Article rédigé par La Fondation de service politique, le 11 octobre 2002
Le torchon brûle entre Bruxelles et Paris à qui il est reproché de ne pas respecter à la lettre les engagements de modération du déficit budgétaire prévus par le pacte de stabilité et de croissance : réduction du déficit structurel de 0,5 % l'année prochaine et équilibre budgétaire en 2004.
Ce reproche est fondé sur les déclarations de M. Mer qui, à son accoutumée, n'y va pas par quatre chemins : " Nous sommes encore dans une Europe où la politique budgétaire et la politique tout court d'un État restent sous son contrôle. "
Le paradoxe de cette déclaration est qu'elle est à contenu politique, prononcée par un ministre de l'Économie dont on attendrait plutôt une analyse économique. En fait la question du respect du pacte de stabilité a bien ces deux dimensions : politique dans la mesure où l'obligation d'équilibre budgétaire à moyen terme bloque (ou tout au moins réduit considérablement) toute marge de manœuvre dans le domaine du choix des dépenses publiques ; économique puisqu'elle condamne les pays de l'Euroland à renoncer à toute politique contra-cyclique.
Il est tout à fait significatif que pour justifier leur liberté vis-à-vis du corset communautaire, M. Mer et M. Chirac aient évoqué l'urgence de la sécurité intérieure (" rétablir l'Etat dans ses fonctions régaliennes ") et extérieure (" tensions internationales accrues et émergence de menaces nouvelles "), nécessitant dès lors un budget d'exception (+ 6 % en 2003 et autant jusqu'en 2008).
Voilà donc la réponse politique : bien que nous ayons accepté d'abandonner notre souveraineté nationale en matière monétaire pour construire la monnaie unique et contribuer ainsi à la stabilité des prix, nous ne sommes pas prêts à abandonner notre souveraineté nationale en matière de sécurité et de justice qui se traduisent par des choix budgétaires qu'il n'est pas question de remettre en cause.
En ce qui concerne la dimension économique du pacte de stabilité et de croissance, les choses — pourrait-on dire – sont encore moins discutables. P. Artus, économiste de la Caisse des dépôts et consignations, et beaucoup d'autres avec lui, estime que " rien dans la théorie économique ne permet d'affirmer que l'équilibre budgétaire est un impératif ". Pourquoi alors une telle exigence ? Parce qu'elle repose sur la croyance que la bonne tenue de l'euro face au dollar et la stabilité des prix européens dépendent directement de l'importance des déficits budgétaires des différents pays membres. Or il s'agit d'une " croyance " qui, si elle se transforme en dogme, devient l'ennemi de la croissance et de l'emploi. Les arguments de bon sens ne manquent pas pour battre en brèche ce dogme :
1/ sept pays (parmi les plus grands) sur douze sont en déficit et ne pourront pas tenir les échéances ;
2/ l'équilibre budgétaire n'a de sens que s'il est calculé sur la durée d'un cycle, les années de vaches grasses compensant celles de vaches maigres ;
3/ certes le laxisme passé en matière budgétaire a entraîné une dette publique importante dont le service (intérêts versés) absorbe une part importante des recettes de l'Etat ; faut-il imposer pour autant les mêmes contraintes à tous ? M. Mer a eu beau jeu de souligner que les dépenses militaires françaises contribuent à la défense européenne et profiteront à tous ;
4/ les budgets publics ont d'une année sur l'autre une marge de manœuvre très faible, de l'ordre de 5 à 10%, en conséquence de quoi c'est l'investissement public — c'est-à-dire les dépenses qui conditionnent l'avenir - qui devient la variable d'ajustement ;
5/ et non des moindres, la conjoncture est difficilement prévisible ; on l'a vu en septembre-octobre avec la valse des prévisions de croissance ; on a commencé à le voir avec la chute de la bourse dont personne ne sait où elle va s'arrêter ; on ne l'a pas encore vu avec les menaces de guerre en Irak qui, si elles se concrétisent, feraient voler en éclats tous les budgets déjà votés.
Indépendamment des petits jeux politiques dont se régalent adversaires de M. Chirac et concurrents européens, il faut reconnaître que l'Europe s'est faite, ces dernières années, à marche forcée et que l'on n'a pas assez réfléchi sur l'impact politico-économique des abandons de souveraineté. La réalité finit toujours par l'emporter, mais au prix de combien de souffrances inutiles ! Certes un code de loyauté réciproque (P. Onofri) est utile pour construire la maison " Europe ", sinon " tout royaume divisé contre lui-même devient un désert " (Luc 11,17), mais il doit respecter la loi organique de la progressivité et il doit s'appliquer de façon intelligente (par exemple en comptant à part certaines dépenses de qualité, type investissement, recherche, infrastructure...).
À court terme, une baisse des taux d'intérêt par la Banque centrale européenne est urgente (pourquoi 1,80 % aux Etats-Unis et 3,29 % en France ?) et l'accès au crédit bancaire doit être facilité pour toutes les petites et moyennes entreprises sur-endettées.
Au niveau structurel, les réformes doivent être poursuivies et principalement la réforme de l'Etat. Facile à dire, certes : quel fonctionnaire osera avouer qu'il est en surnombre dans son service et que son budget est trop important par rapport à ses besoins ?
Nicolas Brejon de Lavergnée est vice-président de l'Association française des économistes catholiques.