Le Consulat Sarkozy
Article rédigé par , le 10 février 2012 Le Consulat Sarkozy

Jeune constitutionnaliste, Dominique Rousseau n’a peut-être pas encore acquis le recul nécessaire – on pourrait écrire : le goût de l’histoire – pour qu’il puisse faire sienne la conviction, dite et redite par nombre de juristes, au premier rang desquels Montesquieu, qu’il ne faut toucher aux lois (et à leur norme suprême appelée constitution) qu’avec extrême précaution. En l’espèce, le remède prôné (un saut vers une VIème République dont la disposition naturelle et les dispositions permettraient au citoyen de ressentir, de vivre et d’exercer au quotidien la plénitude de la démocratie juridictionnelle que ce professeur de droit constitutionnel appelle de ses vœux) ne constitue pas le meilleur de cet essai dont le style ‘‘bonapartiste’’ pourfend toutefois à bon escient les contradictions, l’amateurisme de notre moderne Premier Consul. 

Le diagnostic est remarquable : Sarkozy a pratiqué la politique de Minc avec les discours de Guiano. Résultats : des mesures législatives contradictoires et contre-productives qui aboutissent dans les faits à l’inverse du résultat escompté. Président-Consul optimiste, volontariste, moderniste que ce Sarkozy chez qui Rousseau semble déceler en creux la naïveté de celui qui croit que l’action parlementaire des nouveaux godillots suivra sans délais une impulsion présidentielle très peu (juris)prudentielle.

Selon Rousseau, Guiano, c’est Monsieur (Guy du) Mollet, doux et mou, mais incongru dans le paysage, ce dont nombre de députés (surtout les membres du groupe de la Droite populaire à l’UMP) et nombre d’électeurs de Sarkozy finissent par se rendre compte. Le constat est ici très proche de celui effectué par l’essayiste Roland Hureaux [1] : un premier ministre renforcé (alors qu’on le traitait naguère de «collaborateur») qui contredit le présidentialisme (influence des Etats-Unis) apparemment souhaité par la présidence. A vrai dire, Sarkozy n’a probablement jamais eu conscience que, de la sorte, il voulait marier la carpe et le lapin, une lecture présidentialiste et une lecture parlementariste de la constitution de la Vème République.

Rousseau qualifie de «divine surprise» l’institution de la qpc, la question prioritaire de constitutionnalité, et milite pour l’avènement d’un véritable Conseil constitutionnel en forme de Cour Suprême. Si, comme nous l’avons indiqué, nous estimons qu’en règle générale les enfers du Droit sont pavés d’innovations que leurs promoteurs croyaient miraculeuses, et si, sur ces points là, l’auteur ne se distingue pas en bien de collègues comme Guy Carcassonne ou Olivier Duhamel, le livre de notre Professeur devient encore plus plaisant lorsqu’il raconte la résistance de la Cour de cassation, qui craint de se voir déposséder de ses attributs, face à l’instauration de ce nouveau recours « citoyen ». On espérera qu’à la lecture des arguties en forme d’arguments qu’elle a exposées à cette fin, aussi bien les juristes en herbes que patentés vérifieront une fois encore que, comme l’écrivait Jean Giraudoux, le droit est le première école de l’imagination.

Si le Professeur Michel Troper a fait la démonstration que, non seulement en fait, mais en droit, jamais, au sens que lui donnait Montesquieu, aucune véritable séparations des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire n’a existé [2], Dominique Rousseau montre bien que l’actuel Président n’a même pas tenter de sauver cette apparence (ce à quoi ses prédécesseurs tout de même s’efforçaient !). Opportun, bienvenu, recevable en ses constatations, en partie fondé, cet  essai entraînant qui, cependant, pèche comme on l’a vu en ses conclusions irréalistes et idéalistes (en bonne philosophie, n’est-ce pas d’ailleurs tout comme !) nous invite à nous rappeler qu’un parlementaire élabore et vote les lois, qu’un gouvernement gouverne sous l’autorité du premier ministre et qu’un président de la république est chargé de la présider. Si, comme sous l’Ancien Régime, ce qui tient lieu de chef de l’Etat veut se faire « empereur en son royaume » (ce qui était l’ambition informulée de Sarko), eh bien, aviserons-nous. Et en déduirons-nous, qui sait ? que l’Etat a peut-être besoin à sa tête, d’une autre instance qu’un «Président».

 

Hubert de Champris

[1] Roland Hureaux, La Grande démolition, Buchet-Chastel.

[2] Voir, entre autres, Michel Troper, La théorie du droit, le droit, l’Etat, PUF.

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