Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 15 janvier 2010
Deux décrets du 20 août 2008 ouvrent le droit d'inscrire un fœtus mort in utero sur les registres d'état-civil et le livret de famille ainsi que de procéder à des rites funéraires. Retour sur une décision dont la portée symbolique ne saurait être ignorée.
Coup de tonnerre le 6 février 2008 lorsque la première chambre civile de la Cour de cassation rend trois arrêts qui autorisent les requérants à déclarer à l'état-civil des fœtus nés sans vie, quels que soient le poids ou la durée de gestation. Auparavant, les familles françaises ne pouvaient prétendre à ce droit lorsque l'enfant mort in utero avait moins de 22 semaines ou pesait moins de 500 g selon la définition arbitraire de l'Organisation mondiale de la santé qui datait de 1977. Ces enfants étaient donc considérés comme des déchets opératoires et incinérés avec eux. Ne pouvant s'y résoudre, trois couples qui s'étaient vu refuser le droit d'enregistrer à l'état-civil leurs enfants mort-nés — dont l'âge oscillait entre 18 et 21 semaines et dont le poids allait de 155 à 400 g — ont mené une longue bataille juridique pour demander que justice leur soit faite.
Statut symbolique
Cette décision ne pouvait que susciter la polémique, ne serait-ce que par le statut au moins symbolique qu'elle octroie en creux à l'enfant à naître. Par la voix de sa secrétaire générale, le Mouvement français pour le Planning familial se disait scandalisé par une sentence ouvrant une brèche qui à la longue peut mettre en cause l'avortement [1] . Le chef de service de la maternité Antoine Béclère s'élevait lui aussi contre la jurisprudence de la Cour de cassation, dénonçant le trouble suscité par l'inscription à l'état-civil avant 22 semaines .
Le professeur René Frydman demandait dans une tribune particulièrement orientée que soit maintenu en vigueur ce seuil ainsi que la distinction – artificielle – entre l'embryon, le fœtus et l'enfant afin de ne pas remettre en question le principe d'une recherche sur les embryons conçus in vitro et l'interruption volontaire de grossesse jusqu'à 14 semaines d'aménorrhée [2] . Craignant l'instauration d'un délit de fœticide , même le professeur Axel Kahn en rajoutait sur les conséquences perverses de ces arrêts, au risque de tenir pour rien la souffrance de parents endeuillés [3].
Compromis
Les deux décrets du 20 août 2008, complétés par deux arrêtés explicatifs, vont ménager une solution de compromis entre la décision de justice de la Cour de cassation et la nécessité de ne pas porter préjudice à la loi sur l'interruption volontaire de grossesse [4]. Les textes réglementaires prévoient donc que l'acte d'enfant sans vie soit établi par l'officier d'état-civil sur production d'un certificat médical mentionnant les heure, jour et lieu de l'accouchement de l'enfant décédé in utero. Cet acte peut être porté dans le livret de famille – il convient cependant de rappeler que cet acte ne détermine aucune filiation, le nom de famille qui est un attribut de la personnalité juridique n'étant pas mentionné – et ouvre droit à l'inhumation ou à la crémation de l'enfant. L'Agence d'information Genethique qui s'est procuré l'annexe de l'arrêté en question nous apprend que les fausses couches précoces ainsi que les interruptions volontaires de grossesse ne donnent pas droit à la délivrance du certificat d'accouchement [5] . Le seuil en deçà duquel il n'est plus possible d'inscrire l'enfant sur les registres d'état-civil semble être représenté par les 14 semaines d'aménorrhée de la loi du 4 juillet 2001 relative à l'IVG. C'est donc la notion d'accouchement introduite dans le décret n. 2008-800 qui permet aux pouvoirs publics de ne pas se faire accuser de vouloir remettre en cause l'IVG. L'accouchement est la condition nécessaire à la délivrance d'un acte d'enfant sans vie.
Il n'en demeure pas moins que ces textes réglementaires gardent une haute portée symbolique et offrent un début de réponse au douloureux problème des familles confrontées à la perte d'un enfant in utero. Emmanuel Hirsch, le directeur de l'Espace éthique des Hôpitaux de Paris ne s'y est pas trompé en saluant la conception élevée de la dignité humaine et du respect qui se dégage de cette position : Que parmi nous des parents éprouvés par la mort, avant sa naissance, d'un enfant attendu refusent d'abandonner son corps indifférencié ou démembré au scalpel du chercheur ou à l'incinérateur relève de considérations anthropologiques profondes : nous ne pouvons que les partager. Que, dans un surcroît de sollicitude, dans leur refus de la fatalité et du renoncement, ils souhaitent associer cette existence fugace, énigmatique, à l'histoire de leur famille nous donne à comprendre le sens intime et ultime d'un attachement [6] . Mieux, il voit dans ce combat juste de parents endeuillés une nouvelle expression de la résistance éthique – l'éthique d'en bas, écrit-il – face aux mentalités qui tentent d'abolir les valeurs d'humanité .
