Article rédigé par Jean-Marie Allafort, le 09 janvier 2004
" Le Mur de la honte ", " de l'apartheid " ou seulement " le Mur de Sharon ", tels sont les expressions couramment utilisées pour parler de la barrière sécuritaire que construit actuellement Israël, ayant pour but de séparer physiquement les Territoires palestiniens de Cisjordanie du territoire israélien.
La polémique bat son plein, les accusations mutuelles se multiplient et la désinformation est à la fête. S'agit-il réellement d'une barrière de protection contre les terroristes ou du premier tracé de la future frontière entre la Palestine et Israël ? Israël a-t-il vraiment l'intention d'enfermer dans un enclos hermétique les Palestiniens et de les étouffer économiquement ? Parle-t-on d'un mur ou d'une barrière électronique ? Ce mur est-il vraiment celui de Sharon ?
Précisons qu'il est impossible à l'heure actuelle de savoir avec précision quel sera le tracé définitif de cette clôture pour la bonne raison qu'Israël le décide au coup par coup et que chaque nouveau tronçon construit donne lieu à d'âpres discussions au sein du gouvernement.
Ainsi, en octobre 2003, contre toute attente, le gouvernement Sharon a décidé que les implantions d'Ariel et de Kedoumim ne seraient pas englobées par la clôture principale mais qu'une autre barrière électronique, plus légère, protégerait les deux localités. Les ONG impliquées dans la région, l'Autorité palestinienne, Israël et les organisations israéliennes des droits de l'homme ont lancé une véritable bataille de chiffres et de statistiques. Pour être honnête, il faut reconnaître qu'il est impossible d'y voir clair. Début 2004, près de 180 km de clôture sont construits sur 400 prévus. Selon Israël, 1,6 % du territoire palestinien est inclus ou le sera prochainement du côté occidental de la barrière de protection, alors que pour l'Autorité palestinienne, Israël aurait déjà confisqué près de 4 % des Territoires.
Les médias comparent volontiers cette barrière au mur de Berlin et les journalistes viennent photographier un mur de béton de quelque 8 km dont 7 se trouvent sur le territoire israélien ! Il s'agit, en partie, d'un mur anti-bruit qui longe la nouvelle autoroute n° 6. À la demande de la compagnie internationale (et donc non-israélienne) chargée de la construction et de l'entretien de cette autoroute, ce mur anti-bruit est devenu un mur de protection, à la suite de tirs palestiniens visant les employés de cette compagnie. Ce mur existe sur d'autres tronçons de l'autoroute en plein Goush Dan (région de Tel Aviv) et personne ne parle de mur de Berlin. Ces derniers mois, Israël multiplient ce genre de mur, surtout dans la région de Jérusalem.
Les quelque 170 autres kilomètres restants sont constitués d'une barrière électronique plus ou moins sophistiquée suivant les endroits. Si béton il y a, il est dans les fondations de cette clôture pour prévenir toute infiltration par en-dessous. Elle ressemble à celle qui existe depuis de nombreuses années autour de la Bande de Gaza, ou à celles qui séparent Israël de la Syrie, de la Jordanie et du Liban. En théorie, si quelqu'un essaie de la franchir, un signal électronique se déclenche et les services de sécurité ainsi prévenus peuvent immédiatement intervenir. Dans la réalité, cette clôture est ouverte à de nombreux endroits et n'est pas entièrement électronisée. Il faudrait pour qu'elle soit véritablement efficace que Tsahal déploie des militaires sur toute sa longueur. Le budget 2004 de la Défense ne le permet pas.
Une idée de la gauche israélienne
Contrairement à l'idée souvent répandue, ce n'est pas Sharon qui est l'auteur de ce projet mais les leaders de la gauche. Isthak Rabin est le premier qui, en plein processus d'Oslo, a fait ériger une clôture électronique autour de la bande de Gaza pour empêcher les terroristes d'en sortir. Le résultat du point de vue de la sécurité fut particulièrement probant : depuis son érection, aucun terroriste n'a réussit à pénétrer en Israël depuis Gaza (les attentats ont eu lieu seulement dans les implantations situées à l'intérieur de la Bande de Gaza). Tous les attentats perpétrés en Israël sont venus de la Judée et de la Samarie. À l'époque, aucune campagne n'eut lieu contre ce " mur de Berlin ", construit par celui qui restera dans la mémoire collective comme l'homme qui a fait le sacrifice de sa vie pour la paix.
C'est en mars 1996, sous le gouvernement sortant de Shimon Peres, que le projet d'une ligne de séparation le long de la Ligne verte est envisagé. Il est abandonné immédiatement par le gouvernement Netanyahou. En novembre 2000, Ehud Barak décide de construire une barrière pour empêcher le passage des véhicules du Nord de la Cisjordanie à Latrun ; le projet est enterré un an plus tard suite aux protestations, entre autres, de la droite !
L'idée d'une barrière de séparation physique n'est pas vraiment nouvelle. Il s'agissait aussi durant les années d'Oslo de pouvoir limiter le flot de plus en plus important de travailleurs illégaux, ainsi que le trafic de drogue et de voitures entre Palestiniens et Israéliens (sans d'ailleurs la moindre efficacité).
