Article rédigé par Jacques Bichot, le 03 février 2012
À l’occasion de notre campagne d'information sur les thèmes de la présidentielle 2012, nous poursuivons la publication des bonnes feuilles de l’essai de notre ami Jacques Bichot Les enjeux 2012 de A à Z, Abécédaire de l'anti-crise, J. Bichot, coédition AFSP/l’Harmattan dont la sortie est prévue le 11 février, pour le colloque que nous organisons à Paris avec l’Association des Économistes catholiques, sur le thème « crise politique, crise économique, crise morale ». Ci-dessous, quelques entrée du livre relatives à l'Education.
Apprentissage (p : 15-16)
Ce mode de formation se développe : de 130 000 en 1990, les entrées en contrat d’apprentissage sont passées à plus de 280 000 en 2009. Le nombre des étudiants entrant en apprentissage a été multiplié par 8, passant de 10 000 à 80 000. Cette évolution est excellente, la formation en alternance ayant de nombreuses qualités : aux jeunes qui ne sont pas très à l’aise dans un cursus purement scolaire, l’apprentissage donne la possibilité d’apprendre de façon plus concrète ; et à ceux qui sont « trop » à l’aise dans un cadre scolaire, si bien qu’ils risqueraient de se perdre dans l’abstraction, il apporte l’indispensable sens du concret. De plus, commencer plus tôt à gagner de l’argent accélère heureusement l’entrée dans l’âge adulte. Enfin, la participation à la production de quelque 500 000 jeunes n’est nullement à dédaigner. Continuons !
Enseignement (p : 120)
La France affiche des performances décevantes au regard des sommes dépensées pour l’enseignement dans notre pays : selon l’enquête PISA menée tous les trois ans sous l’égide de l’OCDE dans les pays membres de cet organisme, les performances des Français de 15 ans ont été en 2009 plutôt inférieures à la moyenne alors que les dépenses par élève sont parmi les plus élevées. Prenons par exemple deux autres pays européens de niveau de vie équivalent au nôtre, l’Allemagne et la Finlande. Dans le second degré, la France dépense par élève du second degré $ 9 532, l’Allemagne $ 7 841 et la Finlande $ 7 829 : soit 21,6 % de plus en France que chez nos cousins germains et nos amis nordiques. Mais quand on passe aux performances testées par l’enquête PISA, c’est-à-dire les mathématiques et la lecture, les élèves français sont les moins bons : 497 points en math contre 513 en Allemagne et 541 en Finlande ; 496 points en lecture contre 497 en Allemagne et surtout 536 en Finlande. La leçon est : on peut enseigner mieux pour moins cher.
Ce résultat viendrait-il de ce que les enseignants français sont très bien payés et travaillent peu ? Que nenni ! Les salaires de nos « professeurs des écoles », certifiés et agrégés ne sont pas mirobolants, et ils font beaucoup d’heures de cours : un jeune Français de 15 ans en a en moyenne 1 153 par an, contre 913 pour son homologue finnois et 896 pour l’Allemand. Mais ces nombreuses heures de cours sont gaspillées, du simple fait que l’indiscipline est la situation habituelle des collèges et lycées français, et que la chienlit sévit dans les nombreux établissements difficiles. Sur 50 minutes de cours, l’enseignant moyen en passe une vingtaine à essayer de ramener le calme, et une trentaine seulement à apprendre quelque chose aux élèves.
Le phénomène est devenu si évident que Philippe Meirieu, chef de file de l’école des « sciences de l’éducation » fanatique de créativité et méfiante vis-à-vis de l’autorité, en est venu à recommander d’« en revenir aux rituels : obtenir le calme, tenir correctement des cahiers, classer et organiser l’environnement selon une logique d’exigence »[1], autrement dit : remplacer le chahut permanent par un minimum d’ordre et de tenue. Et la raison pour laquelle un Philippe Meirieu en arrive à une telle préconisation est ce qu’il a observé au niveau des enseignants submergés par le sans-gêne de leurs élèves : « La préoccupation principale des enseignants – ce qui les épuise aujourd’hui – est de faire baisser la tension pour favoriser l’attention. »
Enseignement supérieur (p : 121-122)
La France a probablement surdimensionné son enseignement supérieur, tout en sous-dimensionnant certaines de ses composantes, par exemple les disciplines médicales, à cause du numerus clausus, et les sciences de l’ingénieur. En effet la possibilité de s’inscrire dans bon nombre de formations simplement parce que l’on a obtenu un baccalauréat, diplôme aujourd’hui passablement bradé, et qui plus est n’importe lequel, amène des dizaines de milliers de jeunes à s’engager dans des études pour lesquelles ils ne sont pas faits, et dont ils sortent rendus amers par leur échec. Un gouvernement courageux qui généraliserait la sélection – il faut résister à la proscription de ce mot par la dictature sémantique du « politiquement correct » - actuellement réservée à certaines filières rendrait un singulier service à la jeunesse et à notre pays.
