Il y a quelque chose de fascinant à voir un homme politique relativement jeune (47 ans) et noir comme Barack Obama briguer avec quelques chances de succès l'investiture démocrate pour l'élection présidentielle américaine.

 

Autant que son audace, frappe l'aisance de ce candidat improbable dans un pays où aucun homme de couleur — à l'exception du général Colin Powell qui, sollicité par le Parti républicain, déclara forfait — n'avait pu jusqu'ici envisager sérieusement d'entrer dans la course présidentielle. Une aisance qui le fait même qualifier de nouveau Kennedy .

La vérité est qu'Obama n'est pas un vrai Noir ! Il ne l'est que pour ceux qui pensent que la couleur de la peau a de l'importance. Sur le plan culturel, le seul qui importe, Obama est le contraire d'un Noir américain. Non par sa mère blanche qui descendrait du président sudiste Jefferson Davis — mais aussi, plus classiquement, de paysans irlandais chassés par la famine de 1846 : aux États-Unis, une goutte de sang noir suffit à vous faire black . C'est de son père, Barack Obama Sr, homme politique kenyan de l'ethnie luo, que le sénateur du Michigan a reçu une empreinte vraiment originale.

Des guerriers fiers et dominateurs

Les Luos appartiennent à cette grande famille de peuples pasteurs d'Afrique de l'Est dits nilo-hamitiques . Si l'expression que de Gaulle appliqua une fois aux Juifs peuple sûr de lui et dominateur a un sens, c'est bien dans cette région du monde. Les Nilo-hamitiques sont le contraire d'esclaves ou de descendants d'esclaves. Ces peuples fiers et guerriers [1] dominèrent longtemps les Bantous cultivateurs et sédentaires. Ils résistèrent avec succès aux entreprises des marchands d'esclaves arabes de la côte swahilie, quand ils ne collaborèrent pas avec eux. Eux ou leur cousins sont au pouvoir au Rwanda, au Burundi, en Ouganda, en Éthiopie et au Soudan (quoique les Nilo-Hamitiques soudanais se prétendent Arabes). De grands hommes politiques de la région comme Julius Nyerere, fondateur du socialisme ujamaa ou Yoweri Museveni actuel président de l'Ouganda en sont. De même l'ancien archevêque de Dar-es-Salaam Lawrence Rugambwa, fait premier cardinal africain par une Église romaine qui s'y connait en chefs. Kabila, président du Congo, est, dit-on, à moitié tutsi.

Se rattachent en effet aux peuples nilo-hamitiques les Tutsis du Rwanda et du Burundi : minorité noble pesant entre 5 et 10 % de la population, qui domina longtemps dans ces deux royaumes la majorité hutue (lesquels sont des Bantous). Renversée au Rwanda en 1960, la minorité tutsie, aidée par l'Ougandais Museveni, est revenue au pouvoir sous l'égide de Paul Kagamé en 1994. L'armée des ci-devants exilés depuis plus de trente ans est rentrée au pays en massacrant à tour de bras. Les tenants du pouvoir majoritaire hutu, pris de panique, commencèrent alors à massacrer tous les Tutsis de l'intérieur et leurs amis réels ou supposés : ce fut le grand génocide de 1994. Le pouvoir est aujourd'hui exercé dans ce pays d'une main de fer par une petite minorité de Tutsis de l'étranger – très peu nombreux du fait du massacre des Tutsis de l'intérieur : peut-être 1 % de la population.

La diaspora tutsie en Europe (particulièrement forte en Belgique) et dans le monde, est depuis lors un relais efficace de la propagande de Paul Kagamé : personne ne conteste le chiffre devenu canonique de 900 000 victimes, pourtant issu d'une source unilatérale ; personne ne parle des massacres de Hutus par les Tutsis qui, quoique moins concentrés dans le temps, ont fait, sur la durée, encore plus de victimes. Tous ceux qui contestent la version officielle propagée par le gouvernement de Kigali sont menacés, où qu'ils se trouvent, de lynchage médiatique ou internautique, ou de procès téléguidés dissuasifs : la France fut ainsi fort injustement mise au banc des accusés dans l'opération Turquoise pour complicité avec les génocidaires, jusqu'à ce que Bernard Kouchner aille à Canossa à Kigali [2]. Le courageux journaliste Pierre Péan qui a osé contester la version des vainqueurs tutsis et par là défendre l'honneur de l'armée française dans un livre remarquable [3] est depuis lors l'objet d'une persécution sans merci. Agents conscients ou inconscients de l'internationale tutsie, la plupart des journalistes français se sont déchaînés contre son livre. SOS-Racisme a traîné son auteur devant les tribunaux pour racisme et complicité de génocide.

Au Kenya, l'ethnie dominante est au contraire une ethnie bantoue, les Kikouyous, servis par leur majorité relative, leur centralité et surtout une empreinte anglaise plus forte. L'actuel président kikouyou Mwai Kibaki, usé, s'est vu contesté lors de la dernière présidentielle par une coalition menée par le Luo Rail Odinga, fils d'Oginga Odinga, homme politique kenyan de la première génération, proche du père d'Obama. Que Kibaki n'ait été réélu qu'au moyen de fraudes massives est aux origines des graves tensions actuelles de ce pays.

Sui generis

Même si le rôle des Tutsis du Rwanda est sujet à caution, être nilo-hamitique n'a certes rien d'infâmant, bien au contraire.

On comprend cependant, au vu de cet arrière-fond, à quel point le phénomène Obama est singulier, à quel point surtout la culture du candidat démocrate est étrangère à celle du Deep South. Un chef luo n'a rien à voir avec l'oncle Tom, pas plus que les chants guerriers masaïs avec les mélopées des cueilleurs de coton du Mississipi !

C'est ce qui explique sans doute que sa candidature pose si peu de problèmes à l'establishment américain et que, bien qu'il s'agisse, au moins formellement, d'une candidature noire , elle paraisse aller de soi.

C'est ce qui explique aussi peut-être la difficulté qu'éprouve la communauté noire américaine à se reconnaître dans ce candidat issu d'un univers si antithétique au sien. En définitive Obama ne s'en rapproche que par l'action sociale qu'il a eue dans les quartiers pauvres de Chicago et par sa femme qui est, elle, une authentique afro-américaine. Son élection éventuelle ne signifierait pas nécessairement une promotion de la communauté noire. Il faudrait plutôt l'analyser comme un phénomène sui generis.

 

[1] Parmi lesquels les célèbres Masaïs.

[2] Pierre Péan, Noires fureurs, Blancs menteurs, Mille et Une Nuits, 2005.

[3] Ce que pouvait avoir d'incongru cette quasi repentance du ministre des Affaires étrangères français a été justement relevé par l'universitaire belge Filip Reyntjens, Le Figaro, 30/1/2008 ).

■ D'accord, pas d'accord ? Envoyez votre avis à l'auteur