Twilight (2/3) : liaisons dangereuses – Bêtes humains
Article rédigé par Antoine Besson, le 03 décembre 2011

Le nouveau phénomène culturel à la mode est une histoire d’amour entre une humaine et un vampire. Bien que l’histoire appartienne au genre fantastique, elle introduit une vision pessimiste de l’humanité.

Twilight est une transposition dans le genre littéraire fantastique de l’historie de Roméo et Juliette. La saga raconte un amour adolescent et passionel entre une humaine et un vampire (cf. Twilight 1/3 : liaisons dangereuses – désir et amour). Le récit est écrit du point de vue de Bella, une adolescente trop vite murie mais également complexée qui découvre l’existence dans son entourage proche de vampires, des êtres supérieurs à de très nombreux points de vue. Les humains, dans ces livres ou ces films, ne peuvent tenir la comparaison…

Comparer l’incomparable

Comprendre et décrypter Twilight pour mieux en discuter et l’expliquer aux adolescents est un défi complexe mais nécessaire. Il convient à la fois de bien connaître la saga et de s’y tenir – c’est-à-dire de ne pas tenter de lui plaquer des réalités qu’elle n’aborde pas. Dans le même temps, il faut aussi garder à l’esprit sa vocation première : le divertissement. Twilight est à l’origine une simple série de roman fantastique.

Mais tout divertissement qu’elle est, la série distille au fil de ses nombreuses pages une comparaison entre les humains et les vampires peu flatteuse pour les premiers. Cet effet de style culmine au dernier tome, lorsque Bella, la narratrice, fascinée par son fiancé vampire, décide de devenir à son tour vampire et abandonne son humanité.

Impossible de condamner une œuvre fantastique au prétexte qu’elle invente des créatures supérieures. C’est le propre de ce genre littéraire d’abolir une certaine rationalité pour laisser libre cours à l’imagination et permettre ainsi l’exploration de nouveaux possibles. Il serait injuste de louer ou critiquer Stephenie Meyer au seul titre de ce qu’elle a inventé des vampires comme ceci ou comme cela…

On peut cependant exercer notre regard critique sur l’anthropologie sous-jacente à un tel roman et la place de l’humain (c’est-à-dire le lecteur également) dans cette cosmologie imaginaire. Cet élément est très important car il révèle un aspect essentiel du roman pour apprécier s’il est bon ou mauvais : savoir s’il induit chez le lecteur un vision positive ou négative de son humanité (cf. premier article de la série). Si ce roman élève ou rabaisse l’homme.

L’extraordinaire face à l’ordinaire

L’un des critères des récents succès adolescents en littérature fantastique est la capacité des auteurs à créer des mondes cohérents et détaillés. C’est le cas du Seigneur des anneaux, de Harry Potter et aujourd’hui de Twilight. C’est ainsi que nous disposons d’une matière importante pour réaliser notre étude. Stephenie Meyer – par l’intermediaire de Bella – décrit avec précision le mode de vie des vampires comparativement à celui des simples humains.

Des créatures hors normes

Du point de vue physique comme de celui de l’intelligence, les vampires sont incroyablement supérieurs aux humains. Le lecteur le découvre dès le premier tome quand Edward sauve Bella d’un accident mortel faisant preuve d’une rapidité et d’une force surhumaine. Bella, déjà fascinée par la beauté d’Edward, est alors intriguée par ses étranges et séduisantes capacités.

Une Dominicaine du Saint-Esprit qui a étudiée la saga analyse : « Nul besoin de prouver après cela que les enfants, s’identifiant avec Bella ou Edward, aient envie de devenir eux aussi des vampires comme eux. “Ce serait bien d’avoir ces pouvoirs”, disent les garçons ; “d’être dans ses bras”, disent les filles. »

Bella elle-même – la narratrice – répète à longueur de page son désir de ne plus être « une bête humaine » (entendre stupide). « Qu’est-ce que l’état de mortel avait de si formidable ? » (Tome 1). A côté d’Edward, dit-elle, « j’étais idiote, lente, humaine ». S’il fallait une preuve que la saga induit une dépréciation de la condition humaine, l’obsession de Bella à vouloir être transformée en vampire est un bel exemple.

On constate ainsi que l’anthropologie sous-jacente au roman implique en réalité un rejet de la nature humaine et par extension de la famille comme fondement de la vie sociale. Les simples humains ne peuvent tenir la comparaison face aux beaux, merveilleux et puissants vampires. Dès lors il n’est question que de s’affranchir de sa nature humaine pour accéder à une nature humaine supérieure : celle des vampires.

