Les enjeux 2012 de A à Z : Le quotient familial
Article rédigé par Jacques Bichot, le 10 janvier 2012 Quotient familial

Notre ami Jacques Bichot prépare pour la campagne des présidentielles un Abécédaire de la crise à paraître le 15 février prochain aux éditions L’Harmattan en coédition avec l’association pour la Fondation de Service politique. Avec son autorisation et celle de son éditeur, nous en publierons dans les semaines qui viennent des bonnes feuilles sur notre site. Voici les premières. A la suite de l’annonce par François Hollande de supprimer le quotient familial s’il est élu il nous a paru pertinent de publier l’analyse de Jacques Bichot sur cette question cruciale pour les familles.

Cette disposition du Code des impôts a pour but de mettre en œuvre le principe : à niveau de vie égal, taux d’imposition égal. Ce principe est une autre façon d’énoncer celui qui figure à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, texte à valeur constitutionnelle : « Une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés. »

En quoi consiste le quotient familial ?

Concrètement, pour déterminer le niveau de vie les statisticiens utilisent un système d’unités de consommation : chaque ménage se voit affecter, en fonction de sa composition, un certain nombre d’unités de consommation (UC), et son niveau de vie est obtenu en divisant son revenu par ce nombre. Par exemple, dans le système OCDE, aussi utilisé par l’INSEE, le premier adulte compte pour une UC, toute personne de plus de 14 ans pour 0,5 UC, et toute personne de moins de 14 ans pour 0,3 UC. La famille Martin composée de deux parents, un adolescent et un enfant de dix ans compte ainsi pour (1 + 0,5 + 0,5 + 0,3) UC, c’est-à-dire 2,3 UC. Si son revenu mensuel est 2 300 €, son revenu par UC est 1 000 € : son niveau de vie est réputé égal à celui d’une personne seule disposant de 1 000 €.

Le Code des impôts français utilise un système d’UC, dit « parts de quotient familial », ou tout simplement « parts », ainsi constitué : une part pour une personne seule ; deux pour un couple ; ½ part pour chacun des deux premiers enfants à charge ; et une part pour les suivants. La famille Martin a 3 parts (2 + 0,5 + 0,5). Son taux d’impôt sur le revenu (IR) est le même que celui d’une personne seule ayant un revenu trois fois moindre, soit 767 €. Actuellement, le barème de l’IR rend cette personne non imposable ; la famille Martin l’est donc aussi. Une autre famille de même composition, disons Da Silva, qui aurait un revenu imposable de 6 000 €, serait imposée au même taux qu’une personne seule au revenu de 2 000 € ; son impôt serait le triple de celui de cette personne.

Le foyer fiscal

Le quotient familial (QF) fait appel à un second principe : le contribuable n’est pas l’individu, mais le ménage, que le fisc appelle « foyer fiscal ». Certains sont allergiques à cette disposition parce qu’ils ne conçoivent pas, ou ne veulent pas, que le fisc reconnaisse un corps intermédiaire, la famille, nommée foyer fiscal pour la circonstance. Il est vrai que dans certains ménages les revenus ne sont pas mis en commun, mais la grande majorité des couples mariés le sont sous le régime de la « communauté réduite aux acquêts », lequel signifie que les biens acquis sous ce régime sont la propriété commune des deux époux, même si un seul est titulaire d’un revenu : le principe de la mise en commun des revenus entre époux est ainsi reconnu. De plus, l’obligation alimentaire des parents à l’égard de leurs enfants, même si elle n’interdit pas explicitement aux parents de nourrir leurs enfants de pain sec quand eux-mêmes mangent des gâteaux, correspond à un état d’esprit de partage qui exclut ce type de comportement. Les règles d’héritage vont dans le même sens.

Polémique autour du QF

Les adversaires du QF sont donc motivés par une conception individualiste qui se situe aux antipodes de celle du législateur de 1945 – rappelons-nous que la règle du QF fut alors votée à l’unanimité. Mais ce qu’ils mettent en avant, c’est un calcul par lequel ils prétendent démontrer que le QF procure des réductions d’impôt croissantes avec le revenu. La technique consiste à calculer la somme des IR qui seraient payés par les membres de la famille si chacun était imposable séparément, et à lui retrancher le montant de l’impôt effectivement dû selon les règles en vigueur. Bien entendu, la différence est nulle si les revenus, très modestes, conduisent dans les trois cas à un IR nul, et elle est de plus en plus importante au fur et à mesure que l’on grimpe dans l’échelle des revenus : l’exactitude de leur calcul n’est pas en cause. Ce qui ne va pas, c’est l’interprétation qu’ils font d’une formule algébrique. Pourquoi leur mode de calcul de l’IR serait-il « normal » et « juste » tandis que celui voulu par le législateur serait un cadeau fait aux familles ? Pourquoi l’équité ne serait-elle pas du côté de la formule en vigueur, tandis que leur formule introduirait une pénalisation des familles – pénalisation croissante avec le revenu ? Je n’ai jamais entendu les adversaires du QF se poser ces questions : ils ont la foi du charbonnier, alors que les partisans du QF ont développé une réflexion sur la place des corps intermédiaires, et particulièrement de la famille, au sein de notre société.

Les parts de QF pourraient être rapprochées des UC des statisticiens, qui elles-mêmes pourraient être affinées ; ceux qui sont d’accord pour reconnaître le foyer fiscal et pour appliquer le principe « à niveau de vie égal, taux d’imposition égal » n’en seraient pas choqués. En revanche, ces citoyens seraient bien avisés de vérifier que les candidats pour lesquels ils envisagent de voter ont la même conception qu’eux de la famille et de l’impôt sur le revenu.

 

Rubrique « Quotient familial » du livre de Jacques BICHOT, « Les enjeux 2012 de A à Z ; abécédaire de l’anticrise », Coédition Association pour la fondation de service politique / l’Harmattan, à paraître le 15 février.

Jacques Bichot est professeur émérite à l’université Lyon 3, vice-président de l’association des économistes catholiques.