Article rédigé par Hubert de Champris, le 03 février 2012
Dans ce dernier volet consacré au thème de l’amour de la France, Hubert de Champris montre que cette composante primordiale de toute bonne politique est de nos jours ignorée. Pire, il semblerait que ce soit l’aveu même de cet amour qui se caractérise, aux yeux des nouveaux bien-pensants, à l’égal d’un des seuls derniers penchants encore analysé comme un péché.
Si l’amour de la France se porte mal, c’est que celle-ci même ne se porte guère mieux. Poncif que ce constat, mais inévitable constat cependant. La question amoureuse française est ringarde parce qu’en premier lieu, elle paraît dénuée de sens aux yeux de la majorité de nos contemporains. Question insensée certes, question anachronique avant tout. Si l’époque n’est plus à l’amour de sa patrie, ne serait-ce toutefois pas là le signe que c’est l’objet (ou, plutôt, le sujet) de cet amour qui tend à disparaître des écrans. Mondialisme, Europe, Régions, Hexagone et on en passe : tous ces termes à majuscules sont comparables à de diaboliques poupées russes. De ces dernières, la France serait devenue la plus petite, la toute petite, enfouie, presque oubliée sous toutes ces strates plus administratives, technocratiques (artificielles mais non moins réelles) que politiques et naturelles. La France serait rongée par les deux bouts, d’une part, les super-structures concoctées par ce que Roland Hureaux nomme la techno-idéologie [1], d’autre part, par ce que Paul-Marie Coûteaux, parmi d’autres, qualifie de nouvelles féodalités (les Autorités administratives indépendantes à caractère juridictionnel en sont un bel exemple). Sans doute, tous les apologues du « dépassement de la nation France » vous répondent-ils qu’ils ne la renient nullement, seulement qu’ils la ‘‘remettent à sa (nouvelle) place’’, celle que commandent les impératifs de la mondialisation et les nécessités du maintien du rang de la France dans ce nouveau vaste monde. «La France ne peut plus rien, seule». Mais, il n’a jamais été question que la France fasse jeu à part. La France veut, au contraire, accomplir son rôle, plein et entier, et à la hauteur qui est la sienne dans le jeu de société planétaire. Simplement, doit-on pour le comprendre, qu’on a beau finasser, n’en déplaise à Jacques Delors, rien n’empêchera que l’expression de ‘‘fédération d’Etats-nations’’ soit un oxymore. On parlera d’Etats fédérés dans le cadre d’un espace fédéral, mais il n’y aura qu’une nation américaine, brésilienne, indienne, voire allemande, pour prendre l’exemple de quelques Etats fédéraux connus. Nous ne verserons pas toutefois dans l’apologie de Discours à la nation allemande de Fichte, type d’un amour de la nation exacerbé virant à l’idolâtrie.
Alors, justement, comment demeurer dans le juste milieu, comment rester fidèle à cette ligne médiane qui, seule, nous permettrait non pas d’éprouver (le verbe ‘‘ressentir’’ serait d’ailleurs plus exact) l’amour du pays – car cela est un acte discrétionnaire -, mais d’appréhender au plus près ce que ce sentiment peut bien recouvrer. Afin de ménager la chèvre et le chou, autrement dit les opinions (ou les préjugés) des uns et les convictions des autres, nous esquisserons sous forme d’hypothèses de travail, ce qui est thèses en notre for.
L’écueil de la Monarchie de juillet :
En se déclarant «roi des Français» et non plus roi de France, l’Orléans Louis-Philippe Ier , proto-instigateur de la bourgeoisie affairiste et de ses dégradés successifs aboutissant à la techno-idéologie de ce XXIème siècle bien cernée dans son dernier livre en date par Hureaux [2], pourrait avoir opéré une césure avec l’Ancien Régime bien plus encore opérante de nos jours que celle effectuée par la Convention de 1792. En tout cas, avec ce dernier monarque [3], la France drainant avec elle tout une Histoire venue du fond des âges proclamée par le général [4] en prend un coup, un sacré coup, mais, d’une formule, dira-ton que ce sacre, sans mot dire, dorénavant, ne sera plus, à n’en guère douter, que conféré de droit malin.