L’enseignement supérieur doit-il conserver une double vocation, l’enseignement et la recherche ? On observera que diverses formations, et non des moindres, sont assurés par des enseignants qui ne sont pas des chercheurs : notamment les classes préparatoires aux grandes écoles et les BTS, dont les résultats sont meilleurs que ceux des premiers cycles universitaires. Il ne faut donc pas s’arc-bouter sur le modèle de l’universitaire partageant son temps entre l’enseignement et la recherche, d’autant que l’université elle-même accueille, et c’est heureux, des personnes travaillant dans une entreprise ou une administration pour faire bénéficier les étudiants, non pas de leurs recherches, mais de leur expérience professionnelle.
Cela ne signifie pas que les établissements d’enseignement supérieur devraient tous cesser d’avoir d’importantes activités de recherche, celle-ci devenant l’apanage d’institutions sui generis. La recherche est à sa place au sein des universités et des grandes écoles, car la production du savoir ne doit pas être coupée de sa transmission. Mais cela n’implique pas que chaque enseignant du supérieur soit, pour la moitié de son temps, un chercheur, ni que tout chercheur employé par une école ou une université consacre 18 heures par semaine à des activités pédagogiques.
La plupart des chercheurs du CNRS dont le laboratoire est inclus dans une université y font quelques heures d’enseignement : c’est une excellente formule, qui devrait être ouverte aux universitaires. De même, pourquoi les PRAG (professeurs agrégés du secondaire qui enseignent à l’université) resteraient-ils nécessairement rattachés à un corps de l’enseignement secondaire ? Il y a place au sein des universités et des grandes écoles pour des chercheurs à plein temps, pour des enseignants à plein temps, pour des gestionnaires à plein temps, et pour des personnes qui réalisent, dans des proportions variées, un mix de ces trois fonctions ou de deux d’entre elles.
L’autonomie des universités, proclamée par la loi du 10 août 2007, devrait déboucher sur de tels assouplissements des statuts du personnel universitaire. Ce serait, entre autres, le moyen de faire mieux sans dépenser plus : il n’y a en effet aucune raison pour que les enseignants-chercheurs qui ont abandonné la recherche (ils ne sont pas rares) bénéficient d’horaires d’enseignement inférieurs de moitié à ceux de leurs collègues PRAG ! En ces temps de rigueur budgétaire, un ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche soucieux d’efficacité serait bien inspiré d’y songer.
Ticket scolaire (p : 244-245)
Plusieurs pays ont instauré un financement des établissements scolaires, ou plus fréquemment de certains d’entre eux, au prorata du nombre d’élèves qui les fréquentent : c’est ce que l’on appelle aussi bon scolaire, ou chèque scolaire. Les Pays-Bas sont le seul pays où ce système concerne la majorité des établissements, et cela depuis très longtemps. La plupart du temps, les établissements publics ne sont pas concernés, mais il n’y a pas de difficulté de principe, bien au contraire, à ce qu’ils le soient.
Les écoles ainsi financées font l’objet d’un contrôle qualité par les pouvoirs publics, mais elles sont libres de recruter leur personnel et d’organiser la scolarité. La concurrence entre établissements donne aux « consommateurs d’écoles »[2] le pouvoir d’indiquer leurs préférences en choisissant un établissement plutôt qu’un autre. On concilie ainsi la liberté de choix des usagers, les vertus de la concurrence, celles de la liberté du chef d’entreprise, et la prise en charge collective des frais de scolarité.
Dans la plupart des pays où un système de ticket scolaire a été mis en place, les résultats sont intéressants, y compris pour les écoles publiques, dont les performances ont tendance à s’améliorer sous l’effet de la concurrence : même si elles ne sont pas financées de cette manière, leurs équipes mettent un point d’honneur à retenir les élèves en faisant du bon travail.
En France, le financement par l’État de l’enseignement libre sous contrat procure une partie des avantages du ticket scolaire, et notamment des coûts de fonctionnement moins élevés, mais le fait que les enseignants soient payés directement par l’État et que le chef d’établissement ne puisse pratiquement pas renvoyer ceux qui ne conviennent pas est une différence importante. Le dirigisme des gouvernants français, gauche et droite confondues, maintient les écoles, collèges et lycées « libres » sous contrôle étroit du rectorat ; le chef d’établissement a davantage d’autonomie qu’un proviseur ou un principal, mais moins que s’il exerçait son métier dans le cadre du ticket scolaire.
Il faudrait donc étudier la possibilité de remplacer les contrats d’association par le système du ticket scolaire, du moins pour les établissements qui le voudraient. Il faudrait également envisager cette possibilité pour l’enseignement supérieur, composé pour partie d’universités et de classes préparatoires de lycées où les études sont quasiment gratuites, et pour partie de formations payantes privées ou organisées par les chambres de commerce. Au pays de l’égalité, cette différence de traitement est choquante. La loi sur l’autonomie des universités aurait pu être l’occasion, sinon d’instaurer un ticket scolaire pour l’ensemble de l’enseignement supérieur, du moins d’étudier la faisabilité et l’impact d’une telle mesure. Il n’est pas trop tard pour bien faire : un engagement en la matière serait un point positif pour les candidats qui auraient le bon sens et le courage de le prendre.
[1] Interview parue dans le Figaro magazine du 17 février 2007.
[2] Titre d’un livre de Robert Ballion, Stock, 1990.