Thucydide : pourquoi les démocraties font toujours la guerre
Article rédigé par Nicolas Bonnal, le 25 mars 2011

Nous sommes repartis pour une guerre supplémentaire menée contre un idiot utile, énième tyranneau arabe susceptible de faire remonter les lamentables cotes de popularité des gouvernements que nous nous sommes donnés en France, Grande-Bretagne ou en Amérique.

Les trois puissances atlantiques ou plutôt atlantéennes voyant dans le bombardement de la Lybie l'alibi, c'est le cas de le dire, pour démontrer le wishful thinking et la bien-pensance du monde moderne. On comprend pourquoi l'Allemagne, ancienne et grande Lybie, n'a pas cru bon de se mêler à cette manifestation du côté obscur de la farce.

Nous sommes en guerre perpétuelle, contre les islamistes, contre les communistes, contre les Argentins, contre les Serbes, contre les terroristes, contre le chômage, contre les centrales nucléaires, contre la grippe aviaire, contre le racisme, contre le fascisme, contre tout le reste encore. Pourquoi ? Parce que nous sommes démocrates.

L'exemple démocrate

Régime messianique et parfait devant l'éternité, la démocratie a ses exigences ; la démocratie impose des devoirs ; la démocratie se doit de montrer l'exemple et de châtier le contrevenant. Ce n'est pas moi qui l'écrit, mais Thucydide.

Dans sa guerre du Péloponnèse, il raconte l'extravagante guerre de trente ans menée par les Athéniens contre le reste de la Grèce et, s'ils l'avaient pu, contre le reste du monde. Thucydide cite au livre II (chapitres 38 et 39) les grandes lignes du célèbre discours du stratège Périclès, qui convainc son peuple de poursuivre une guerre qui le ruinera. J'en cite les principales pointes, où Périclès ne cesse de marteler son message : la supériorité ontologique de la démocratie qui lui fait un devoir d'éliminer tout adversaire. En effet,

 Notre constitution politique n'a rien à envier aux lois qui régissent nos voisins ; loin d'imiter les autres, nous donnons l'exemple à suivre. 

Cette excellence du modèle démocratique suppose une supériorité ontologique citoyenne. La race est supérieure, si elle est démocrate. Le citoyen est exemplaire :

 Nous obéissons toujours aux magistrats et aux lois et, parmi celles-ci, surtout à celles qui assurent la défense des opprimés et qui, tout en n'étant pas codifiées, impriment à celui qui les viole un mépris universel. 

Périclès oppose non pas Athènes à Sparte, mais Athènes et sa démocratie à la Grèce entière, à tout le monde en fait. Qu'on en juge :

 Voici donc en quoi nous nous distinguons : nous savons à la fois apporter de l'audace et de la réflexion dans nos entreprises. Les autres, l'ignorance les rend hardis, la réflexion indécis. 

La tyrannie du divertissement

Après le bâton, la carotte. Périclès lie déjà la démocratie à la jouissance matérielle, qui frappera tant Tocqueville lors de son voyage en Amérique. La démocratie athénienne a déjà inventé la société du spectacle et la société des loisirs :

 En outre pour dissiper tant de fatigues, nous avons ménagé à l'âme des délassements nombreux ; nous avons institué des jeux et des fêtes qui se succèdent d'un bout de l'année à l'autre, de merveilleux divertissements particuliers dont l'agrément journalier bannit la tristesse. 

Périclès célèbre, comme plus tard Voltaire ( le superflu, chose très nécessaire/ a réuni l'un et l'autre hémisphère ), le commerce et la mondialisation :

 L'importance de la cité y fait affluer toutes les ressources de la terre et nous jouissons aussi bien des productions de l'univers que de celles de notre pays. 

D'ailleurs, si la richesse est importante, tout le monde peut devenir riche, en démocratie : qu'on se le dise !

 Chez nous, il n'est pas honteux d'avouer sa pauvreté ; il l'est bien davantage de ne pas chercher à l'éviter. 

Guerre messianique

Le messianisme démocratique est à la fois physique et métaphysique ; il est surtout polémologique, donnant raison à Héraclite, réputé élitiste, pour qui la guerre est la mère de toute chose. Périclès enfonce le clou :

 Nous avons forcé la terre et la mer entières à devenir accessibles à notre audace, partout nous avons laissé des monuments éternels des défaites infligées à nos ennemis et de nos victoires. 

Ce tableau admiratif justifie donc tout le reste et toutes les guerres et toutes les morts.

 Telle est la cité dont, avec raison, ces hommes n'ont pas voulu se laisser dépouiller et pour laquelle ils ont péri courageusement dans le combat ; pour sa défense nos descendants consentiront à tout souffrir. 

Comme dit le penseur "néocons" Kagan, les Américains — les démocraties, en fait — viennent de Mars. Alors... les Iraniens, les Russes, les Chinois et les... Vénusiens, et même nos déficits budgétaires abyssaux n'ont qu'à bien se tenir.

 

 

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