Vingt ans après, l'apport original de "Donum Vitæ"
Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 02 mars 2007

Nous venons de fêter les vingt ans de l'Instruction Donum vitæ publiée le 22 février 1987 par la Congrégation pour la doctrine de la foi. Consacré au respect de la vie naissante et à la dignité de la procréation, ce document semble avoir été écrit hier tant il embrasse toute la complexité du sujet avec une puissance intellectuelle incomparable.

La Congrégation a fait savoir qu'une "mise à jour" de l'Instruction était en chantier, non pour changer d'orientation théologique, mais pour répondre aux nouvelles questions éthiques posées par les progrès scientifiques (parthénogénèse, embryons hybrides homme-animal, etc.), et leurs conséquences pratiques sur le plan moral et politique.

Si le texte original de Donum Vitæ conserve donc sa pertinence capitale pour la réflexion bioéthique contemporaine, il convient de revenir sur l'un de ses aspects tout à fait novateur, voire révolutionnaire, que le philosophe belge Philippe Caspar, bien seul à l'époque, avait relevé lors de sa parution, dans la Revue théologique de Louvain.

Que dit l'Instruction ? [Notre] Congrégation connaît les discussions actuelles sur le commencement de la vie humaine, sur l'individualité de l'être humain et sur l'identité de la personne. Elle rappelle [que] dès que l'ovule est fécondé se trouve inaugurée une vie qui n'est ni celle du père, ni celle de la mère, mais d'un nouvel être humain qui se développe par lui-même. Il ne sera jamais rendu humain s'il ne l'est pas dès lors. À cette évidence de toujours, la science génétique moderne apporte de précieuses confirmations. Elle a montré que, dès le premier instant, se trouve fixé le programme de ce que sera ce vivant : un homme, cet homme individuel avec ses notes caractéristiques bien déterminées. Dès la fécondation est commencée l'aventure d'une vie humaine dont chacune des grandes capacités demande du temps pour se mettre en place et se trouver prête à agir. L'autonomie individuelle de l'embryon est d'emblée affirmée en s'appuyant sur l'organisation génétique radicalement unique qui permet le développement de l'œuf fécondé. Ce qui est très intéressant est la prise en compte dans un document ecclésial d'ordre doctrinal des dernières données de la science génétique pour insister sur l'individualité cellulaire et génomique du tout jeune embryon. Le Magistère n'hésite donc pas à intégrer dans son argumentation des faits reconnus par la biologie embryonnaire. La suite du document couronne ce premier enchaînement : Cette doctrine demeure valable, et est du reste confirmée, s'il en était besoin, par les récentes acquisitions de la biologie humaine, qui reconnaît que dans le zygote dérivant de la fécondation s'est déjà constituée l'identité biologique d'un nouvel individu humain. S'il existe indubitablement une unicité du patrimoine génétique du nouvel embryon, il s'agit bien pour l'Instruction de faire le lien avec une individualité de la vie humaine en ses débuts, laquelle est affermie — et est du reste confirmée — par des arguments biologiques. Celui qui sera Benoît XVI prend soin de préciser s'il en était besoin , car le respect de l'embryon repose sur un enseignement immuable de l'Église dès les premiers siècles.

Et l'âme ? Certes, aucune donnée expérimentale ne peut être de soi suffisante pour faire reconnaître une âme spirituelle. La réflexion sur l'union entre l'âme et le corps fait bien partie d'un autre champ de l'intelligence qui est le propre de la métaphysique car on ne saurait indûment affirmer que les arguments biologiques exposés suffisent à eux seuls à révéler la présence ou non d'une âme spirituelle. La science ne prouve pas l'âme. Cette distinction des plans de réflexion propres à l'embryologie et à la métaphysique est d'ailleurs une des richesses du Magistère. À la science son ordre de légitimité qui doit être enrichi par une pensée métaphysique ouvrant à une connaissance intégrale du statut de l'être humain au commencement de sa vie. Toutefois, rappelle l'Instruction, les conclusions scientifiques sur l'embryon humain fournissent une indication précieuse pour discerner rationnellement une présence personnelle dès cette première apparition de la vie humaine. Le début de la vie... et de la personne

