La volonté de comprendre les raisons de la crise manifestée par Alex et Maud Lauriot-Prévost (Décryptage, 6 janvier) est légitime et salutaire.

Il faut assurément poursuivre cet effort et l'on compte sur la Fondation de Service politique pour y contribuer.

 

Mais ne doit-on pas tout d'abord partir d'une constatation sociologique simple ? Une critique des erreurs de discernement des années 70-90 (qui, malheureusement, perdurent dans un certain nombre de situations) peut difficilement émaner spontanément des acteurs de la crise eux-mêmes, d'autant plus qu'un certain nombre d'entre eux est encore en fonction dans l'Église. Et quand on parle des acteurs de la crise, il ne faudrait pas sous-estimer l'influence de ces prêtres et de ces laïcs un peu anciens, d'autant plus irremplaçables que le personnel de l'Église est en déclin démographique, qui "verrouillent" encore aujourd'hui toute possibilité de changement véritable au sein de nos diocèses en raison de leur capacité de résistance et d'inertie aux initiatives pastorales de leurs évêques... En outre, force est de constater la "loi du silence" pratiquée dans le monde clérical : en dehors de Mgr Gaidon, rares sont ceux qui ont eu le courage de relater ne serait-ce que l'histoire vécue de la crise, et dans quelles souffrances pour le Corps mystique du Christ...
 
On doit ensuite se demander si l'Église n'est pas encore victime d'un appauvrissement intellectuel qui ne favorise pas le renouvellement de la réflexion et creuse l'écart entre les attentes des laïcs et de la société civile, d'une part, et la capacité de réponse des pasteurs, d'autre part. Sans nullement mettre en cause la qualité de la formation de ces derniers, quand un évêque ou un prêtre peut-il trouver le temps de penser non seulement les problèmes contemporains de l'Église mais encore la crise de la civilisation que nous traversons, alors qu'il est accaparé par ses tâches pastorales et que, bien souvent, la seule source d'information de nos prêtres est le journal et — diable ! —  la télévision ?
De surcroît, cela fait tout de même près de dix ans que l'Église vit sur l'incontournable Lettre aux catholiques de France due à Mgr Claude Dagens. On peut tout de même penser qu'elle nécessiterait une sérieuse actualisation dans le contexte d'une société post-moderne libéralo-libertaire. Pour ne prendre qu'un exemple, et sans même se réclamer de Radical orthodoxy, est-il encore possible aujourd'hui d'en rester à l'affirmation suivante, qui paraît presque ingénue à l'heure de la "culture gay" : Nous acceptons sans hésiter de nous situer, comme catholiques, dans le contexte culturel et institutionnel d'aujourd'hui, marqué notamment par l'émergence de l'individualisme et par le principe de laïcité. Justement, nous acceptons de moins en moins de nous situer dans une société libertaire et nihiliste et par rapport à une laïcité laïciste qui refoule le "fait religieux" dans la sphère privée ; nous attendons plutôt de l'Église qu'elle nous invite à nous situer tous ensemble ailleurs !
Accompagner ou résister ?
Plus fondamentalement, il me semble que le refus de l'Église de France de regarder son passé en face va de pair avec l'hésitation qui la saisit lorsqu'il s'agit de regarder l'avenir. Elle est en effet toujours tiraillée entre deux attitudes.
 
La première — celle qui prévaut en fait depuis des années — consiste pour nos clercs à continuer à "aller vers le monde", comme on disait au bon vieux temps post-conciliaire, de se comporter en bons compagnons de route d'une société séculière toujours plus éloignée du christianisme quand elle ne lui est pas franchement hostile. À ce compte-là, l'Église de France court le risque de ne pas mieux se faire entendre de la société que comprendre des catholiques de plus en plus tentés par un dédoublement schizophrénique : catholiques le dimanche, certes, mais tranquillement séculiers le reste de la semaine et dans leurs actes de citoyens, notamment dans leur vote qui ignore majoritairement les priorités de l'Église. D'ailleurs, nos prêtres eux-mêmes ne sont-ils pas atteints du même malaise quand on leur demande d'administrer des sacrements comme des prestations de services à des non-croyants qui les réclament pourtant comme un dû ? On peut faire le bilan : c'est la situation actuelle de l'Église dans la société. On comprend qu'une telle entreprise ait quelque mal à attirer nos jeunes.
 
La seconde consisterait pour l'Église de France à redevenir ce qu'elle n'est plus ou trop peu, une Église de témoignage et — osons le mot —  de résistance porteuse d'une critique radicale des dérives du libéralisme post-moderne anti-chrétien, poursuivant de front une mission d'évangélisation des chrétiens et une mission de formation des citoyens chrétiens à la doctrine sociale catholique pour leur permettre de contribuer au "réensemencement"  du christianisme partout où ils agissent (en chrétiens et non en tant que chrétiens, cela va sans dire).
 
Mais on se trouve alors renvoyé à une question bien délicate, tant à l'intérieur de l'Église qu'à l'extérieur de la communauté catholique et qu'on résumera en un mot, car c'est l'ennemi : le cléricalisme.
À l'intérieur de la communauté catholique, cela supposerait d'inventer un nouveau partage des tâches entre clercs et laïcs au sein des paroisses, dans le plein respect du ministère des premiers, et en vue de la meilleure utilisation des compétences des seconds au service du corps ecclésial. Et à l'extérieur de l'Église, il faudrait que celle-ci ait le courage d'un témoignage beaucoup plus vigoureux en faveur de la vérité dans un contexte qui sera nécessairement celui d'un nouveau Kulturkampf, même avec la meilleure communication du monde.
Au risque d'étonner par cette référence que d'aucuns trouveront anachronique ou même franchement scandaleuse, je crois que nous gagnerions à nous inspirer de l'action à la fois pastorale, culturelle et politique qu'un Karol Wojtyla a su déployer dans son diocèse de Cracovie au sein d'une société contrôlée par un système politique hostile au christianisme : notre démocratie "populo-libertaire" ne lui est en fait pas tellement plus favorable.
 
On voit que la bonne question soulevée par Alex et Maud Lauriot-Prévost nous entraîne beaucoup plus loin qu'un retour sur le passé : To be or not to be ? 

 

 

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