Article rédigé par Antoine Besson, le 16 mars 2012
Ce lundi 12 mars 2012, au palais d’Iéna, siège du Conseil économique, social et environnemental, tous les acteurs du colloque organisé par les Apprentis d’Auteuil étaient d’accord. Le pessimisme qui règne sur les questions scolaires, sociales et d’insertion est le premier des maux qui mine la jeunesse aujourd’hui. Pour autant, ils s’accordent également sur un constat peu brillant.
Une jeunesse en difficulté
Ce colloque était l’occasion pour de multiples acteurs de se rencontrer et de réfléchir ensemble sur des problématiques relatives à la jeunesse qui concernent l’ensemble de la société et ses métiers. De l’éducatrice spécialisée pleine d’entrain et d’énergie au juge pour enfant politisé, tous étaient là, à l’écoute.
De ces rencontres ressort la conviction qu’il existe une volonté forte de faire bouger les lignes et de nombreuses énergies prêtes à se mobiliser dans ce but. Mais il apparaît aussi que le projet de refondation systémique porté par tous ne sera possible que si les politiques en prennent réellement la mesure et que le projet soit initié depuis le plus haut échelon de l’Etat. La prise de conscience est le premier pas de la refondation de la politique pour la jeunesse. Raison pour laquelle les Apprentis d’Auteuil souhaitaient « interpeller les candidats aux élections de 2012 » ce lundi par un colloque et précédemment par la publication d’un Playdoyer pour la jeunesse en difficulté.
Les chiffres clefs d’une crise profonde
Aujourd’hui, près de 150 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire « sans diplômes » [1]. 40 000 sont même dit « sans qualification » [2]. Mais le problème ne concerne pas seulement ceux qui sortent du système (ceux qui décrochent, dit-on). Sur 6,5 million d’écoliers recensés en 2009 [3], 40% ne possédent pas les acquis censés être maîtrisés en quittant le CM2. Un jeune sur cinq ne sait pas lire correctement [4] et redouble au moins une fois avant la fin de l’école primaire. Et ces difficultés ne font que s’aggraver à mesure que les jeunes avancent dans leur parcours scolaire.
Sur le plan social, les chiffres ne sont pas plus rassurants. L’échec de la prise en charge de la jeunesse n’est pas seulement du côté de l’école. Bien souvent, les enfants sont également confrontés au stress et aux difficultés dans leur environnement familial. Quand on les interroge sur leur perception de l’éducation des enfants, les parents répondent que c’est beaucoup d’interrogations (pour 88 à 95% d’entre eux), d’inquiétudes (pour 85 à 90%), de stress (pour 60 à 69%) et de difficultés (pour 52 à 65%) ! 300 000 enfants ont bénéficié de l’Aide sociale à l’enfance en 2009, dont 150 000 ont été placés [5]. 40% des femmes ayant de jeunes enfants sont concernées par un rythme de travail atypique (soir, nuit, samedi ou dimanche) [6]. Plus de 2 millions d’enfants vivent dans une famille pauvre [7], 600 000 subissent les conséquences du mal logement [8], 8% des femmes enceintes accueillies par Médecins du Monde vivent à la rue et le nombre de mineurs accueillis par l’association humanitaire à augmenté de 30% entre 2008 et 2010 [9].
Enfin, troisième lieu très significatif de la crise qui touche la jeunesse, l’insertion sociale et professionnelle. Au premier semestre 2009, 52% des jeunes sans aucun diplôme de l’enseignement secondaire étaient au chômage [10]. C’est cinq fois plus qu’en 1975 où ils étaient 11%. En conséquence, 21% des jeunes sont pauvres contre 13,5% sur l’ensemble de la population [11]. Leur nombre a augmenté de 32% entre 2002 et 2008 [12]. Ces jeunes rencontrent de plus en plus de difficultés à se loger (la part des loyers et des charges fixes est passée de 50 à 75% du budget annuel des ménages des pauvres [13]) et 20% des appels reçus par le 115 en 2010 (numéro d’urgence sociale pour les sans-abris) provenait de jeunes agés de 18 à 25 ans [14].
