Article rédigé par Fr. Jean-Miguel Garrigues, op, le 12 avril 2007
Clarification sur l'interprétation théologique de la Note Ratzinger A propos de l'engagement des catholiques dans la vie politique (2002).
À LA SUITE des controverses qu'ont soulevées mes articles parus dans la revue Famille chrétienne et sur le site Internet Libertepolitique.com de la Fondation de Service politique, on me demande de divers côtés de répondre pour clarifier ma position sur certains points contestés. Je voudrais le faire brièvement ici avant les prochaines élections.
Tout d'abord je ne crois pas qu'une interprétation stricte de la Note sur le comportement et l'engagement des catholiques en politique, publiée en 2002 par la Congrégation de la doctrine de la foi sous la signature de l'alors cardinal Joseph Ratzinger, fasse de ses partisans des émigrés de l'intérieur . Le refus de voter pour des candidats dont le programme politique comporte des transgressions de valeurs éthiques fondamentales, que le Magistère de l'Eglise considère comme non-négociables , ne signifie pas pour autant que l'on considère le régime politique qui est le nôtre et son gouvernement comme illégitimes. Ce qui l'est en revanche et qui réclame notre objection de conscience, ce sont certains points des programmes politiques de candidats à une élection et les lois correspondantes qu'ils feront voter s'ils sont élus. S'ils indiquent explicitement de tels projets dans leurs programmes de gouvernement, ma responsabilité d'électeur chrétien est engagée par mon vote et je ne pourrai pas, au moment du vote des lois qui en découleront, me défausser de ma responsabilité morale sur les élus qui rédigeront la loi en disant : Je ne savais pas ; je n'avais pas voulu cela .
En démocratie le Législateur c'est à la base le corps électoral, lui qui donne la première détermination aux lois à travers les programmes électoraux qu'il choisit, car il est le premier représentant du peuple, ce peuple qui aura à porter les conséquences des décisions politiques. Déresponsabiliser moralement les électeurs serait extrêmement grave car cela irait dans le sens de cet amoralisme procédural que la Note dénonce comme la corruption même de la démocratie. Pour cette raison la Note, même quand elle s'adresse en premier aux élus, prend soin d'ajouter comme pour tout catholique (n°4 alinéa 2), ou programme politique à loi (n°4 alinéa 3), et de formuler son interdit de manière universelle en disant à deux reprises personne (n°4 alinéa 2 et 3).
Raisons proportionnées
Mais l'électeur n'est responsable que des choix programmés qui sont soumis à son vote. En conséquence, le fait qu'un candidat s'accommode tant bien que mal d'un statu quo législatif déjà voté, alors que celui-ci transgresse des valeurs éthiques fondamentales, peut être considéré comme un moindre mal et ne pas empêcher en conscience de voter pour lui. C'est ce que le cardinal Ratzinger a reconnu dans une réponse de juillet 2004 aux évêques américains. Quand un catholique ne partage pas la position d'un candidat en faveur de l'avortement et/ou de l'euthanasie, mais vote pour ce candidat pour d'autres raisons, on considère cet acte comme une coopération matérielle éloignée, permise en vertu de raisons proportionnées [1].
Il faut bien comprendre que la responsabilité morale de l'électeur n'est pas engagée de la même manière face à une simple position personnelle d'un candidat et face à un choix programmé qu'il propose explicitement. En décidant de ne pas considérer dans son vote la position personnelle d'un candidat, l'électeur peut invoquer le moindre mal, car l'opinion personnelle du candidat n'engage pas de manière nécessaire le vote d'une loi immorale. En revanche, s'il accepte par son vote un choix programmé qui porte atteinte aux principes éthiques fondamentaux, l'électeur participe de manière effective à la loi qui sera votée ensuite. Dans le premier cas on n'est en présence que d'une intention, on reste dans le domaine du possible. Dans le second on pose un acte de coopération avec le mal, qui est bel et bien réel. C'est pourquoi dans ce cas l'objection de conscience s'impose moralement.
Je ne crois donc pas, comme théologien qui se sait faillible et ne demande pas mieux que d'être rectifié par le Magistère, qu'un catholique cohérent qui souhaite voter utile au second tour des prochaines élections présidentielles puisse invoquer en conscience soit l'irresponsabilité de son acte, soit la coopération matérielle éloignée . Le pape Benoît XVI vient de mettre de nouveau en garde les Européens contre la tentation d'adopter un comportement pragmatique, aujourd'hui largement diffusé, qui justifie systématiquement le compromis sur les valeurs humaines essentielles, comme si celui-ci était l'inévitable acceptation d'un prétendu moindre mal. Ce pragmatisme, présenté comme équilibré et réaliste, au fond ne l'est pas (Discours de mars 2007 à l'occasion des cinquante ans de l'Union européenne).
L'application prudentielle de sa conscience
En revanche, il y a un point où va devoir s'exercer en prudence la responsabilité incommunicable de chaque électeur : dans l'application prudentielle de leur conscience chrétienne au cas particulier des programmes qui sont soumis à son choix. Il revient à chacun de nous de discerner si oui ou non il y a, dans les programmes des candidats qui nous sont présentés, des points qui portent atteinte à des principes éthiques fondamentaux et en conséquence non-négociables.
Chacun devra faire soigneusement la différence entre des positions énoncées par les candidats comme une intention encore vague et le projet explicitement formulé de faire voter une nouvelle loi (par exemple sur les unions homosexuelles, sur l'euthanasie ou sur la manipulation génétique). C'est dans cette application de leur conscience au choix particulier que des personnes également droites moralement pourront faire des appréciations prudentielles divergentes et ne devront pas se juger les uns les autres. Seul l'avenir dira qui avait fait le choix juste. Laissons à Dieu d'éclairer chacun dans l'application effective de sa conscience à ses actes.
Fr. J.-M. G. op
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