L’écueil de la démocratie-chrétienne et de ses avatars :
Depuis le Sillon de Marc Sangnier, pourrait-on prétendre que les politiques gouvernementales inspirées de la doctrine démocrate-chrétienne sont une de ces politiques issues des fruits de cette fameuse dégradation de la mystique – la mystique chrétienne, et peut-être même tout bonnement catholique – raillée par Charles Péguy ? Dans son ouvrage L’engagement des chrétiens en politique [5], Thierry Boutet souligne combien il n’y a plus aujourd’hui de doctrine démocrate-chrétienne un peu consistante, qu’il est difficile en tous cas de la trouver en actes, ni, même, en intention. En réalité, celle-ci est, de fait, actuellement mélangée de social-démocratie, le tout promu par une nouvelle vulgate professée à hue à et à dia par ces nouveaux bien-pensants, ces cabris fustigés par de Gaulle dans une conférence de presse et ne jurant que par l’Europe, l’Europe. Et on retombe une fois encore sur la religion, ou, en l’occurrence, sur ce qui en tient lieu, puisqu’on aura reconnu parmi ces «cabris» bien des chrétiens de gauche et du centre, Camdessus, Lamy et, avant eux, qui sait, Schuman et Gasperi. Avec eux tous, la possibilité d’appréhender l’amour de la France se restreint un peu plus encore.
L’écueil du nominalisme et de l’arianisme :
Que nous le voulions ou non, derrière l’amour de la France, il y a comme le répètent Max Gallo, Régis Debray et tant d’autres, le caractère incontournable du fait national, derrière lui, collé à lui, inséparable, le fait religieux. Mais, autant un peu de religion éloigne de l’amour de la France, autant, beaucoup y ramène. Ce qui en éloigne ce sont d’une part cet anti-thomisme forcené qui a nom nominalisme, d’autre part, ce succédané de christianisme qui s’accommode de toutes les sauces affectionnées par la techno-idéologie et qui s’appelle arianisme. Ces deux courants extrêmement puissants (et qui se cachent sous nombre d’avatars) traversent de part en part aussi bien le catholicisme que les protestantismes. C’est là une ligne de partage des eaux qui sera à l’origine des considérables recompositions à venir dans le monde chrétien [6].
La France comme personne :
Le dernier critère d’identification et d’authentification de l’amour du pays doit être recherché dans ce que nous appellerons la science du surnaturel. Le chrétien s’aperçoit qu’au cours de certaines manifestations mariales, comme à l’Île-Bouchard (7) en 1947, la France, comme l’individu, est considérée comme une ‘‘personne’’, un être vivant, aimable, respectable, investi d’un plan divin, sujet à la grâce comme à la disgrâce, donc sensible aux effets de la prière [7]. Par là, percevons-nous que la France est susceptible et digne d’être aimée. Par là, aussi, pouvons-nous imaginer que cette même France, à l’instar de cette chanson populaire consacrée au paquebot du même nom, que cette même France disions-nous, à la longue fatiguée, malmenée, ignorée, méprisée, pourrait un jour se récrier ‘‘ne m’appelez plus jamais France, les Français m’ont laissée tomber, ne m’appelez plus jamais France, c’est ma dernière volonté.’’
[1] cf. Roland Hureaux, La grande démolition, Buchet-Chastel.
[2] ibid.
[3] avant-dernier, si l’on comprend qu’un empereur est par définition un monarque. Mais nos lecteurs n’ignorent pas aussi qu’employer le terme ‘‘monarque’’ en place de roi manifeste dans une approche classique une sorte de restriction, sinon de désapprobation.
[4] Certains auteurs usent de la majuscule. D’autres, non moins gaullistes (ou gaulliens), s’en abstiennent.
[5] éditions AFSP/Privat.
[6] Bernard Peyrous (voir opus cité dans le précédent article Anatomie d’un sentiment) parle à plusieurs reprises des ariens et des nominalistes sans faire expliciter le lien avec le thème de la nation française. C’est là l’une des rares lacunes d’un livre au demeurant important par rapport à la question qui nous occupe.
[7] Cf. Marc Charpy, Marie “Prophète du Salut”- Les événements de L’Île-Bouchard, préface de Bernard Peyrous, Pierre Téqui éditeur. Voir aussi chez ce même éditeur Bertrand Dupont de Dinechin, La France, destinée d’une alliance.