Article rédigé par Hélène Bodenez, le 28 janvier 2012
Étape décisive pour l’initiative citoyenne européenne, la Commission a inauguré son site officiel le jeudi 26 janvier 2012. Plus de quatre cents participants ont assisté à la conférence de lancement organisée à Bruxelles. Le vice-président de la Commission, le Slovaque Maroš Šefčovič, a présenté et expliqué l’ICE aux organisations et associations représentées. Officiellement, l’ICE sera possible le 1er avril 2012. Gare aux États membres qui ne seraient pas prêts et qui joueraient les mauvais élèves dans leur rôle de vérification des certifications !
Après dix ans de gestation, d’oppositions et de doutes, l’outil de démocratie participative destiné à rapprocher les citoyens européens semble faire l’objet d’un véritable consensus. Dix ans en effet qu’il a fallu « plaider pour introduire des procédures de démocratie directe » ainsi que l’a rappelé le président de la Commission des budgets Alain Lamassoure (France, PPE). Ces projets de démocratie ouverte, longtemps mis à mal, sont en passe de devenir aujourd’hui réalité. Il est vrai que certains y ont cru plus que d’autres comme par exemple le député allemand Gerald Häfner (Groupe des Verts– Alliance libre européenne) qui a voulu ce projet de toutes ses forces.
La question de fond : oui ou non la Commission acceptera-t-elle de se laisser saisir directement par les citoyens ?
L’ICE, c’est « une manière d’entrer au cœur de la Commission pour agir ». La Commission de son côté s’est dit prête enfin « à coopérer », « à travailler à dossier ouvert ». Elle promet de faire preuve d’objectivité » et de se montrer un « partenaire loyal », de ne pas limiter les actions. Soit. Mais de nombreuses questions demeurent. Que se passera-t-il par exemple lorsqu’une ICE recueillant le million de signatures, aura passé les fourches caudines des contraintes juridiques, et respecté les délais ? Oui ou non la Commission acceptera-t-elle de se laisser saisir directement par les citoyens ? Y aura-t-il transformation de l’initiative citoyenne en texte législatif ? Les conclusions ont bien évolué semble-t-il : la Commission fera, dit-elle, en tout cas, plus que d’envoyer une lettre de félicitations. Elle recevra en audience les citoyens qui porteront l’initiative, et pas à toute vitesse, point 12 en fin d’ordre du jour chargé.
Les pourparlers vont donc bon train pour savoir comment la Commission devra et pourra répondre à la mobilisation citoyenne : comment expertiser l’initiative proposée ? Quel organe s’en saisira ? Comment répondre aux initiatives qui échoueraient de peu mais lanceraient un bon projet ? À l’inverse, comment expliquer un refus à celles qui obtiendraient le million de signatures en n’étant pas dans « l’intérêt européen » ? Des initiatives refusées pourraient être reprises d’une autre façon, un peu plus tard. Si le refus de la Commission est par trop discutable, il restera encore la médiation, le recours en justice, la Cour de justice européenne. De toute évidence, on a compris et intégré que les citoyens du numérique voudront des explications, comprendre un possible refus de la Commission. Les citoyens européens s’impliquent, veulent être écoutés, s’attendent donc à une réponse motivée. En cela « la Commission est sous surveillance » pour reprendre l’expression de Simon Hampton (directeur de la politique publique de Google). Facétieux, un participant demande : « À quand une ICE d’ailleurs qui demanderait l’élection du Président de la Commission au suffrage universel ? »
Google, Dailymotion, Facebook, Twitter dans les starting blocks
Les principaux acteurs de l’Internet, Google, Dailymotion, Facebook, Twitter, ont plus qu’encouragé par leur présence la faisabilité de l’initiative qui récoltera l’essentiel des signatures en ligne. Il est bien plus facile aujourd’hui de récolter un million de signatures qu’il y a dix ans. Les discours des dirigeants américains présents furent tous très enthousiaste mais les crédos malgré tout un peu trop appuyés. Il n’a échappé à personne que la mobilisation en vue d’une ICE, avec les flux qu’elle génèrera, grosse d’enjeux financiers, intéresse au plus haut point les mastodontes de l’Internet. La représentante de Facebook ne l’a pas caché !
On reste surtout circonspect devant l’insistance avec laquelle on réclame que les ICE s’inscrivent dans les compétences de l’UE et dans celles de la Commission, qu’elles respectent de manière sacrosainte la législation de l’UE, et quand est redit sur tous les tons que « l’ICE doit partir d’un bon pied », que devrait être proposée une check list pour que l’ICE soit « à l’image » de l’Union européenne. Mercedes Bresso propose pour cela que soient par exemple « cartographiées » les initiatives en cours, que soient soutenues celles qui ont un bon projet. Le député européen italien craint à l’évidence les mauvaises initiatives. D’où l’obsession de l’entrave et de la contrainte, du respect. À l’entendre, c’est tout juste si le mot « initiative » a encore à voir avec le sens d’autonomie ! Il faudra bien accepter pourtant que bien des initiatives naîtront d’une insatisfaction profonde liée au fonctionnement structurel de l’UE, au règlement des traités. Il faudra accepter que les citoyens ne soient pas des enfants sages renvoyant dans l’initiative l’image idéale sur papier glacé de la radieuse UE. Les fondateurs de l’Europe ne voulaient-ils pas que les traités évoluent ? Ce serait en tout cas un paradoxe formidable que l’initiative citoyenne européenne ne fâchât pas. Qu’elle fâche, cela arrivera au contraire, tant il est vrai qu’elle est née du manque de représentation des citoyens par des instances qui ont failli de ce point de vue-là.
Si initiative citoyenne européenne il y a, elle voudra se saisir d’une nouvelle idée, obtenir une abrogation, dire non, amender une législation existante ; il y aura qu’on le veuille ou non une certaine remise en cause de l’actuel fonctionnement de l’UE. En cela, l’ICE sera alors une chance. À ce titre, pour ceux qui l’ont élaborée, l’ICE est fondamentalement positive : ses fruits ne se verront sans doute que dans vingt ou trente ans. « Avec le temps, on améliorera. Chaque itinéraire a son premier pas ! » conclut Häfner. L’initiative citoyenne européenne, « ce n’est plus de la science-fiction », elle n’est pas « un coup d’État contre la démocratie » comme certains l’ont dit aux débuts de son élaboration : elle est devenue réalité. Dessinera-t-elle le visage de l’Europe ? Portera-t-elle plus haut plus fort la voix de l’Europe ? Dira-t-elle l’identité de l’Europe ?
Hélène Bodenez est chargée de mission pour le dossier Oui au repos dominical !
La Fondation de Service politique est membre de l’European Sunday Alliance depuis le 21 juin 2011.
Photo : Robert Stein (Autriche) © Hélène Bodenez