Est évoquée ici la question de l'opposition des partisans de l'animation médiate ou différée et celle de l'animation immédiate. Selon la première, le principe spirituel qu'est l'âme humaine s'unit au corps embryonnaire après un certain nombre de jours de développement. Selon la seconde, cette union coïncide avec la fécondation biologique. Donum vitæ vient conforter ceux qui ne mettent aucune discontinuité dans le temps dans la formation de l'être humain au plan métaphysique. Examinons les termes employés qui viennent éclairer l'originalité de ce texte.

 Les conclusions scientifiques : nous sommes bien renvoyés aux progrès des sciences biologiques. Ces découvertes scientifiques sont présentées comme des conclusions. Le cardinal Ratzinger ne cache pas que la science est actuellement en mesure de décrire adéquatement l'individualité rigoureuse du zygote humain.

 Indication précieuse : S'il faut bien distinguer les différents ordres d'investigation de la réalité vivante qu'est le zygote, la métaphysique peut intégrer dans ses recherches l'apport des données scientifiques qui sont un point d'orientation important à prendre en compte pour établir l'infusion immédiate de l'âme rationnelle dans le jeune embryon. Les avancées fournies par la science sont une indication valable et un acquis fondamental dont la portée n'est pas subalterne. On peut voir dans cette démarche un des plus beaux joyaux de la pensée chrétienne capable d'embrasser toute la complexité du logos.

 Discerner rationnellement une présence personnelle : La réflexion ontologique ou métaphysique sur le statut anthropologique de l'embryon y reconnaît bien une personne humaine en s'appuyant sur les éléments fournis par la génétique et la biologie. Et cela, dès le premier instant. Nous trouvons ici un des documents les plus forts en faveur de la saisie immédiate de l'embryon par une âme rationnelle dont on ne peut taire la portée intellectuelle. C'est ce travail révolutionnaire que Jean Paul II utilise lorsqu'il explique que l'approfondissement anthropologique porte à reconnaître que, en vertu de l'unité substantielle du corps et de l'esprit, le génome humain n'a pas seulement une signification biologique ; il est porteur d'une dignité anthropologique qui a son fondement dans l'âme spirituelle qui l'envahit et le vivifie [1] .

 

Individu et personne

D'ailleurs, comment un individu humain ne serait-il pas une personne humaine ? demande Joseph Ratzinger. C'est dire que les deux concepts d'individu et de personne sont tout à fait solidaires l'un de l'autre. De toute manière, on peut dire que la présomption est en faveur de la réponse affirmative, la charge de la preuve revient à qui veut répondre négativement. En effet, quiconque voudrait prendre ce faux chemin devrait montrer que la proposition il existe certains individus humains qui ne sont pas des personnes est possible. L'Instruction Donum vitæ postule cette solidarité complète entre les deux concepts : nous avons ici affaire à un des plus précieux fruits spéculatifs de cette Instruction et nous ne pouvons que souligner la percée doctrinale considérable de ce document concernant le statut de l'embryon et une vision de la science comme propédeutique à la métaphysique. Jean-Paul II a d'ailleurs sévèrement critiqué la distinction qui est parfois suggérée dans certains documents internationaux entre être humain et personne humaine pour reconnaître ensuite le droit à la vie et à l'intégrité physique uniquement à la personne déjà née, [qui] est une distinction artificielle sans fondement scientifique, ni philosophique [2] .

