Article rédigé par Hélène Bodenez*, le 20 juillet 2006
"Que vouliez-vous qu'ils fissent ...? / Qu'ils mourussent !" Grâce au cinéma, la réplique du vieil Horace, ici à peine transformée, empreinte d'idéal héroïque, retrouve aujourd'hui une bonne part de sa vérité surannée.
En ce matin radieux du 11 septembre 2001, voilà pourtant l'alternative à laquelle les passagers du Vol 93 d'United Airlines se résolvent : mourir en combattant avant que la tragédie inaugurale du troisième millénaire ne fasse d'eux les jouets d'un destin implacable, mourir mais en essayant de sauver leur vie.
Paul Greengrass le réalisateur du film Vol 93 sorti ce 12 juillet s'est essayé à reconstruire minutieusement les heures noires d'un jour qui n'en finit plus. Entre documentaire et fiction, le spectateur est jeté dans un plausible saisissant. Si "le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable" comme l'affirme un maître incontestable en matière de tragédie (Boileau), vrai et vraisemblable à n'en pas douter se donnent ici une magistrale leçon, dans un moment d'exception incroyable. Il ne sera pas dit que ce funeste jour de septembre n'aura pas eu également sa face de gloire et de panache dans une brève contre-attaque de la dernière chance.
Chacun sait que, sur les quatre avions détournés, le quatrième n'atteindra jamais sa cible du Congrès. Les raisons de l'échec des terroristes sont multiples et complexes. L'introduction les annonce bien. Le film s'ouvre par les rituels musulmans auxquels les occidentaux sont familiarisés désormais : les futurs martyrs se doivent de réaliser prières, rasage du corps, purification par l'eau, de se revêtir d'habits particuliers ou de turbans... Tout un cérémonial d'une piété aux apparences dignes et ordinaires. Ne nous y trompons pas : nous sommes d'emblée introduits dans la logique des tueurs, celle de fanatiques religieux. Leurs prières montent ainsi pendant qu'étrangement la caméra surplombe alors de nuit la ville, plus haut que les gratte-ciel.
Qui voit cette ville, Babylone qui ne soupçonne pas le cauchemar à venir ? Qui entend ces prières insensées ? Ténébreuse vision d'un ciel dont on peut se demander s'il est vide ou plein, s'il est la demeure d'un dieu qui entend et pleure devant le mal qui va se réveiller ou d'un dieu qui se tait en le permettant.
Le chef des terroristes cependant ne paraît pas taillé tout d'une pièce. On ne sait s'il croit vraiment en ces formules jaculatoires qui émaillent son action. On le voit dans son élégant costume sombre, plus sensible, moins excité que les trois autres, jouant bien plus que le banal rôle de pirate de l'air d'un mauvais film catastrophe. Son regard, au travers de lunettes à la monture fine, semble souvent affolé. Comme la plupart des passagers, il voudra dire adieu à la personne qu'il aime. Il a attendu avant de lancer l'opération, résisté aux pressions de ses équipiers impatients d'en finir. Pourquoi ? Même ses complices ne comprennent pas cette temporisation d'une vingtaine de minutes qui leur sera fatale.
Tout a été à peu près dit sur les incompétences conjuguées des autorités américaines, qu'elles soient civiles ou militaires, sur l'incroyable manque de réaction face au péril en cours. Le film sur ce point est très parlant en ces passages glissant des tours de contrôle au QG des militaires. Particulièrement intéressantes, les scènes de l'écran vert des aiguilleurs du ciel ou des écrans sophistiqués de l'armée qui retranscrivent les détournements en train de se réaliser et les hommes incapables dans le même temps d'interpréter les faits. Du virtuel de l'écran à la réalité crue ne restera que l'hébétement fou des acteurs d'une sécurité impuissante ; de la disparition de l'avion, de ce "point" fragile s'effaçant d'un écran de contrôle, à la fumée des tours jumelles, explosera l'hyper réalité d'un événement qui se soldera par plus de trois mille morts. Qui aurait pu imaginer pareil attentat ? pareil scénario de roman à la Tom Clancy ? Personne de fait.
Le traumatisme est énorme : Spielberg dans ses deux films d'après le 11 septembre, La Guerre des mondes ou Munich"case " avec rage les rives de New York orphelines de leurs deux tours. Michael Moore dans Fahrenheit 9/11 avait quant à lui dénoncé également les dysfonctionnements qui avaient présidé à ce fatal jour. Ce dernier n'avait pas hésité à montrer la réaction inerte de George Bush en visite dans une maternelle à la nouvelle des attentats.
La fin hurlante du film dans l'assaut des hommes qui ont compris qu'il n'y avait qu'à y aller, est horrible et belle, dépourvue de tout esthétisme. La détermination n'est pas que dans un seul camp. Une volonté de survivre, une rage de vaincre, une énergie virile de guerrier prêt au sacrifice, voilà ce que portent les dernières minutes d'un film dont on sort groggy, minutes d'une action chargée de beaucoup de matière n'en déplaise à notre dramaturge spécialiste du vrai.
Silence dans la salle.
Sacrilège de manger des pops corn pendant ce temps-là !
*Hélène Bodenez est professeur de lettres à Saint-Louis de Gonzague (Paris).
■ La bande annonce du film (VF)
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