Travail dominical : condamnation des supérettes parisiennes
Article rédigé par Hélène Bodenez, le 11 février 2011

Seconde victoire en moins de deux semaines pour les défenseurs du repos dominical. Après l'avis du Conseil constitutionnel du 21 janvier, ce sont les  supérettes  (Monop', G20, Franprix) de Paris qui viennent d'être condamnées pour ouverture abusive l'après-midi du dimanche.

Le 21 janvier, le Conseil constitutionnel renforçait la constitutionnalité du repos dominical en le déclarant  conforme , confortant un droit historique et social fragilisé depuis août 2009. Le jugement rendu le 10 février contre les supérettes constitue une vraie victoire. Interviewé ce matin 11 février par Julien Chavanne sur Radio Notre-Dame, l'avocat des syndicats de la Chambre de commerce de Paris, Vincent Lecourt, explique pourquoi.

[Retransciption LP.com] — Les supérettes Monop', G20, Franprix ont été sanctionnées pour avoir ouvert après 13h le dimanche. Elles devront verser des dommages et intérêts aux syndicats et risquent une astreinte de 6000 euros par infraction. Victoire pour les syndicats et pour le salarié ?

C'est la totalité de nos demandes qui ont été acceptées. Les enseignes ont lutté farouchement en considérant que le travail du dimanche était tout à fait possible, qu'il ne s'agissait pas du secteur alimentaire mais du secteur plus général du commerce, estimant qu'elles n'étaient pas tenues par la réglementation à Paris.

Cette victoire est aussi un message à l'État pour faire respecter la loi à Paris et faire respecter un arrêté préfectoral tout à fait applicable.

Ce message vaut pour les enseignes. La première d'entre elles ayant ouvert le dimanche après-midi et ayant entraîné toutes les autres, nous espérons que ces premières condamnations auront l'effet inverse : les premières étant condamnées, les autres pour ne pas l'être devraient fermer à leur tour, et on va y veiller. Mes clients ont d'ores et déjà déclaré qu'ils poursuivraient toutes les autres enseignes qui ne seraient pas dans la légalité et quelle que soit la marque, si j'ose dire.

Cette décision dégage la voie à de nouvelles procédures. Y aurait-t-il d'autres ouvertures de magasin abusives le dimanche ?

Oui. Nous poursuivions huit supérettes, mais celles-ci sont franchisées, c'est-à-dire qu'il faut les poursuivre une par une. Quatre seulement ont été condamnées. Pour les autres, soit elles avaient fermé, soit on a considéré que les syndicats n'apportaient pas la preuve que les caisses étaient ouvertes, en dépit des tickets de caisse présentés. C'est curieux, mais cette reprise de la règle du droit de la preuve n'est pas vraiment choquante : cela nous conduira à mieux caractériser les infractions.

Vous avez un bouton judiciaire sur lequel appuyer. Est-ce que le problème du travail le dimanche est réglé ?

On n'en prend pas le chemin, mais la loi de 2009 fait l'objet de contestations au niveau international. Il y a des recours qui ont été portés devant l'Organisation internationale du travail qui a adressé à la France une demande d'explication en mars 2010. S'il n'est pas fait droit à cette demande ou si les explications de la France ne sont pas suffisantes, notre pays risque d'être condamné, et devrait se retrouver comme pour le CNE (contrat nouvel embauche) avec une condamnation internationale qui poussera le gouvernement à devoir réformer à nouveau la règlementation.

D'autre part la règlementation nouvelle issue de la loi de 2009 est très compliquée. Je rencontre toujours des arrêtés préfectoraux contestables. Il n'y a jamais eu autant de recours alors que la loi de 2009 devait simplifier les choses et devait sortir le législateur de l'impasse alors que pour ma part, j'estimais qu'il n'y a aucune impasse, il n'y a simplement que le respect de la loi, le respect des salariés, le respect du temps de repos libre du salarié et de vie familiale et des valeurs autres que le consumérisme à tout crin.

Est-ce que les supérettes peuvent faire appel de cette décision ?

Elles vont faire appel. D'ores et déjà, au moins deux d'entre elles ont indiqué qu'elles allaient le faire. Pour autant, elles devront appliquer la décision et je ne crains pas grand-chose de la cour d'appel. La décision est parfaite, elle est très bien motivée, en quinze pages. Pour une décision de référé, c'est assez rare et me paraît tout à fait justifiée dans la logique qui a été conduite par le juge, même s'il ne donne pas satisfaction à la totalité de mes demandes. Le juge a une logique qui, à mon sens, est imparable.

Vous avez été l'avocat de tous les syndicats de la Chambre de commerce de Paris. Y-a-t-il un front uni sur le travail dominical de la part des représentants des salariés ?

Tout à fait. C'est le comité de liaison de l'intersyndicale du commerce de Paris qui s'est organisé pour avoir plus de poids, plus de force, et pour qu'on ne lui fasse pas le procès habituel de représenter une minorité. Cette unité est un bon signe pour le syndicalisme et sa modernité.

[Fin de l'interview]

À l'heure du premier bilan de la loi du 10 août 2009 établi par le ministère du Travail qui constate un peu vite qu'on ne travaille pas plus le dimanche, les défenseurs du repos dominical peuvent se féliciter mais ne doivent pas croire tout danger écarté. Prochaine échéance en 2012 ?

*Hélène Bodenez a publié A Dieu le dimanche (Editions grégoriennes, 2010). Dernier article paru : "La bataille du dimanche en France et en Europe", IIe Rapport sur la doctrine sociale de l'Eglise dans le monde, Liberté politique n° 51, décembre 2010.

 

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