Article rédigé par Jean-Germain Salvan, le 14 juin 2002
En 1815, les monarchies européennes avaient adopté une série de traités, connus comme la Sainte-Alliance, destinée avant tout à surveiller la France et à prévenir un regain des idées révolutionnaires. Depuis l'effondrement de l'URSS entre 1989 et 1991, de bons esprits se posaient la question des fins stratégiques que pouvait conserver l'Alliance atlantique après la disparition de l'ennemi qui justifia, pendant plus de quarante années, son existence.
A Rome, le 28 mai dernier, l'Otan
L'OTAN, pour quoi faire ?
Manifestement les Américains souhaitent disposer en Europe et en Méditerranée, de bases pour des opérations destinées à protéger les champs de pétrole du Proche et du Moyen-Orient. En 1992, ils avaient laissé les Européens inclure dans les missions de l'Alliance des opérations de maintien de la paix, dans la mesure où ils testaient seuls maîtres des options stratégiques : eux bombardaient le Kosovo, les Européens aidaient les vieilles dames à traverser les rues de Pristina...
L'élargissement de l'Alliance qui, en 1997, avait engerbé la Pologne, la République tchèque et la Hongrie, avait inquiété la Russie. On avait aussitôt institué un conseil conjoint OTAN-Russie, baptisé 19+1, où l'on devait discuter des problèmes de sécurité communs aux Occidentaux et aux Russes. Bien que les compétences de ce conseil soient limitées, la volonté des Russes est d'obtenir dans cette instance un droit de veto sur des questions essentielles pour leur sécurité. Même si l'élargissement de l'Alliance aux pays baltes semble imminent, la Russie ne protestera que pour la forme contre cette extension de l'Alliance vers l'Est.
La nouvelle donne stratégique
En effet, depuis le 11 septembre 2001, les États-Unis ont découvert qu'ils ne sont plus invulnérables : la menace islamiste, qu ils prenaient très à la légère, en dépit d'attentats meurtriers menés depuis 1995 contre leurs armées, leurs ambassades ou leurs concitoyens, est désormais une priorité. L'engagement de leurs forces en Afghanistan, leur soutien à Israël, leur préparatifs contre l'Irak en sont les premières preuves. Mais, bien que l'Alliance atlantique ait estimé, dès le 12 septembre 2001, que l'article 5 de la Charte de l'Atlantique nord devait s'appliquer, et donc qu'une défense mutuelle devait jouer, les Américains n'ont guère eu recours à leurs alliés traditionnels, trop médiocrement équipés à leur goût. Les Américains ont affirmé : " C'est la mission qui détermine la coalition, et non la coalition qui détermine la mission. "
Le terrorisme islamiste étant désormais l'ennemi à abattre, tous les alliés sérieux dans ce combat sont les bienvenus : le recensement en est vite fait. Outre Israël, la Russie mène un combat contre des Tchétchènes qui ont eu la mauvaise idée de se proclamer islamistes, les Turcs prétendent combattre le terrorisme kurde, la Chine lutte contre les Ouigours du Turkestan, des guérilleros mènent la vie dure à l'Inde au Cachemire... Le Pakistan a d'ailleurs senti passer le vent du boulet, et le général Moucharaf a abandonné sans trop d'état d'âme le soutien qu'il apporta, durant deux décennies, aux talibans et autres islamistes en Afghanistan ou chez lui.
Le nouveau traité entre la Russie et les Etats-Unis
Le 24 mai 2002, les présidents Bush et Poutine ont signé un traité qui montre bien quelles fins poursuivent Américains et Russes. Outre la lutte contre la prolifération nucléaire, la problématique de la défense antimissiles, une nouvelle relation stratégique est établie entre les deux puissances. Les deux pays se déclarent prêts à " coopérer pour faire progresser la stabilité, la sécurité et l'intégration économique, à affronter ensemble les défis globaux, à aider à résoudre les conflits régionaux. " Ils s'engagent à " respecter les valeurs essentielles de la démocratie, les droits de l'homme, la liberté d'expression et celle des médias, la tolérance, l'État de droit et l'initiative économique. [...] Les deux parties rejettent le modèle de compétition entre les grandes puissances, qui a montré ses faiblesses et qui ne peut qu'intensifier le potentiel de conflit. "
Le traité annonce " en juin prochain, l'organisation d'une conférence régionale sur l'antiterrorisme avec la participation des États de l'Asie centrale et du Caucase, de l'Afghanistan, la Turquie, la Chine et la Russie. "
C'est surtout à propos du terrorisme que les buts stratégiques sont les plus clairs : " Déjà alliés dans le combat global contre le terrorisme international, ils continueront leur coopération en Afghanistan. Ils se reconnaissent des intérêts communs en Asie centrale et dans le Caucase méridional. La souveraineté, la stabilité durable, la prospérité et le développement démocratique durable des États d'Asie centrale servent les intérêts des États-Unis et de la Russie. [...] Les États-Unis et la Russie veulent aider le gouvernement de la Georgie dans la lutte contre le terrorisme, promouvoir une solution politique aux conflits on Abkhasie et en Ossétie du Sud... "
Ailleurs, les États-Unis et la Russie se déclarent coresponsables du processus de paix au Proche-Orient, et ils poursuivent un dialogue constructif sur l'Irak...
Une partie du traité concerne l'économie, l'accès de la Russie à l'Organisation mondiale du Commerce. Surtout, un " effort commun sera mené pour développer les vastes ressources énergétiques de la Russie et de la région de la Caspienne. "
Fin de la Guerre froide
Il est évident que ce traité consacre la fin de la guerre froide, un nouveau partenariat entre la Russie et les États-Unis, un droit de regard des Américains sur cette partie de l'Asie et du Caucase que les Russes considéraient comme leur chasse gardée depuis deux siècles... Dans ces déclarations lors de la conférence de presse commune au Kremlin, le président Bush a montré qu'il comprenait le parallèle établi par les Russes entre les attentats du 11 septembre 2001 et le terrorisme tchétchène : " Nous comptons travailler avec la Russie pour faire cesser les combats et parvenir à un règlement politique en Tchétchénie. "
L'ennemi commun, c'est donc bien le terrorisme islamique, et la conférence annoncée en juin sous l'égide des États-Unis annonce bien une nouvelle Sainte-Alliance entre les États qui mènent sérieusement ce combat : les Européens n'en sont pas.