Afin de préparer utilement et efficacement les échanges du Parvis des gentils, qui se dérouleront les 24 et 25 mars prochains à Paris à l'initiative du Conseil pontifical pour la culture, le professeur Jean-Yves Naudet ouvre le débat sur l'enseignement social de l'Église, thème privilégié du dialogue foi et raison. Un colloque "Caritas in veritate" sur la place du don dans l'économie, prolongera cette question le 30 avril. LP

L'enseignement social de l'Église, avait dit un jour le cardinal Martino, est  le secret le mieux gardé de l'Église . Au-delà de la formule, il y a là une part de vérité ; les chrétiens eux-mêmes connaissent souvent mal ce que l'on appelle aussi  Doctrine sociale de l'Église  et les croyants des autres religions, comme les agnostiques et les athées, encore moins bien. Pourtant, cet enseignement peut être un lieu privilégié du dialogue entre croyants et non croyants.

Il faut rappeler que cet enseignement, qui puise sa source dans la conception naturelle et chrétienne de l'homme, s'est surtout développé face à ce que l'on a appelé la question sociale au xixe siècle, suite à la révolution industrielle et à l'absence de protection sociale du monde du travail. Le texte fondateur, celui du pape Léon XIII, Rerum novarum — "Les choses nouvelles", date de 1891, et portait sur la condition des ouvriers. Depuis, l'Église n'a cessé de produire des textes actualisant ces principes, face aux changements du monde, jusqu'à aujourd'hui Benoît XVI avec Caritas in veritate, l'amour dans la vérité.

Entre temps, la question sociale est devenue mondiale, les peuples de la faim ont interpellé les peuples de l'opulence, le développement est devenu le nouveau nom de la paix ; le monde a changé, le mur de Berlin est tombé, la mondialisation est là, avec ses avantages et ses inconvénients, mais les mêmes questions se posent toujours concernant l'homme et sa dignité, l'économie et la société, la société civile et les corps intermédiaires.

Benoît XVI rappelle en particulier que la question sociale est  devenue radicalement anthropologique  c'est-à-dire qu'elle concerne non seulement tous les hommes, mais l'homme tout entier, dans toutes ses dimensions, matérielles et spirituelles ; c'est en ce sens qu'il faut comprendre la notion de développement intégral : celui de tous les hommes et de l'homme tout entier.

Pour dialoguer entre croyants et non-croyants

En quoi cet enseignement social de l'Église intéresse-t-il le dialogue entre croyants et incroyants, et donc avec tous les hommes de bonne volonté ?

D'abord par son objet : l'enseignement social doit être entendu au sens large de  sociétal , c'est-à-dire incluant les questions économiques, sociales, celles du développement, du travail, de la consommation, de la mondialisation, mais aussi celles liées à la solidarité et à la subsidiarité, à la propriété et à la destination universelle des biens, à la culture et aux droits fondamentaux, au bien commun et aux corps intermédiaires, etc. Ce sont des sujets qui intéressent tous les hommes et qui ne sont pas propres à l'Église.

On sait très bien que même le dialogue interreligieux se heurte à des difficultés si on commence par la théologie ; a fortiori s'agissant du dialogue entre croyants et non croyants. En revanche, tous les hommes s'intéressent aux moyens de remédier aux injustices, aux conditions d'un développement équitable, et plus généralement à la façon de vivre pacifiquement en société. L'enseignement social est un sujet privilégié de dialogue.

Ensuite par sa méthode. Bien entendu, c'est une question d'honnêteté de le dire à ceux avec qui on dialogue : il y a dans cet enseignement des éléments qui découlent de la foi. On ne peut pas reprocher aux croyants de faire référence à leur foi. Mais toute la tradition de l'Église, notamment depuis Thomas d'Aquin, a mis en avant aussi l'importance de la raison, donc de la philosophie, du droit naturel, de la loi naturelle inscrite dans le cœur de tout homme.

Une seule vérité, accessible à tous

Chacun peut, avec sa conscience, découvrir les notions fondamentales du bien et du mal ; chacun peut, à partir de la philosophie, et de la raison en général, s'interroger sur les moyens de vivre en société et sur les institutions qui favorisent le bien commun. Pour un croyant, il y a deux modes d'accès à la vérité : la foi, par la révélation, l'écriture sainte, la parole de Dieu, et la raison, qui est donnée à chaque homme ; mais il n'y a qu'une seule vérité, que chacun, par son propre cheminement, peut découvrir.

Le croyant affirmera la dignité inaliénable de l'homme, créé à l'image de Dieu ; mais le non-croyant, utilisant sa raison, aboutira à la même conclusion concernant la dignité ; le croyant croit à la valeur transcendante des normes morales naturelles ; mais le non croyant, comme le montre l'exemple fondateur d'Antigone, découvre dans son cœur cette loi naturelle ; le croyant pense que Dieu à donné à Moïse les commandements principaux ; mais tout non croyant, par la raison, sait parfaitement qu'on ne peut vivre en société sans respecter la vie ou le bien d'autrui.

Mais il faudrait se garder de penser que la foi est pour le croyant et la raison pour le non-croyant ; Benoît XVI a expliqué combien la raison était importante pour le croyant, et que la doctrine sociale était une vérité de la foi et de la raison. Mieux, il affirme dans Caritas in veritate (n. 56) que  la religion a toujours besoin d'être purifiée par la raison afin qu'apparaisse son visage humain authentique . Mais il parle aussi d'un dialogue fécond entre foi et raison, et le non-croyant ne doit pas être choqué quand le pape affirme qu'à son tour  la raison a toujours besoin d'être purifié par la foi . En outre, chacun sent bien la fragilité des constructions purement humaines et le besoin d‘enraciner les droits fondamentaux de l'homme dans quelque chose d'intangible et de transcendant.

Enfin, l'enseignement social de l'Église n'est pas d'abord une théorie, mais une motivation pour l'action. Et sur ce terrain de l'action, de la solidarité, de la justice, croyants et non-croyants doivent se retrouver et mener ensemble le combat pour faire respecter la dignité de l'homme.

 

*Jean-Yves Naudet est président de l'Association des économistes catholiques.

 

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