On peut également lire dans cette attention renouvelée portée à l'enfant mort-né une moderne résurgence du combat universel d'Antigone qui défendit le droit à la sépulture de son frère Polynice, pourtant jugé criminel et impie par les lois de sa cité. Car au-dessus du droit positif, il y a les lois non écrites, inébranlables, des dieux . Face à la dépouille d'un être humain, les vivants ont un devoir sacré : les rites de la sépulture qui reconnaissent au cadavre quel qu'il soit son appartenance à notre commune humanité. Si bien que la possibilité offerte aux parents d'organiser les obsèques de leur enfant décédé in utero, non seulement fait honneur aux pouvoirs publics qui montrent un début de reconnaissance à son endroit mais surtout le restituent à la communauté des êtres humains.
Un défi pastoral pour l'Église
Nous voudrions enfin soulever un dernier problème suscité par la parution de ces textes. L'annexe de l'arrêté prévoyant les conditions d'établissement de l'accouchement ne manquera pas d'alimenter plusieurs questions qui constituent par ailleurs un défi pastoral pour l'Église. Je ne ferai qu'en esquisser ici les enjeux.
Le texte précise en effet que seuls les accouchements spontanés ou provoqués pour raison médicale – incluant les interruptions médicales de grossesse – ouvrent la possibilité d'un certificat médical, et donc le droit d'enregistrer à l'état-civil et d'inhumer l'enfant. À l'issue d'un diagnostic prénatal quel qu'il soit, s'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic (article L. 2213-1 du Code de la santé publique), la mère peut demander à un centre pluridisciplinaire une attestation d'IMG lui permettant d'avorter. Jean-Paul II avait pris en compte cette crainte des parents pour l'enfant à naître de conditions de vie qui font penser qu'il serait mieux pour lui de ne pas naître tout en réaffirmant que ces raisons et d'autres semblables, pour graves et dramatiques qu'elles soient, ne peuvent jamais justifier la suppression délibérée d'un être humain innocent (Evangelium vitae, n. 58).
Engageant toute son autorité, il avait confirmé l'unanimité de la tradition doctrinale et disciplinaire de l'Église :
Je déclare que l'avortement direct, c'est-à-dire voulu comme fin ou comme moyen, constitue toujours un désordre moral grave, en tant que meurtre délibéré d'un être humain innocent [...]. Aucune circonstance, aucune finalité, aucune loi au monde ne pourra jamais rendre licite un acte qui est intrinsèquement illicite, parce que contraire à la Loi de Dieu, écrite dans le cœur de tout homme, discernable par la raison elle-même et proclamée par l'Eglise (EV, n. 62).
Pour autant, si Jean-Paul II n'a eu de cesse de rappeler la gravité morale de cet acte, il n'a jamais condamné les personnes ; livrant même une des plus belles pages de son encyclique sur l'Évangile de la Vie au n. 99 :
Je voudrais adresser une pensée spéciale à vous, femmes qui avez eu recours à l'avortement. L'Église sait combien de conditionnements ont pu peser sur votre décision, et elle ne doute pas que, dans bien des cas, cette décision a été douloureuse, et même dramatique. Il est probable que la blessure de votre âme n'est pas encore refermée. En réalité, ce qui s'est produit a été et demeure profondément injuste. Mais ne vous laissez pas aller au découragement et ne renoncez pas à l'espérance. Sachez plutôt comprendre ce qui s'est passé et interprétez-le en vérité. Si vous ne l'avez pas encore fait, ouvrez-vous avec humilité et avec confiance au repentir : le Père de toute miséricorde vous attend pour vous offrir son pardon et sa paix dans le sacrement de la réconciliation (EV, n. 99).
Organiser les funérailles d'un enfant dont on a cru bon interrompre la vie parce qu'il aurait été malade ou handicapé ? On voit ici toute la tension que représente ce point pour la pastorale de l'Église, si des parents la sollicitent pour procéder à des obsèques ou même à une simple prière. L'Église ne risque-t-elle pas d'être instrumentalisée pour couvrir a posteriori un acte qu'elle réprouve ? Pour autant, ne doit-elle pas tout mettre en œuvre pour ouvrir aux parents un chemin de réconciliation ? Conjuguer un langage de vérité sur la gravité de la décision et du geste posé d'une part et une attitude de miséricorde qui ne condamne pas d'autre part, constitue à n'en pas douter une voie étroite mais nécessaire.
N'est-ce pas la voie de la charité dans la vérité que ne cesse de proposer Benoît XVI aux femmes et aux hommes d'aujourd'hui ?
Sur ce sujet, dans cette édition :
Un entretien avec Mgr Jacques Suaudeau sur l'inhumation des enfants mort-nés et avortés, Décryptage, 15 janvier 2010
[1] Le Figaro, 8 février 2008.
[2] René Frydman, Ne confondons pas l'embryon, le fœtus et l'enfant , Le Monde, 23 février 2008.
[3] L'Humanité, 9 février 2008.
[4] Décrets n. 2008-798 et 2008-800 et Arrêtés du 20 août 2008, JO, 22 août 2008.
[5] Lettre Genethique, Tout fœtus né sans vie peut être déclaré à l'état civil et inscrit dans le livret de famille , n. 105, septembre 2008.
[6] Le Figaro, Statut du fœtus, le point de vue d'Emmanuel Hirsch , 12 février 2008.
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