Théâtre : "Massacre des Innocents", de Fabrice Hadjadj
Article rédigé par La Fondation de service politique, le 26 avril 2007

Liberté politique est heureuse d'annoncer la création à Paris du 24 avril au 13 mai de la nouvelle pièce de son collaborateur Fabrice Hadjadj – un auteur dont la capacité d'interpeller le cœur et la raison du public s'est déjà fait connaître au théâtre avec À quoi sert de gagner le monde (une vie de saint François-Xavier) et en librairie avec Réussir sa mort (anti-méthode pour vivre), grand prix catholique de littérature 2006.


Cette pièce fait évidemment référence à l'un des mystères chrétiens, le massacre des innocents, mais rejoint aussi l'interrogation de tout homme face au mystère du mal et de la souffrance, et c'est l'intention proprement théâtrale qui prime ici. Cependant le théâtre de l'Évangile, loin d'abolir la tragédie, la porte à son point d'incandescence : il est capable d'une violence bien plus profonde que toute une dramaturgie contemporaine, qui compense souvent sa perte de hauteur tragique par des complaisances morbides et des provocations.

Des enfants de moins de deux ans sont assassinés par un tyran qui redoute parmi eux son rival politique : s'il n'est que l'expression de la cruauté humaine, ce massacre est presque rassurant. Mais si je veux croire que Jésus est le Messie, alors s'ouvre un abîme : comment celui qui apporte la paix peut-il inaugurer son règne par ce carnage ? C'est comme si la foi, plus que l'incroyance, portait avec elle sa radicale remise en cause. Au début de la pièce, un personnage demande : Comment cela s'est fait que le premier témoignage soit aussi la première objection ? Voilà l'abîme, le drame radical, et de ce drame radical, comme d'une unique lumière, vont jaillir les scènes comme autant de rayons diffractés. Cela donne quelque chose de très moderne et comme une espèce d'exégèse dramatique.

Il est important de rappeler qu'Hérode le Grand, tétrarque de Judée, n'est pas d'ascendance juive. Son père jouissait de la faveur de Jules César, aussi fut-il nommé stratège de Galilée. Ses manœuvres, mais aussi son indéniable génie politique, lui permirent de tenir bientôt tout le Royaume de David : il fit tuer son dernier roi... Aussi est-ce exactement à l'heure où le sceptre échappe à Juda que vient Jésus, Roi des Juifs , attestant que les promesses de Dieu s'accomplissent dans un dépassement inimaginable.

Hérode, le Républicain par excellence

Cependant Hérode le Grand fait massacrer les enfants juifs parce qu'il redoute celui dont la naissance risque d'agréger autour de lui la masse des opposants. Le Royaume de Dieu n'est pas de ce monde, mais il n'en est pas moins dans ce monde. Hérode le pressent et s'y oppose en défendant un séduisant relativisme qui relègue le religieux à la sphère privée. Il défend la paix impériale, c'est-à-dire une République mondialisée qui méprise la valeur des nations, ensuite il ne pratique pas une hellénisation forcée des Juifs, sa devise serait plutôt : à chacun ses dieux.

C'est un bâtisseur admirable, on lui doit des forteresses, mais aussi un théâtre et un amphithéâtre : il faut beaucoup de divertissement pour détourner les hommes de l'angoisse d'une vocation éternelle. Enfin, il remet Israël dans le rang, nation parmi les nations, rejetant l'idée de peuple élu. Hérode serait-il le Républicain par excellence, le modèle des bienpensants qui ne supportent pas l'irréductibilité du Juif ?

Il est en tout cas un digne représentant du système totalitaire. Hannah Arendt a rappelé que celui-ci se caractérise par le refus de la naissance : il n'admet pas que chaque nouveau-conçu soit de l'ordre de l'inconcevable, que chaque venue au monde soit le commencement d'un monde nouveau, imprévisible. Ce n'est donc pas la violence qui caractérise le totalitarisme, mais l'effort souvent bien intentionné d'insérer la naissance dans un programme ( un enfant quand je veux et comme je veux ). La conception n'est plus un événement irréductible, avec son secret angélus, mais un rouage apte ou non à s'engrener sur la vaste machine. L'être humain peut-il être produit comme un matériau ? Sur ce point, Hérode est le grand visionnaire. Il refuse la nouveauté de Noël. Il nie l'inespéré dans l'oeuf. Il est l'homme du planning total, le prince d'une société que ne déchire l'attente d'aucun inattendu.

Il n'y a plus qu'à tout ressaisir dans une histoire juive, à la fois drôle et émouvante, mélancolique et espiègle comme le violon et le bandonéon sur la scène. Dans cette pièce il y a du comique, il y a des clowns mêmes ! Mais c'est un comique qui n'est jamais du divertissement et qui n'oublie pas le questionnement qui s'ouvre au coeur d'une existence frappée par le malheur... Dans cette pièce des gamins jouent, comme au grand méchant loup. Sur fond de cette gaieté inentamable, l'espérance n'est pas trahie, et le crime, loin d'être gommé, n'apparaît que plus noir.

Pour la création de la pièce, Fabrice Hadjadj (ci-dessous) a choisi trois actrices mais aussi trois femmes au foyer qui se mettent à jouer les scènes comme une anamnèse, mais aussi comme des jeux d'enfants, afin d'exorciser la mauvaise étoile. Si les représentations permettent de montrer que l'essentiel n'est pas au théâtre, mais dans les charités obscures de la vie quotidienne, au secret de cette famille et ce foyer clos tant haïs, elles n'auront pas été vaines. Le moindre sourire d'enfant vaut mieux que toute la poésie. Mais il faut la poésie pour le dire.

Treize scènes à la fois tragiques et comiques, ponctuées par une musique tendre et violente, comme l'histoire juive, rendent l'événement proche, presque tangible : enfants, bergers, soldats, rabbins, mages et mères, clowns et anges maladroits, victimes et acteurs de l'histoire en portent l'empreinte brutale.



"Massacre des Innocents"
Texte et mise en scène : Fabrice Hadjadj,
avec Emmanuelle Bonnet, Véronique Ebel, Siffreine Michel,
du 24 avril au 13 mai 2007

Espace Georges Bernanos • 4, rue du Havre Paris 9e (Havre-Caumartin)
à 20h30 du mardi au samedi, à 16h00 les dimanche et jours fériés
Tarif 20 € réduit 12 €

Renseignements et réservations :
■ www.lesprovinciales.fr
■ 01 75 438 568 et réservations






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