT qu’ils n’ont pas pu prendre pendant des années. Il faut aujourd’hui les leur régler. Selon l’estimation la plus courante, il en coûtera 600 millions d’euros – rien que pour les médecins – alors que bon nombre d’hôpitaux sont en déficit. Les socialistes n’ignoraient rien des conséquences de leur réforme. Ils ont fait mine de les ignorer.
Source : Valeurs Actuelles
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