Article rédigé par Philippe Oswald, le 16 mars 2012
La France serait-elle devenue le pays du Malade imaginaire ? Un pays peuplé d’hypocondriaques aussi robustes qu’Argan pour résister (pas tous, pas tout le temps !) aux potions et autres clystères que leur administre une armée de Purgon et de Diafoirus ? Bien sûr, nous sommes à des années-lumière de la médecine de Molière ! Mais notre industrie pharmaceutique, qui contribue à l’essor de la recherche médicale et en tire légitimement profit, s’est enivrée du marketing. Au point d’en oublier parfois l’objet premier de son activité : favoriser ou restaurer la santé. Nombre de laboratoires pharmaceutiques prospèrent sur la vision matérialiste et hédoniste d’un humanoïde consommateur à perpète d’un pack « santé-jouvence-beauté ». Se comportant en dealers et en apprentis-sorciers, ces laborantins ont organisé une addiction générale, une torpeur médicalisée d’où nous tirent ponctuellement quelques scandales retentissants du type Médiator ou prothèses PIP.
Trop de médecins ont suivi cette pente consumériste mortifère en prescrivant à tout va : « Les médecins français prescrivent deux fois à trois fois plus que les autres médecins occidentaux dans le monde » selon le Pr Philippe Even, président de l’Institut Necker (newsring.fr, 5 mars 2012). Et même « quatre fois plus que les médecins britanniques, irlandais, italiens ou grecs, et six fois plus que les danois, belges et allemands» selon Marianne Berthod-Wurmser, membre de l'Inspection générale des affaires sociales (citée par l’Institut pour la protection de la santé naturelle). Résultat : les Français détiennent le record absolu de la consommation de médicaments en Europe. 50 % des Français âgés de plus de 65 ans prennent entre 1 et 4 médicaments chaque jour (et de 5 à 10 pour 38 % d’entre eux). Et cela, évidemment, au détriment de leur santé : selon l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), 144 000 patients seraient hospitalisés chaque année en raison des effets indésirables de médicaments prescrits, et 5O% de ces hospitalisations pourraient être évitées (securite-sociale.fr).
Restons dans nos hôpitaux et cliniques : selon la deuxième enquête nationale sur les événements indésirables liés aux soins (ENEIS, 2009), il s’y produirait en moyenne chaque jour 900 accidents médicaux, dont près de la moitié (45%) seraient dus à des erreurs médicales. A ce chiffre terrifiant, s’ajoutent quotidiennement 600 accidents médicaux hors établissements (médecin traitant, SOS médecins, etc.) conduisant à autant d'hospitalisations, dont 60% pourraient être évitées (le figaro.fr, 26/11/2010). Vous avez bien lu : au total chaque année, entre 275.000 et 395.000 « événements indésirables graves » (EIG) surviendraient dans les hôpitaux et les cliniques dont 95.000 à 180.000 « évitables ». Qui plus est, les médicaments « sont en cause dans quasiment la moitié des cas d'EIG ayant entraîné une hospitalisation », selon Philippe Michel directeur du Comité de coordination de l'évaluation clinique et de la qualité en Aquitaine (CCECQA) co-auteur de l'étude! ( france24.com/fr, 26/11/2010). Forcément, il y a de la casse : au total, ce sont 10 000 vies qui pourraient être sauvées chaque année dans nos hôpitaux, estime pour sa part Philippe Juvin, chef des urgences à l’hôpital Beaujon, à Paris et secrétaire national de l’UMP chargé de la santé.
Devant un tel constat, cessons de répéter en boucle que notre système de santé est le meilleur au monde ! Demandons plutôt aux candidats à l’élection présidentielle si, après les bons résultats obtenus pour la sécurité routière, il ne serait pas urgent de s’occuper de la sécurité sanitaire devenue bien plus alarmante…Que proposent-ils pour que notre système de santé, le troisième plus coûteux au monde, rompe avec cette surconsommation de médicaments qui nuit gravement à la santé, pollue fleuves et rivières (notamment par les rejets massifs d’ antibiotiques et de contraceptifs), et gaspille entre 10 et 15 milliards par an, beaucoup plus que le déficit de l'assurance maladie ? Comment disposer médecins et patients embarqués ensemble dans cette dérive à une saine modération qui donnerait de l’oxygène aux secteurs notoirement en souffrance, hôpitaux, maternités, maisons de retraite, prise en charge des personnes handicapées, psychiatrie ? S’agit-il de promouvoir à tout prix notre industrie pharmaceutique engagée dans la compétition mondiale, ou de prévenir la maladie en incitant les Français à mener une vie équilibrée, à bien se nourrir, à faire de l’exercice, à se désintoxiquer ? Quel est en définitive l’objectif de notre politique de la santé : servir la vie de son début jusqu’à sa fin naturelle ou l’asservir pour l’exploiter ?