Toute cette pression a des conséquences extrêmement graves sur la jeunesse française. Plus d’un enfant sur dix est touché par un ou plusieur troubles mentaux [15] et 30% des adolescents présentent à l’âge de 18 ans « un niveau élevé de dégressivité » [16]. Le suicide est la seconde cause de mortalité chez les jeunes [17].
Cette avalanche de chiffres est certe quelque peu indigeste mais elle révèle avec une cruelle objectivité l’urgence de la situation.
La Fondation d’Auteuil interpelle les politiques
La jeunesse est l’avenir du pays. Si cette affirmation est un lieu commun de la politique, la Fondation d’Auteuil s’inquiète cependant que les candidats à l’élection présidentielle, forcément tournés vers l’avenir, ne prennent pas davantage en compte cette donnée essentielle.
Aucune politique à long terme n’est viable sans un système éducatif fiable destiné à tous et capable de transmettre à tous les jeunes les fondementaux de la langue française et des mathématiques. Aucune société n’est réellement fiable si elle laisse se marginaliser une part de son capital générationnel dans la pauvreté et le chômage.
Ce qui est ici mis en cause ce ne sont pas des connaissances abstraites mais plutôt de compétences. Le système scolaire de la République est-il suffisament compétent ? Le modèle selon lequel il se développe a-t-il atteint ses limites ou bien au contraire faut-il faire plus d’efforts pour que ses principes fondateurs soient davantage mis en pratique ? Les formateurs recoivent-ils la formation nécessaire qui garantira leur compétence ?
Les mêmes questions se posent quant à la prise en charge sociale. Les acteurs sociaux sont-ils bien formés et compétenst ? Leurs statuts et missions sont-ils définis de façon à garantir leur efficacité ? Ne faudrait-il pas, par exemple, dissocier les missions de contrôle des missions d’accompagnement de façon à restaurer la confiance entre les acteurs sociaux et la population qu’ils sont chargés de prendre en charge et d’encadrer ? L’Etat a-t-il clairement défini la finalité de son système social ?
Ce sont toutes ces questions qui devraient aujourd’hui animer le débat politique. Pourtant, les candidats restent très discrets sur ces thématiques alors même que 95% des Français considèrent que la jeunesse doit être une priorité dans l’élection présidentielle [18]. Près de deux Français sur trois déclarent qu’ils ne voteront pas pour un candidat qui n’apporterait pas d’éléments de réponse aux problèmes des jeunes en difficultés [19].
L’urgence d’une solutiond de terrain
Le mouvement ATD Quart Monde France, présent à ce colloque, a lancé le lendemain une plateforme citoyenne intitulée « Construire ensemble l’école de la réussite de tous ». « L’accès de tous au droit fondamental à l’éducation (article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme) doit se faire avec tous et par la mobilisation de tous » [20]. S’appuyant sur « l’expérience, la pensée, l’expression des parents, des jeunes, des enfants connaissant la grande pauvreté » la fondation a établi un ensemble de propositions qu’elle souhaite porter à la connaissance des candidats et de « tout citoyen intéressé par la réussite de tous et toutes à l’École puisse se saisir de ces propositions et les soutenir ».
« La mise en œuvre de ces propositions initiera des ruptures par rapport à l’état actuel de l’école » avertit d’entrée de jeu ATD Quart Monde sur sa nouvelle plateforme. « Les propositions n’ont pas vocation à constituer un projet global sur l’École. Elles portent sur quatre thèmes identifiés comme déterminants pour les enfants et les jeunes les plus défavorisés et s’articulent entre elles :
- Dialoguer, travailler ensemble parents, professionnels et enfants…
- Pour donner à tous les enfants la possibilité de coopérer, de travailler et créer ensemble.
- Pour atteindre ces objectifs : mettre en œuvre une formation initiale et continue adaptée des professionnels de l’École.
