Article rédigé par Philippe Oswald, le 24 février 2012
L’internationalisation de la guerre civile syrienne et les passions qu’elle suscite évoquent l’atroce guerre civile espagnole de la fin des années trente.
Après un an d’insurrection, la Syrie occupe presque quotidiennement la une de l’actualité internationale. La cause des opposants au régime est massivement soutenue par les medias occidentaux. Si le tour pris par les événements en Egypte, en Tunisie et Lybie a fait naître certaines réserves sur « le printemps arabe », rien de tel encore s’agissant de la Syrie. Les passions s’exacerbent devant l’extrême férocité de la répression exercée par le régime de Bachar el-Assad (qui n’épargne ni les enfants, ni les blessés, ni les médecins qui les soignent), et l’impuissance des occidentaux à intervenir face aux vétos russe et chinois à l’ONU. Après avoir été tenues pour responsables de la mort du reporter français Gilles Jacquier, touché par un obus à Homs le 11 janvier dernier alors qu’il opérait dans le camp des partisans du régime, les autorités de Damas sont à présent accusées de la mort, le 22 février, d’un second reporter-photographe français et d’une journaliste américaine entrés clandestinement à Homs pour couvrir la guerre du côté des insurgés. Mutatis, mutandis, ce climat évoque celui de la guerre d’Espagne. Dans un cas comme dans l’autre, les grandes puissances s’affrontent et se neutralisent, aujourd’hui à l’ONU, jadis à la SDN, des « brigades internationales » -en l’occurrence sunnites- s’engagent dans un camp, tandis que l’opinion publique occidentale est appelée à compatir et quasiment à militer pour la cause des « bons » massacrés par les « méchants », sans se poser plus de questions sur les menées des insurgés syriens que sur celles des républicains espagnols.
Les chrétiens contre le manichéisme
C’est ce manichéisme que dénoncent depuis des mois des responsables chrétiens bien placés pour savoir que les communautés chrétiennes (au total 8% de la population) sont menacées et déjà en butte à de nombreuses exactions de la part de « révolutionnaires » animés par le fanatisme islamique ( déjà plusieurs dizaines de chrétiens auraient été assassinés par des mercenaires à Homs). Le dernier à s’être exprimé sur le sujet est Mgr Antoine Audo, s.j., évêque des chaldéens d’Alep (la seconde ville du pays) et tout nouveau président de Caritas Syrie. « Les médias doivent conserver un regard objectif, sans manipulation, en vérifiant leurs sources » a-t-il déclaré à l’Aide à l’Eglise en détresse (AED). En clair, à ne pas se fier uniquement aux informations fournies par l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme qui a épousé la cause de l’opposition. Mgr Audo dénonce également le parti pris de la communauté internationale qui attise le feu et aggrave par ses sanctions économiques les souffrances des Syriens au lieu de les aider à se réconcilier et à entreprendre pacifiquement des réformes : « Il ne faut pas encourager les guerres fratricides et confessionnelles, insiste Mgr Audo. Nous ne voulons pas devenir comme l’Irak ! Le devoir de la communauté régionale et internationale est d’aider la Syrie à sortir de la crise, non pas de l’envenimer. » « Ce seront surtout les chrétiens qui en feront les frais! », ajoute l'évêque chaldéen d'Alep dans une déclaration à l'agence de presse catholique Asia News. Même écho, simultanément, de Mgr Jean-Clément Jeanbart l’archevêque grec melkite catholique d’Alep, contacté par l’agence APIC, qui tout en soulignant l’urgence de réformes profondes et de la fin du parti unique en Syrie, ne cache pas son indignation devant la partialité des medias occidentaux.
Scénario à l’irakienne
Un scénario à l’irakienne paraît malheureusement enclenché. Il n’y a pas que de la propagande dans la dénonciation par Damas des activités terroristes des « bandes islamistes » sur le sol syrien. Selon le New York Times (17/02/2012) les sunnites de l'ouest irakien, près de la frontière syrienne, arment la rébellion, rendant ainsi à leurs « frères » le service rendu dans leur lutte contre les chiites au pouvoir à Bagdad. «C'est une bonne nouvelle, déclare dans un communiqué en ligne l'Emirat islamique d'Irak (EII) -l’appellation d’al-Qaida en Mésopotamie- de savoir que des Irakiens ont fait le chemin inverse pour aller se battre avec leurs frères en Syrie ». Les tenants d’al-Qaida, par la voix de son chef spirituel, Ayman al-Zawahri, mais aussi les Frères musulmans présents en Jordanie multiplient les appels à la guerre sainte contre le régime «laïque impie» de l’alaouite Bachar el-Assad, à l’intention des djihadistes du monde entier.
L’Iran et la Russie contre « le printemps arabe »
Cependant l’Iran et la Russie ne sauraient voir d’un bon œil la déconfiture sinon de la famille Assad (qui paraît actée), du moins des minorités syriennes. Déjà alarmé par les succès à ses frontières des talibans afghans aidés par le Pakistan, et par l’alliance des monarchies du Golfe pour écraser la rébellion chiite à Bahreïn, Téhéran s’efforce de prévenir en Syrie comme en Irak le danger d’un axe sunnite unissant Frères musulmans et salafistes encouragés par le Qatar, grand financier des révolutions arabes. C’est aussi la position de la Russie, menacée à ses portes par le « printemps arabe » et ulcérée par l’intervention de l’Otan contre la Libye. Pour mesurer à quel point ce cocktail est complexe et explosif, n’oublions pas la très inconfortable position d’Israël, usé par 63 ans de conflit avec les Palestiniens et pris en étau entre l’axe sunnite et l’ennemi iranien. L’internationalisation du conflit syrien était inscrite d’avance dans la géopolitique.