C'est en pleine vague d'attentats, en juin 2001, que le gouvernement Sharon décide créer une commission de chargée de planifier une clôture entre la Cisjordanie et Israël. Un an plus tard, en avril 2002, les travaux n'ont toujours pas débuté. L'augmentation dramatique des attentats amène Sharon à se décider enfin à commencer les travaux et ce sous la pression des membres travaillistes de son gouvernement d'union nationale. C'est Ben Eliezer, ministre de la Défense et secrétaire général du parti travailliste qui va en dessiner les premiers contours avec l'état-major de Tsahal. À cette époque, seul Shimon Péres, ministre des Affaires étrangères s'y oppose avec quelques personnalités de la droite. La construction de la barrière est même un enjeu de la campagne des travaillistes qui accusent Sharon de n'avoir rien fait dans ce domaine. Pour la gauche, il s'agit de créer un premier tracé des frontières et de provoquer l'évacuation d'une grande partie des implantations. Amram Mitzna qui se présente en face de Sharon promet " qu'une fois élu Premier ministre, sa première décision sera d'accélérer la construction de la barrière "
Au Likoud comme pour les autres partis de la droite, ce projet divise. Si Shaoul Mofaz, l'actuel ministre de la Défense, ne cesse de répéter que cette clôture n'est que sécuritaire et n'a aucune signification politique, certains ministres comme Meir Shitrit, s'opposent à son tracé qui s'écartent un peu trop des frontières de 1967. Les habitants des implantations qui se sont opposés violemment à sa construction dans le passé, soutiennent aujourd'hui le projet. Les intérêts ont évolué. Si dans un premier temps, ils avaient peur que sa construction entérine les futures frontières de l'État palestinien, ils constatent qu'aujourd'hui, beaucoup d'implantations sont avantagées par son contour et qu'elle est devenue un obstacle réel aux processus de paix et donc à de futures concessions territoriales.
Expropriations
À droite comme à gauche, la grande majorité des politiques adhèrent à l'idée de la barrière sécuritaire. Le débat et la polémique concernent son tracé. Elle ne suit que de très loin les frontières de 1967 et conduit à l'annexion de territoires palestiniens et à de nombreuses expropriations. De nombreux drames humains pourraient ici être rapportés. La clôture passe parfois à travers des propriétés, séparant les familles. Se sont des centaines de milliers d'arbres (surtout des oliviers) arrachés causant des pertes économiques importantes qui sont inquiétantes.
Suivant le PARC (Palestinian Agricultural Relief Committes), les confiscations de terres consécutives à la première phase de construction de la clôture dépassent les 16.000 hectares. Les expropriés sont avertis parfois seulement quelques jours avant l'arrivée des bulldozers. Les exemples de brutalité de Tsahal ne manquent pas et les organisations humanitaires attirent un peu plus chaque jour l'attention de la communauté internationale. Si Israël a annoncé qu'il consacrerait 60 millions d'euros à l'indemnisation des Palestiniens lésés et que le ministère de l'Agriculture entreprendrait de replanter 60 000 oliviers, pour l'heure, rien encore n'en a été fait.
La construction de cette barrière conduit à un drame humain dont il faut considérer tous les aspects. Les Palestiniens seront-ils vraiment enfermés ou les points de passage ouverts permettront-ils, comme l'affirme Israël, de laisser entrer plus de Palestiniens pour travailler en Israël ? Il est trop tôt pour pouvoir apprécier les véritables conséquences économiques de la construction de cette clôture. Si pour l'heure, les Palestiniens ne peuvent sortir des Territoires qu'en petit nombre, rien ne permet d'affirmer qu'il en sera ainsi dans le futur. Lors des années Oslo, les Palestiniens venaient travailler en masse en Israël et ce malgré la clôture.
Les spéculations vont bon train et chacun suivant ses intérêts et son idéologie (car c'est bien là le véritable enjeu) avance des chiffres et des pronostics. Les Palestiniens sont enfermés dans le désespoir, leur situation économique est catastrophique et ce " mur "devient pour eux un symbole et on peut les comprendre. Enfin, une chose est sûre : si le terrorisme n'avait pas frappé si fort, il n'y aurait pas aujourd'hui de clôture. Sharon a traîné du pied pour la construire et les travaux n'avancent pas aussi vite qu'on le prétend. Ce 7 janvier, le ministère de la Défense vient de publier que le nombre des victimes des attentats avait diminué en 2003 de 50 % en comparaison de l'année 2002. Même des organisations opposées à la construction du " mur " comme " La paix maintenant " reconnaissent qu'il est en partie efficace.
Que l'on soit pour ou contre, on peut au moins dire que cette clôture ne résoudra pas à elle seule le conflit israélo-palestinien et que si la polémique fait rage c'est qu'il est considéré comme le symbole de l'échec des négociations et de la paix. Echec auquel on refuse de croire et heureusement...
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