Article rédigé par La Fondation de service politique, le 05 décembre 2003
À l'approche du prochain Téléthon, qui s'ouvre ces 6 et 7 décembre, et sans mettre en doute la bonne volonté de nombreux de ses participants et le succès de certaines de ses réalisations, nous soulevons ici quelques questions, déjà posées lors des précédentes éditions, mais qui n'ont toujours pas trouvé de réponses.
Quelles maladies génétiques ? L'Association française contre les myopathies (AFM) est présentée comme une structure finançant " une recherche fondamentale et de qualité sur l'ensemble des maladies génétiques " (Le Monde). De fait le Téléthon finance la recherche sur les maladies géniques, mais pas les maladies chromosomiques (soit la moitié des maladies génétiques). Cette exclusion de la trisomie 21, qui est la première cause de handicap mental dans le monde (50 000 personnes en France), est surprenante. C'est le seul cas d'une maladie qui est loin d'être rare (1/650 naissances) mais qui est orpheline sur le plan financier.
Quelle thérapie ? Par ailleurs quand on lit dans ce même quotidien du soir que " l'AFM a partiellement à son actif les grands succès thérapeutiques de l'an 2000 ", notamment " la naissance en France du premier enfant en bonne santé à la suite d'un diagnostic préimplantatoire (DPI) " on doit s'interroger. En effet, Valentin, premier enfant né après DPI, est né indemne d'une maladie qu'il n'a jamais eue et dont la médecine ne l'a jamais ni soigné, ni guéri. Car le DPI est un tri embryonnaire qui permet de réimplanter un embryon sain et de supprimer ceux qui sont malades. Evoquer un succès thérapeutique, dû à la générosité du public, à propos de la naissance de cet enfant qui, rescapé, n'a jamais été malade, est curieux.
Les bébéthons. Déjà le Pr. Jacques Testart avait mis en garde. " La mise en scène triomphaliste de victoires toujours promises sur le malheur est un argument qui ne correspond pas à la rigueur scientifique. Le Téléthon a d'abord présenté des enfants myopathes, appelant à la solidarité des téléspectateurs. Après quelques années, on a pu voir apparaître à l'écran des enfants heureux d'être normaux dont l'existence était annoncée comme consécutive à la générosité du public : ces "bébéthons" étaient en réalité les survivants du diagnostic prénatal, lequel les avait démontrés normaux in utero malgré leur conception par des "couples à risques" " (Des Hommes probables, Seuil, 1999)... Jean-Claude Guillebaud a tiré lui aussi un signal d'alarme : " Avons-nous conscience de l'ambiguïté de nos choix ? Nous affichons une compassion envers les personnes souffrant de handicaps, de maladies génétiques, et nous les soutenons, y compris matériellement, dans des manifestations médiatiques spectaculaires du type "Téléthon" [...] et, simultanément nous demandons aux médecins de se dépenser sans compter pour essayer de dépister ces mêmes personnes avant leur naissance ; nous leur demandons en somme de nous aider à leur éviter de naître " (Le Principe d'humanité, Seuil, 2001).
Les handicapés réagissent... Mais ce sont surtout les personnes handicapées elles-mêmes qui réagissent face à ce qu'elles perçoivent comme une violence à leur encontre. " Si on me dit que l'AFM va se consacrer au dépistage anténatal dans un but de favoriser l'élimination prénatale, dit l'un d'eux, j'arrête tout de suite de donner et de me mobiliser. " " J'émets une grande réserve quant aux "bébéthons" car on croit que c'est grâce à la recherche qu'ils ont guéri alors qu'ils sont le fruit d'une sélection ; et l'avortement thérapeutique en a fait disparaître bien d'autres. D'où la question : "Et si mes parents m'avaient avorté ?" Je suspecte la recherche scientifique d'être utilisée, non pas pour la recherche thérapeutique, mais pour une suppression des malades (1) ".
" Ce qui me gêne, avoue une handicapée, ce sont les "bébéthons" que l'on garde s'ils plaisent, ou que l'on rejette le cas échéant... L'AFM est très ambiguë car elle réclame de façon excessive le matériel le plus cher pour les personnes handicapées et prône en même temps l'élimination des handicapés à venir... Comme si les adultes myopathes n'existaient pas " (2). Une autre jeune femme témoigne : " En regardant une émission sur le Téléthon, j'ai compris. Il y avait toujours une kyrielle de beaux bébés qu'ils appelaient les "bébés miracles du Téléthon". [...] Dans le bouquin [sur l'aventure du Généthon], on pouvait lire que grâce au progrès, on pouvait empêcher les enfants de souffrir en ne les faisant pas naître... J'étais révoltée d'avoir envoyé de l'argent pour ça... "(3).
Danielle Moyse et Nicole Diederich, auteurs des Personnes handicapées face au diagnostic prénatal (Erès, 2001), s'interrogent : " S'est-on ainsi préoccupé de savoir ce que ressentent les jeunes frères et sœurs myopathes, présentés souriants, des "bébéthons" valides "obtenus" par sélection prénatale ? Un de nos partenaires belge nous dira, à propos de cette comparaison entre "bébéthons" valides et enfants myopathes : "C'est d'une violence inouïe pour l'enfant myopathe !" "
Notes
(1) Jean-Christophe Parisot, cité par Danielle Moyse et Nicole Diederich, Les Personnes handicapées face au diagnostic prénatal, Erès, 2001
(2) Estelle C., citée par D. Moyse et N. Diederich, op. cit.
(3) Alexandra Kramoroff, citée par Danielle Moyse et Nicole Diederich, op.cit.
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