- Permettre une orientation réfléchie »
La Fondation d’Auteuil, partenaire de cette nouvelle plateforme n’est pas non plus en reste. Elle est l’un des acteurs les plus présents en France auprès de la jeunesse en difficulté et possède aujourd’hui une expertise précieuse sur l’accompagnement et l’insertion des jeunes en difficulté. Dans la préface de son Playdoyer pour la jeunesse en difficulté publié cette année à l’attention des candidats aux élection de 2012, son président, Bernard Prévost, et son directeur général, François Content, affirment « les jeunes ne peuvent plus être un objet de discours ou de débat : ils s’imposent comme sujet d’action ». Les Apprentis d’Auteuil appellent donc aujourd’hui et particulièrement à l’occasion de ce précédent colloque sur l’urgence d’une action sur le terrain. Une action qui pourrait par exemple s’inspirer des expériences de la Fondation. « Nous expérimentons des solutions mais nous avons besoin de vous pour les démultiplier » expliquent-ils au candidats. « Nous avons besoin de vous à nos côtés pour poursuivre ces actions, pour expérimenter et pour innover. Concrètement. Durablement. » concluent-ils.
La peur des jeunes
Remarquons qu’à l’issue des trois tables rondes du colloque, la conclusion s’impose que la société française dois faire face aujourd’hui à de nombreuses peurs dans lesquelles elle enferme sa jeunesse. La peur de l’échec scolaire qui empêche les plus timorés ne serait-ce que d’essayer. La crainte qu’une difficulté à l’école soit insurmontable. La peur de l’échec professionnel qui condamne d’autres jeunes à chercher des modes de survie dans les circuits parallèles se mettant d’eux-mêmes à la marge de la société. La peur des jeunes parents de ne pas parvenir à éduquer correctement leurs enfants, etc…
Au final, si la France fait autant peur à ses jeunes, ne serait-ce pas parce qu’en premier lieu, ce sont ses jeunes qui lui font peur ? Si c’était le cas, tout ce travail de refondation systémique qu’appelle de ses vœux la Fondation d’Auteuil et de très nombreux acteurs sociaux passe avant tout par une remise en question de la perception des jeunes. Il est urgent de réconcilier la France avec elle-même. Avec son avenir. Avec ses enfants.
Retrouvez tous les articles sur l'éducation dans notre dossier :
[1] Rapport de la mission parlementaire sur la prévention de la délinquance des mineurs et jeunes majeurs 2010
[2] « La baisse des sorties sans qualification : un enjeu pour l’employabilité », Minsitère de l’Education Nationale, 2010
[3] « L’Education nationale en chiffres », Ministère de l’Education Nationale, 2009.
[4] Evaluation de la JAPD, 2009 – Jeunes agés de 17 à 25 ans
[5] « Les bénéficiaires de l’aide sociale départementale en 2009 », DREES, 2011
[6] Rapport « Précarité et protection des droits de l’enfant », la Défenseure des Enfants, 2010
[7] Enquête « Revenus fiscaux et sociaux », Insee, 2008 (seuil établi à 60% du revenu médian)
[8] La Défenseure des Enfants, Ibid
[9] « L’accès au soin des plus démunis en 2011 », Médecins du Monde
[10] Enquête RERS 2010, Ministère de l’Education Nationale – Jeunes sortis depuis moins de cinq ans de formation initiale.
[11] Enquête « Niveau de vie en 2009 », Insee, 2011 – jeunes agés de 18 à 24 ans, seuil de pauvreté établi à 60% du revenu médian soit 880 €/mois pour une personne seule.
[12] Calcul de l’observatoire National des Inégalité à partir de données Insee, 2011 – Jeunes agées de 18 à 29 ans.
[13] Julien Damon, débat « Eliminer la pauvreté » co-organisé par Ashoka et Groupe SOS, 19 octobre 2010 – Les ménages dit pauvres sont ceux vivant avec moins de 950 €/mois.
[14] Observatoire nationale du 115, 2011
[15] « Troubles mentaux : dépistage et prévention chez l’enfant et l’adolescent », INSERM, 2003
[16] Marie Choquet, Directeur de recherche à l’INSERM, intervention au colloque du 7 novembre 2006.
[17] « Etudes et résultats », DREES, 2006
[18] Sondage AFEV – Audirep – Fondation BNP Paribas, 2011
[19] Sondage Viavoice pour Apprentis d’Auteuil. Interview réalisées par téléphone du 25 au 31 mai 2011. Echantillon de 1000 personnes, représentatif de la population française de 18 ans et plus.
[20] pour reprendre le titre du rapport Robert du Conseil Économique et Social de 2003 (« L’accès de tous aux droits de tous par la mobilisation de tous. »).