La famille et le clan

D’autres aspects plus ordinaires et qui trouvent une résonnance particulière auprès du lecteur permettent aussi de débusquer dans les romans cette dépréciation de la condition humaine. Le thème de la famille offre à cet égard un exemple manifeste.

Côté humain, la famille ne représente plus grand chose. En cela, Bella est une adolescente très moderne. Ses parents sont séparés. Elle a l’habitude de materner sa mère et fait de même avec son père lorsqu’elle s’installe chez lui. Au milieu de ce vide parental, Bella a grandi comme elle a pu. Elle n’a certes pas manqué d’amour de la part de ses parents mais ils n’ont jamais pour autant été ses modèles. Elle est donc seule (y compris au sein de sa famille) et Edward représente une séduisante alternative à cette condition. Il est la famille qu’elle se choisit et tant pis s’il faut pour cela renoncer à son humanité.

En regard de cette situation familiale assez catastrophique, le « clan » des Cullen (la famille vampirique d’Edward) est exemplaire. Il ne s’agit pas d’une vraie famille mais tous ont été transformés (c’est-à-dire mordus) par le père d’Edward : Carlisle. Ils font preuve d’une affection et d’une fidélité mutuelle extraordinaire. Les couples sont unis pour l’éternité (ce à quoi rêvent Edward et Bella). Et ,cerise sur le gâteau, ces vampires ont renoncé à leurs instincts morbides et ne s’abreuvent que de sang animal. Edward et Carlisle particulièrement apparaissent dans la saga comme des êtres bons et généreux, plus humains que les humains.

Ici, le refus de la nature humaine s’accompagne d’un rejet de la famille selon ses principes canoniques. La famille humaine dans notre société n’est plus qu’un reliquat d’un temps révolu. Au même titre qu’il est possible de s’élever à une nature supérieure (de simple mortel à vampire) ces romans distillent l’idée qu’il est préférable de se choisir un autre modèle comme le « clan » des Cullen et donc de renoncer au modèle familiale traditionnel.

La séduction

Parallèlement à cette entreprise, consciente ou non, de dépréciation de la condition humaine, existe dans le roman une séduction qu’exerce le monde des vampires sur le lecteur. Plusieurs éléments entretiennent cette fascination du lecteur. Le romantisme est l’un des plus importants bien sûr puisque la narration est assurée par Bella, humaine amoureuse d’un vampire. Les romans puis les films, en décrivant un amour passionnel et un désir absolu exercent sur le lecteur (et particulièrement les lectrices) comme une transposition de l’obsession de Bella pour Edward. A cet égard les titres des romans sont très significatifs : Fascination, Tentation, Hésitation, Révélation.

Un autre aspect consiste dans le secret qui entoure le monde des vampires et l’attraction qu’exerce sur le lecteur le sentiment d’être initié à ce secret et de découvrir ce qui est caché. Cette méthode est assez ordinaire en littérature et on retrouve des procédés similaires dans de nombreux autres romans pour adolescents [1]. Mais ici, ces éléments associés à la dépréciation systématique de la condition humaine conduisent presque fatalement le lecteur à porter un regard pessimiste sur sa condition de simple humain.

Ces éléments combinés sont en réalité le signe du rejet de la société auquel incite cette anthropologie tronquée. C’est la conséquence naturelle de ce qui précède. Bella rejette à la fois sa nature humaine et sa famille – qui est osons le rappeler « la cellule de base de la société ». Elle quitte son humanité pour devenir un vampire, une créature qui vit dans le secret et cache son existence au reste du monde. Cela signifie par conséquent le rejet de toute la société humaine pour un modèle alternatif centré sur la dissimulation et le mensonge.

Bien entendu, il n’est pas question de dire ici que ce roman condamne l’humanité. Rappelons-le, c’est un simple divertissement et les adolescents sont pour la plupart capable de prendre leur distance vis-à-vis de ces histoires fantastiques. Il faut cependant avoir conscience de ces risques et de cette idée sous-jacente au roman pour pouvoir échanger avec eux et leur faire prendre conscience que si ce roman est une pure fiction (ce qu’ils n’ont souvent aucun mal à accepter) l’histoire contient, elle, des idées et des concepts qui eux sont réels et se glissent dans les esprits. 

 

 

[1] Lire également à ce sujet notre analyse sur les romans Harry Potter :