Article rédigé par François Martin, le 03 février 2012
« La faim fait sortir les loups des bois ». Face au risque de décrochage par rapport au rang que notre pays a pu maintenir jusqu’à maintenant dans la compétition des nations, et à l’appauvrissement que cela entraînerait pour nombre de nos compatriotes, nous savons maintenant que nous allons devoir fournir, collectivement, un effort très important.
Effort psychologique d’abord
Celui de prendre les choses positivement (quelles solutions s’offrent à moi, à nous ?), et non négativement (encore des problèmes !), comme si le fait d’avoir sans arrêt des problèmes n’était pas la nature même de la vie. L’Histoire occidentale d’abord, les Trente Glorieuses ensuite, nous ont beaucoup gâtés, et la crise nous ramène simplement à la normale, avec quelques difficultés supplémentaires. Comprenons bien que cette situation est à peu près la même, sous des formes différentes (construction et non reconstruction) que celle où se trouvent maintenant nombre de pays neufs [1], qui la vivent, eux, comme une véritable chance après des décennies de « galères » [2].
Effort économique ensuite
Tout d’abord en mettant en avant, la question de la compétitivité. Inutile, en effet, d’organiser les flux sous une forme ou une autre, de se battre entre patrons et salariés pour modifier la répartition du gâteau, si nous ne vendons moins ou plus du tout parce que nos produits ne sont plus bons et au bons prix. Réinventer des produits qui se vendent, avec des prix et une qualité suffisants, vendre les produits que nous fabriquons, pour retrouver notre place commerciale, et pour cela réapprendre à travailler ensemble [3], voilà l’évidence. C’est un bienfait de la crise, sans doute, que de nous avoir ouvert les yeux sur cette réalité essentielle.
Psychologie positive d’un côté, travail de qualité et ensemble de l’autre, voilà, c’est clair aujourd’hui pour tous, deux des principales priorités pour sortir de la crise. Il en est une troisième, c’est l’éducation.
La question éducative
Elle englobe plusieurs aspects, deux en réalité : l’éducation familiale en premier, l’Education Nationale en second, et il n’est pas possible d’avoir une seconde de qualité si la première ne l’est pas.
L’Ecole, en effet, ne fait que recevoir et transformer, autant que possible, le « matériau » que les parents lui remettent, et si ceux-ci se dédouanent de leurs devoirs se plaindre des résultats médiocres de l’Ecole reviendrait, pour un vigneron, à se plaindre à l’œnologue de la piètre qualité du vin, alors qu’il aura lui-même fourni à celui-ci du raisin de mauvaise qualité. Les enseignants ne sont que les œnologues, et c’est nous parents, il ne faut pas l’oublier, qui fournissons les raisins [4].
L’éducation familiale
La stabilité des couples [5] en est le premier prérequis. L’éducation des enfants est le fruit de l’effort commun des parents, il est bien difficile d’assurer celle-ci lorsque ce socle s’effrite [6]. Mais ce sur quoi nous voudrions insister aujourd’hui, c’est sur la qualité éducative elle-même. Tout comme la question de la compétitivité a été longtemps absente des débats économiques, alors qu’elle est centrale [7], de même, nous trouvons que celle de la qualité éducative est absente des débats sociétaux, alors qu’elle est tout aussi centrale, puisqu’elle est la clef à la fois du travailler ensemble et du vivre ensemble.
Travailler à la racine
En effet, de quoi nous servira-t-il, à supposer que ce soit possible, de reconstruire les entreprises les plus compétitives du monde, si ceux qui les dirigent et y travaillent sont des générations de barbares sans morale, sans valeurs et sans règles de vie ? On comprend facilement que l’entreprise génère, tous les jours, une quantité innombrable de décisions et d’arbitrages difficiles et anxiogènes, pour lesquels les qualités de patience, de lucidité, de sincérité, de modération, d’écoute, de force de caractère, les qualités humaines en réalité, sont toutes indispensables. Les qualités professionnelles ne suffisent pas, elles sont même secondaires par rapport aux autres.
De même, à quoi servirait-il de vouloir rétablir une volonté, un cadre et de bonnes règles du vivre ensemble [8], si ceux qui doivent s’y conformer n’ont pas appris, tout simplement, à acquérir une psychologie (pour le vouloir) et un comportement (pour le faire) de qualité ? Là aussi, on comprend bien qu’il est un non-sens de multiplier les policiers et les juges, les règles éthiques, les « coups de colère », les manifestations et les slogans appelant à la tolérance, au respect et au pardon, si par ailleurs les individus, jeunes et vieux, masculins ou féminins, qui partagent l’écosystème national n’ont d’autre envie que de tricher, voler, mentir, insulter et dominer leur voisin. Pour reprendre la métaphore vinicole, ce serait mettre tous ses efforts à traiter les feuilles, les bourgeons, puis les fruits de sa vigne, pendant qu’on laisse pourrir les racines. C’est à la racine, d’abord, qu’il faut travailler.
La bonne éducation : une question sociétale et politique
A contrario, chacun de nous a en tête, soit dans son expérience familiale proche, soit sur son lieu de travail, soit, souvent, disons-le, à l’étranger, le souvenir de personnes ou même de communautés parfaitement éduquées. Quel plaisir personnel à ces contacts, mais aussi, quel oxygène, quelle impression d’espoir, quelle force individuelle et collective ne sont-ils pas ressentis dans de telles expériences ? Lorsqu’on parvient à ce stade, tout devient plus facile.
