Le 29 juin 2001, suite à un accident de la route dont avait été victime une jeune femme enceinte de 6 mois, la Cour de cassation avait refusé la reconnaissance d'un homicide involontaire sur foetus (arrêt Grosmangin).

Ce jeudi 6 juin, la chambre criminelle de la Cour de cassation a examiné en assemblée plénière un autre cas d'homicide involontaire sur foetus. En novembre 1991, à la clinique du Chesnay (Yvelines), une femme perdait son enfant in utero en salle de travail à la suite de fautes médicales. En janvier 2000, la Cour d'appel de Versailles condamnait la sage femme pour"négligences et imprudences" et le gynécologue obstétricien pour son défaut de surveillance (seul le médecin a déposé un recours en cassation). Les magistrats de la Cour d'appel ont reconnu l'homicide involontaire sur foetus et ont précisé que "si les fautes n'avaient pas été commises, il [l'enfant] aurait eu la capacité de survivre par lui-même, disposant ainsi d'une humanité distincte de celle de sa mère".

Or en juin dernier (arrêt Grosmangin), la Haute Cour statuait que "seul l'enfant né vivant et viable peut disposer d'un régime juridique propre" brisant ainsi une jurisprudence séculaire qui avait toujours protégé le foetus dans ce type d'accidents (depuis l'arrêt de la Cour d'appel de Douai, 1882, condamnant une sage femme qui avait causé la mort d'un enfant in utero en procédant à l'accouchement). Dans l'affaire du Chesnay, l'avocat général, Dominique Commaret, a proposé de modifier cette nouvelle jurisprudence de la Cour. Pour elle, l'enfant à naître doit être assimilé à un nouveau né et doit donc pouvoir bénéficier d'une protection pénale. La démonstration de l'avocat général a été à la fois très humaine et très juridique mettant la Cour de cassation devant ses contradictions.

Dans son réquisitoire, maître Didier Le Prado, qui défend le médecin mis en cause, a estimé que "la loi pénale est d'interprétation stricte : causer la mort d'autrui est un homicide. Cet autrui est nécessairement une personne. Or un foetus n'est pas une personne, il est un être vivant, et n'acquiert la qualification de personne que par la naissance".

Ce à quoi, l'avocat de la jeune femme, Me Françoise Thouin-Pallat, a répondu en faisant la distinction entre "la personnalité juridique, au sens civil du terme, qui s'acquiert à la naissance et l'enfant à naître, être de chair et de sang que le droit pénal protège".

L'avocat général, Dominique Commaret, a demandé à la chambre criminelle de considérer la situation de l'enfant à naître assimilable à celle de l'enfant en train de naître. Elle a ainsi démontré que celui-ci pouvait être victime d'un homicide. À cet effet, elle a rappelé que depuis 1993, on peut inscrire sur les registres de décès un enfant mort-né après dépassement du seuil de viabilité. Par ailleurs, elle a souligné la reconnaissance des actes médicaux des médecins qui "traitent le foetus comme un patient à part entière et donc comme un être vivant [...] dès lors qu'il est porté par un projet parental". Parallèlement, elle a souligné les "effets dévastateurs qu'il y aurait à exempter de sanctions les professionnels qui causent la mort in utero, alors que si les mêmes sont responsables de lésions causées à l'enfant à sa naissance, ils seront poursuivis". Celui qui s'efforcerait de sauver la vie du foetus qu'il aurait blessé s'exposerait à des poursuites pénales alors que son confrère qui laisserait mourir sa victime bénéficierait d'une totale impunité.

La décision est attendue le 25 juin prochain.