Article rédigé par Antoine Besson, le 28 mai 2011
On sait que la palme d'or décernée à Cannes n'est pas toujours accessible au grand public. Cette année ne fait pas exception. The tree of life est un film très symbolique, d'une densité rare au point que sa signification devient quasiment impossible à saisir en une seule fois. Mais ce qui retient l'attention, c'est la profondeur du message fortement chrétien et l'élection d'un tel OVNI lors de ce festival de renommé mondiale.
Dense, c'est immédiatement ce qui vient à l'esprit après avoir vu le dernier film de Terence Malick récompensé cette année de la palme d'or à Cannes : The tree of life. Suivent ensuite les doutes, l'analyse, le ressenti... Ce film nourrit les conversations. Mais plus important, il nourrit la réflexion – et même peut-être l'âme si l'on se trouve en de bonnes dispositions.
Difficile de dire le sujet de ce film au titre évocateur. Ce pourrait être la création, le deuil, l'enfance, la famille, le souvenir, l'éducation, l'échec de la communication entre un père et son fils, le pardon, le dialogue avec Dieu... C'est un peu tout cela à la fois !
L'histoire
Le film commence, après une courte introduction, par l'annonce brutale de la mort d'un enfant. Mort survenue selon toute vraisemblance à la guerre. C'est autour de ce fait central qu'il est construit, sur deux époques, comme une symétrie dans le temps. Quelques scènes se passant de nos jours, montrent le héros du film, Jack (Sean Penn) errant dans sa vie, autant détruit par l'éducation impitoyablement dure de son père (Brad Pitt) que par la perte tragique de son frère. D'autres, la majeure partie du film, se passent dans les années 50-60. Ce sont les souvenirs de Jack. Il vit alors dans une famille américaine classique (presque modèle en apparence) avec deux frères. Ces souvenirs sont marqués par la dualité que représentent à ses yeux ses parents. Il est partagé entre l'affection qu'il porte à sa mère (Jessica Chastain) très douce et complice, et la peur (voire la haine) de son père.
La clé du film est donnée très tôt, dès les premières secondes, sous forme d'enseignement. Il existe deux voies dans le monde nous dit Malick : celle de la nature (qui ne cherche que son propre profit) et celle de la grâce ! Tout est dit... mais comme toutes les leçons de vie, cela ne signifiera pas pour autant que tout est compris, et encore moins que tout est compréhensible !
Une démarche mystique
Ce qui déroute peut-être le plus, dans un premier temps, c'est l'aspect fragmentaire et les longues parenthèses esthétiques du récit. C'est ainsi que Malick entreprend dans la première partie du film de nous montrer la création du monde, de la naissance de l'univers jusqu'à l'époque des dinosaures. Dans la seconde partie, peu avant la fin, il tente une autre expérience, offrant au spectateur les images d'une plage remplie de monde où les héros du film se retrouvent selon une logique peu probable, à des âges divers, marchant au milieu d'une foule. Le cinéaste en ne poussant pas la parenthèse trop loin laisse le spectateur libre de son interprétation. Pour certains, il s'agira d'une parabole iconographique représentant l'acte ultime du pardon tandis que d'autres y verront une représentation des temps derniers... Sans doute qu'aucune de ces hypothèses n'est tout à fait fausse.
Le fait est qu'en traitant de ces sujets à l'écran (avec toute la beauté et l'esthétique dont le réalisateur de La ligne rouge est coutumier) Malick élève son film au delà du simple récit familial. Par sa beauté et sa profondeur, l'œuvre acquiert une dimension mystique. Cette beauté vient autant des sujets évoqués que de la manière dont il les filme. Elle pousse le spectateur à la réflexion et l'introduit à la profondeur de l'œuvre. Le film ne raconte plus alors une simple histoire, il s'élève – tel un champ du cygne – pour contenir en lui toute la vie, toute l'histoire de l'univers (de la création à la rédemption).
Mystique et esthétique y sont donc réunis et dialoguent (comme nature et grâce) pour révéler au monde le sens. Sens de la vie et de toute la création. Dans cette optique, on peut dire que ce film réalise ce que Home de Yann Artus Bertrand a raté. Trop préoccupé par l'enjeu écologique de la création, il avait montré sa beauté esthétique mais sa finalité lui échappait. Trop terre à terre, il révélait une nature sans la grâce.
Ici, au contraire, la création est montrée avant tout pour manifester sa finalité : l'homme. Mais pas l'homme en général, l'homme unique tel que Dieu le connait. Comme si toute la création n'était ordonnée qu'à nos seules existences, dans ce qu'elles ont d'unique. C'est ce que sous-tend le titre de ce film (l'arbre de vie) et la citation mise en exergue au début, tirée du livre de Job (38, 4) : Où étais-tu quand je fondais la Terre ? Dis-le, si tu as de l'intelligence. Qui en a fixé les dimensions, le sais-tu ? Ou qui a étendu sur elle le cordeau ? Sur quoi ses bases sont-elles appuyées ? Ou qui en a posé la pierre angulaire, alors que les étoiles du matin éclataient en chants d'allégresse, et que tous les fils de Dieu poussaient des cris de joie ?
Au cœur du film : le mystère
Le cœur de ce film est ainsi l'énigme du monde. The tree of life est une ode au mystère. Le mystère de la vie bien entendu, mais également celui de la foi, d'un Dieu préoccupé par l'homme, de l'enfance... Et son grand mérite est de ne pas prétendre donner de réponse à ces mystères ou les résumer – comment le pourrait-il ? C'est néanmoins ce qui le rend également si difficile à interpréter ou raconter. Face à l'œuvre de Malick, chacun demeure libre de son interprétation, tout comme l'homme est libre de son interprétation face à la création. En repoussant les limites de son art, Malick semble vouloir restituer cette liberté qui est au cœur de la foi, de la compréhension de la création et de l'homme. Un exploit audacieux et réussi. Car tout comme l'homme peut nier Dieu face à la création, le cinéaste expose son film à une critique parfois cruelle. Un risque aussi : celui de sur interpréter le film. Bien que le fond chrétien demeure indéniable particulièrement quand on connaît les origines de Terrence Malick – un Assyrien (chrétien nestorien) originaire du Liban –, il est toujours possible de tirer la signification de The tree of life dans un sens ou dans l'autre, selon ses propres convictions.
L'enfance dans l'art
Enfin, un autre exploit de cet œuvre est l'art consommé avec lequel Malick filme l'enfance. Tout est juste. Ni excessif, ni caricatural, le réalisateur filme à hauteur d'enfant les sentiments et le ressenti de Jack. Cet aspect très humain du film (avec sans doute une part autobiographique) emportera également l'adhésion de spectateurs moins versés dans la mystique.
Si coexistent dans notre monde la nature et la grâce, elles coexistent donc également dans ce film dont la force est justement de ne pas choisir entre l'une ou l'autre, mais de laisser avancer les deux, parallèlement, jusqu'aux derniers instants qui voient l'homme transfiguré en Dieu par les simples actes d'un aveu de faiblesse, d'une réconciliation ou d'un abandon (celui de la mère qui accepte son deuil).
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