Au moment où les mauvaises raisons tombent, et où nous sommes face à nos vrais choix pour sortir de la crise, la question de la qualité éducative, ce que l’on appelait autrefois la bonne éducation, apparaît non pas simplement comme une question personnelle, mais bien comme une question sociétale, et donc politique. Il est impossible de l’éluder.
Lorsque l’on dit cela, il faut bien se rendre du terrain « piégeux »sur lequel on s’engage. En effet, la qualité éducative est d’abord du ressort des familles. Il n’est pas question de leur retirer leurs prérogatives, même si ceux qui hurleraient contre une volonté d’instaurer ainsi un « ordre moral » insupportable n’auront aucun scrupule, par ailleurs, ni à l’intrusion de la TV, avec son cortège effroyable de sang et de pornographie en libre-service, dans le même univers domestique, ni à la transformation de l’Ecole en champ clos idéologique, avec « gender » et distribution de préservatifs à la clef… A ce titre, le sanctuaire familial est violé depuis bien longtemps, et avec quelle violence !
Eduquer à la liberté
Pour autant, « piégeux » ne veut pas dire « impraticable », et par ailleurs, il nous semble que la question est tellement essentielle qu’on ne pourra pas durablement l’éluder. Comment la résoudre, comment concilier la liberté légitime des familles à l’éducation de leurs enfants, et par ailleurs, la nécessité pour la société (et donc pour l’Etat) de disposer d’une population, et d’abord d’une jeunesse, bien éduquée, apte au vivre ensemble et au travailler ensemble ? C’est tout le problème, mais ce qui est sûr, c’est qu’on ne pourra pas toujours le regarder de loin en se disant « je ne veux rien en voir et rien en savoir »… Là aussi, « la faim fera sortir le loup du bois », nous répondrons à la question, de gré ou de force. Autant donc se la poser en amont, à froid, pour trouver des solutions respectueuses et intelligentes (et c’est le rôle des politiques que cela) [9], avant que d’autres s’en emparent un jour, dans un jour de malheur et à chaud, pour imposer des recettes bien connues dans l’Histoire et que nous ne voudrions plus jamais voir.
[1] Si l’on en doute, si l’on pense que ces pays à bas coûts ont simplement un avantage inacceptable sur nous par leur main d’œuvre bon marché, et donc un « boulevard » pour nous « enfoncer » sur le plan commercial, il suffit de revisionner la conférence HEC du Ministre tunisien JaloulAyed. On se rendra compte des travaux d’Hercule que représente la construction d’une société moderne pour un pays du sud… et la foi qu’il est nécessaire d’avoir pour cela. Nous voulons rappeler que, si la France est, semble-t-il, le pays le plus pessimiste au monde, le plus optimiste est… le Nigeria !
[2] Que l’on pense, par exemple, à la « décennie de l’enfer » qu’ont vécus, dans les années 2000, les pays d’Amérique Latine, avant l’embellie d’aujourd’hui.
[3] Cf Interview de Joseph Thouvenel, sur le document « Approche de la compétitivité française », premier document commun établi par l’ensemble des instances syndicales françaises, patronales et salariales (à part la CGT) dans l’Histoire du syndicalisme français. Tout arrive…
[4] « Que pense donc le professeur de mon gamin ? ». Nous devrions avoir cette question en tête chaque fois que nous avons envie d’accuser l’Ecole d’un travail de mauvaise qualité...
[5] C’est pour cette raison que les politiques qui prônent d’un côté l’effort de redressement du pays, mais qui cèdent par ailleurs devant les lobbies « dynamiteurs » de la famille et du mariage sont en contradiction avec eux-mêmes…
[6] En disant cela, nous ne voulons en aucune façon jeter le discrédit sur les couples, fort nombreux, qui divorcent, mais rappeler seulement que le divorce est d’abord un drame, même s’il est, légalement, un droit. Il est très important de le rappeler, tant il est facile, on connaît bien le processus, de faire ensuite du droit une liberté, alors qu’un drame est d’abord une contrainte, les divorcés le savent bien. Vouloir absolument transformer la contrainte en liberté est le paradoxe idéologique dans lequel les divers lobbies « familiphobes » tentent d’enfermer les couples. Nous ne devons pas tomber dans ce piège.
[7] Et on comprend bien pourquoi : se demander si nous « sommes compétitifs », c’est se demander, en fin de compte, si nous « savons travailler ». C’est la question de confiance. Il est plus facile de « tourner autour du pot », d’accuser « le système ». Crise aidant, les oripeaux sont tombés. « Savons-nous encore travailler ? » nous sommes maintenant au cœur de la question.
[8] Sur le plan politique, la question très générale du vivre ensemble englobe un certain nombre de questions spécifiques : celle du patriotisme, celle de la culture, celle de l’immigration et des banlieues, celle de la sécurité et de la justice, celle de la laïcité et de la tolérance, celle de l’information, celle de l’aménagement du territoire, celle de la pollution, et d’autres encore.
[9] Même si elle est complexe, nos lecteurs ont-ils vu beaucoup de politiques s’exprimer sur cette question ? Christine Boutin peut-être, d’une certaine façon et « à la marge », avec sa proposition de remettre en force un Service National. Et à part elle ? Courage, fuyons ?