À ce propos, on sait que saint Thomas d'Aquin, s'appuyant sur les connaissances embryologiques d'Aristote, fixe à 40 jours l'infusion de l'âme rationnelle dans le corps humain. Cette conclusion doit-elle nous dérouter ? Aucunement, répond Mgr Sgreccia, président de l'Académie pontificale pour la vie, car cette théorie, soutenue par Aristote puis par saint Thomas, [...] dépendait essentiellement des connaissances biologiques limitées qui étaient disponibles au temps où ces auteurs écrivaient. Une application correcte des principes aristotélico-thomistes, tenant compte des connaissances scientifiques actuelles, porterait au contraire à soutenir la théorie de l'animation immédiate et à affirmer en conséquence la pleine humanité de l'être humain nouvellement formé[3] .

Bref, si le Docteur angélique vivait aujourd'hui avec l'accès aux dernières données de la science, il postulerait logiquement et sans équivoque une concordance absolue antre fécondation et animation. De quoi faire taire les adversaires du respect inconditionnel de la vie qui font valoir à tout bout de champ la prétendue position de Thomas d'Aquin. À ce sujet, on trouve par exemple ce passage sidérant dans le rapport parlementaire Fagniez (juillet 2006) : La doctrine catholique est fixée par l'Instruction Donum vitæ [...]. À noter cependant que la doctrine de l'Église n'a pas toujours été celle-ci puisque pour saint Thomas d'Aquin, le corps n'est investi d'une âme qu'à compter de la moitié de la grossesse [4]. On ne savait pas que la gestation dans l'espèce humaine durait 80 jours ! Quant à l'argument fallacieux d'une discontinuité intellectuelle dans le Magistère, il ne tient pas une seconde puisqu'il s'agit au contraire pour les historiens de l'Église d'une position immuable, saint Thomas ayant de toute manière soutenu le plus grand respect pour l'être humain conçu, indépendamment de sa réflexion sur le moment de l'animation.

Un dialogue rigoureux

C'est bien sur la base de ces affirmations que l'Église essaie de construire patiemment un dialogue rigoureux avec les institutions éthiques et scientifiques de notre temps. Et qu'elle leur demande des comptes quant à leurs propres justifications. Dans une note de synthèse passionnante sur le thème de l'embryon humain dans sa phase préimplantatoire destinée à résumer les travaux de la XIIe Assemblée plénière de l'Académie pontificale pour la vie (février 2006), on retrouve cet état d'esprit de profonde ouverture sur les enseignements récents de la biologie embryonnaire [5]. Une lecture attentive des étapes moléculaires du processus de fécondation et de développement de l'embryon humain y est présentée. On y découvre aussi tout un aspect saisissant concernant la communication très subtile entre la mère et l'enfant avant même que ce dernier ne soit implanté dans l'utérus. C'est ainsi que les deux tiers du corps du document sont consacrés à des faits scientifiques très précis préparant les considérations finales sur les plans bioéthique, philosophique et juridique.

Alors même que nos sociétés postmodernes se placent sous l'autorité absolue de la science, seul objet d'une affirmation et d'une approbation publiques incontestables, mettant en avant ses résultats qui s'imposent avec force à tous, l'Instruction Donum vitæ nous met devant nos propres incohérences en ce qui concerne le statut de l'embryon. D'où vient donc que les connaissances scientifiques irréfutables qui lui sont relatives sont dans ce cas précis tenues pour rien ?

*Pierre-Olivier Arduin est responsable de la Commission Bioéthique et Vie humaine pour le diocèse de Fréjus-Toulon.

Pour en savoir plus :

■ L'Instruction Donum Vitae

Notes[1] Jean-Paul II, Discours aux participants à la IVe Assemblée générale de l'Académie pontificale pour la Vie, 24 février 1998.

[2] Jean-Paul II, Discours aux participants à la VIIIe Assemblée générale de l'Académie pontificale pour la Vie, 27 février 2002.

[3] Académie pontificale pour la Vie, L'embryon humain dans la phase préimplantatoire, aspects scientifiques et considérations bioéthiques, Libreria editrice vaticana, 8 juin 2006.

[4] Rapport Fagniez, Cellules souches et choix éthiques, La documentation française, Paris, 2006, p. 103.

[5] Académie pontificale pour la Vie, L'embryon humain... op. cit.

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