Article rédigé par Dominique Daguet, le 03 mars 2006
Sous le choc des émeutes qui ont secoué les banlieues françaises cet automne, le président de la République annonçait la création d'un "service civil volontaire, associant accompagnement et formation". Cet habillage des dispositifs existants, qui a été intégré dans la loi sur l'égalité des chances, souffre d'un évident manque d'ambition et de sérieux.
Pourtant, des voix s'élèvent pour rendre obligatoire cette "dynamique fraternelle"[1]. En l'état, mieux vaut sans doute que ces nouveaux chantiers de jeunesse de la République restent facultatifs... Ou qu'ils soient pensés avec davantage de rigueur, l'enjeu en vaut la peine.
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IL YA A DEJA quelques années la France a supprimé le service militaire : sans pour autant disposer d'une armée dite de métier dotée à la fois d'effectifs et de matériels suffisants. Mais l'incidence majeure de cette décision n'est pas là, elle est que l'on s'est privé d'un outil efficace de cohésion sociale, qui permettait à tous les jeunes, quelle que soit leur origine, leur religion ou leur philosophie, de se retrouver ensemble et tous soumis à la même discipline. À la sortie du service, la très grande majorité de ces jeunes avait le sentiment, plus ou moins conscient, d'appartenir au même peuple : cela n'existe plus. (Rétrospectivement, l'on peut regretter que le service n'ait alors été imposé qu'aux garçons.)
D'autres avantages sont à souligner : l'on pouvait par exemple repérer, de classe d'âge en classe d'âge, ceux qui sortaient de l'adolescence avec des invalidités écrasantes. Aux sans-métier, illettrés et autres déficients, l'armée pouvait donner des moyens de réajustement qui font largement défaut aujourd'hui.
Enfin, le temps du service militaire servait en quelque sorte de sas de décompression : pour la plupart, les jeunes sortant des casernes avaient mûri, et se retrouvaient bien décidés à entrer dans la vie active. Ce sas fait défaut.
Ces quelques remarques n'impliquent pas que, telle qu'elle était appliquée, la formule de l'ancien service ait été parfaite : on peut à bon droit penser que la pédagogie militaire n'était pas un modèle à suivre aveuglément. Mais il conviendrait que nos "têtes pensantes" – on voit qu'il n'est ici nul besoin de recourir à quelque formule anglaise – réfléchissent d'urgence à un type de service adapté qui serait imposé à l'ensemble de notre jeunesse : et non proposé à quelques volontaires si l'on désire qu'il soit efficace.
La réflexion sur ce sujet ne me semble pas avoir été conduite avec une rigueur suffisante. En premier lieu, répondre d'abord aux questions de la justification d'une telle mesure, puis s'interroger sur les objectifs essentiels à atteindre et les moyens à mettre en œuvre. (Soit dit en passant, il faudra y consacrer un budget conséquent, et donc engager un nombre important de personnels compétents : comme la formation des jeunes en France semble souffrir de défauts récurrents, on devra les analyser précisément afin de ne pas les transposer dans les futures institutions de ce que l'on nomme déjà " service national "...)
Ce nouveau service devra nécessairement aller au-delà de ce que faisait, au plan social, le service militaire, qui avait en premier à former des soldats : le service national devra former des citoyens, en s'assurant que chaque jeune sait lire, compter, s'exprimer ; qu'il connaît son pays en ses réalités complexes, son histoire, sa langue, ses lois. Cela me paraît fondamental : aussi important que de l'envoyer, à peine inscrit, rendre service là où l'on manque cruellement de bénévoles. Le service national devrait d'abord être un service rendu aux jeunes, auquel par ailleurs on ne pourra se dispenser d'inculquer les rudiments, parfois rudes et pourtant nécessaires, de la discipline.
Il va de soi que le volet "coopération" d'un tel service avec les associations françaises agréées[2], qu'elles soient à caractère culturel, sportif, caritatif ou social, permettrait de faire prendre conscience à toutes cette population juvénile des nécessités de l'époque ; jouerait un rôle capital dans le domaine de l'insertion citoyenne – quand celle-ci serait par trop superficielle ; donnerait un élan extraordinaire à ce qui manque le plus à nos jeunes, le sens de l'autre ; dynamiserait un secteur dont on ne soupçonne pas assez la capacité qu'il a de créer de la cohésion sociale, de mettre en œuvre les valeurs que le monde de l'économie écarte de ses méthodes.
L'on ne cesse de discourir sur l'intégration de ceux que, en faveur de l'économie justement, l'on a fait et continue de faire venir chez nous : si l'on désire vraiment que ces couches de population, aujourd'hui si visiblement et dangereusement demeurées à l'écart, "intègrent" l'ensemble du peuple de France, on ne pourra pas faire l'économie, non pas seulement de la réflexion, mais surtout d'une telle mise en œuvre.
Évidemment, l'ancien système du service militaire étant totalement désintégré, l'on devra reconstruire pour mettre en route ce service national, mais sur des bases nouvelles, afin, dans un laps de temps qui ne soit pas l'éternité, de redonner à toute notre jeunesse le sens de valeurs qu'elle a si manifestement perdu sur le banc des écoles de la République. Mais la République saura-t-elle se décider, après s'être interrogée elle-même sur ce qu'elle a fait de ses "enfants", à mettre le cap sur un horizon qu'elle semble bien ne plus nettement percevoir ?
Notes
[1] Appel de l'hebdomadaire la Vie
Pour un service civique obligatoire
[2] Cet agrément ne pourrait être donné aux organismes et associations qui ne répondraient pas à des critères à définir, tel par exemple celui de la moralité.
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