Article rédigé par Jean Choisy, le 07 novembre 2003
" Nous avons déjà gagné dans les cœurs ", vient de déclarer Rocco Buttiglione, ministre italien des Affaires communautaires. Dans un entretien accordé le 5 novembre à Élizabeth Montfort, le chef de file du Collectif du 3 avril, regroupant les parlementaires européens favorable à la reconnaissance de l'héritage chrétien, le ministre a annoncé que vingt-trois pays protagonistes du traité, autrement dit la totalité moins trois, sont désormais favorables à une reconnaissance explicite de l'héritage chrétien.
Les trois irréductibles sont connus : il s'agit de la France, de la Suède et de la Belgique. Les plus virulents sont les Belges, dont la constitution nationale prévoit pourtant un statut particulier pour les ministres du culte (art. 181).
Il est difficile d'établir aujourd'hui un diagnostic sur la possibilité d'obtenir satisfaction sur ce point délicat d'identification des sources communes de l'héritage européen, indépendamment du calendrier des négociations. Plusieurs pays - mais pas tous - ont affiché leur détermination. Varsovie souhaite le respect de l'agenda, autrement dit une signature du traité avant la fin de l'année, mais " pas à tout prix ", et notamment sur la question de l'héritage chrétien. "La qualité avant tout. Le calendrier joue un rôle secondaire", a indiqué aux journalistes Jan Truszczynski, sous-secrétaire d'Etat au ministère des Affaires étrangères. "Nous n'allons pas chercher à obtenir à tout prix et par des raccourcis un consensus final global le 13 décembre au plus tard, s'il s'avère que la matière n'est pas suffisamment débattue et prête à ce consensus", a-t-il affirmé. Sur la rédaction du préambule, opposition analogue de l'Italie. Le vice-président Gianfranco Fini en fait une " question de principe ". "Nous insisterons jusqu'à la dernière minute" pour obtenir cette référence, a annoncé M. Fini au cours d'une audition au Parlement italien. "Et cette question ne fera pas l'objet d'un marchandage", a-t-il promis.
Qu'en sera-t-il demain ? En dépit de leur majorité écrasante, les pays favorables à la reconnaissance des origines chrétiennes de l'Europe ne partagent pas tous la même détermination. L'Espagne y est favorable, mais souhaite également l'intégration de la Turquie... Il est probable donc que l'héritage chrétien ne soit considéré comme certains que comme une monnaie d'échange.
En outre, le blocage annoncé excite rancœurs et imaginations. Étrangement absents jusqu'alors, les lobbies anticléricaux se réveillent. Des ONG militent pour la suppression de l'article 51 (qui garantit le respect du statut des Églises et le dialogue entre elles et l'État), et tentent de s'opposer à la dynamique lancée par le Collectif du 3 avril et le mouvement de pétition pro-liberté religieuse. Regroupant organisations maçonniques, catholiques progressistes et mouvements pro-avortement, elles voient dans l'article 51 un " droit d'ingérence du Vatican " ! Lors d'une conférence de presse à Bruxelles, le 5 octobre, M. Niel Data, représentant l'IPPF-Fédération internationale pour le planning familial s'est inquiété de la porte ouverte laissée ainsi au Saint-Siège, dont " la conception de la dignité de la personne et du commencement de la vie humaine [leur] pose beaucoup de problèmes ".
Plus subtil, un mouvement s'amorce également pour neutraliser les effets d'une introduction de l'héritage chrétien dans le préambule. Il s'agirait " d'associer tradition laïque et tradition chrétienne ", selon le mot d'un député français du Parlement européen, ou de revenir à une citation de toutes les traditions religieuses. Ali Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris, croit pouvoir réclamer une pareille reconnaissance de l'héritage musulman dans le traité. Jacques Chirac n'est pas en reste, qui a déclaré à Philippe de Villiers, selon le député de la Vendée, que " les racines de l'Europe sont autant musulmanes que chrétiennes " (Le Figaro du 29 octobre).
D'ores et déjà, deux victoires sont acquises : 1/ la mention de " l'héritage chrétien " n'est pas enterrée, comme on l'avait laissé entendre un peu vite en juin dernier, lorsque Valéry Giscard d'Estaing avait remis son projet de traité. " La messe est dite ", proclamait Le Monde, expliquant l'échec du Vatican par son " intransigeance ". Or aujourd'hui, la question revient sans cesse, lancinante, comme si l'Europe, décidément, ne pouvait pas se définir sans Dieu, à tout le moins ne pas effacer sans douleur l'Évangile de son identité... 2/ La quasi-totalité des États européens est favorable à cet aménagement. Le 27 octobre, le chef de la diplomatie italienne, M. Frattini, pouvait annoncer qu'" un nombre croissant de pays étaient favorables à une référence chrétienne ". Même si " délégation belge a dit explicitement que ce principe pourrait être inacceptable ", le ministre s'est réjoui de l'évolution des discussions à ce sujet : " On a remarqué clairement qu'il ne s'agit pas de créer un État chrétien, ni de se détourner de la laïcité des institutions, mais de constater un fait. " Vingt-trois pays admettent donc désormais que l'héritage chrétien est une donnée historique et que cette évidence est compatible avec la laïcité...
Pour sa part, Jean Paul II vient de rappeler qu'il s'agissait simplement d'une question de " logique ". Aux participants du séminaire romain de la Fondation Robert-Schumann, ce 7 novembre, il a déclaré : " De multiples racines culturelles ont permis le renforcement de ces valeurs et on ne saurait oublier que le christianisme est une force capable de les promouvoir, de les réconcilier entre elles et de les consolider. C'est pourquoi il est logique que le futur traité constitutionnel européen, dont la finalité est l'unité dans la diversité, mentionne explicitement les racines chrétiennes du continent. Une société qui oublierait son passé serait exposée au risque de ne pouvoir affronter le présent, et même à celui de devenir la victime de son avenir ! "
Rocco Buttiglione explique le progrès de la raison politique par la mobilisation des parlementaires européens et de la société civile. Le 18 novembre, Élizabeth Montfort lui remettra publiquement au Parlement de Strasbourg les 400.000 premières signatures recueillies en Europe, au nom de la Fondation de service politique, des associations nationales partenaires et du Collectif parlementaire du 3 avril. D'autres initiatives sont prévues pour élargir la mobilisation populaire et parlementaires européennes : il s'agit de consolider la détermination des gouvernements, encore bien fragile, ... et de convaincre les ultimes récalcitrants. Tout doit être tenté pour que les sources chrétiennes de l'identité européenne ne soient soumises à un odieux marchandage.
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