Avant de pousser des cris d'orfraie, il serait peut-être intéressant de se demander si nous avons la conscience absolument tranquille au sujet du clonage.

Car enfin, qui est favorable au clonage dans le monde ? Il y a tout de même de quoi être stupéfait d'apprendre que les Etats-Unis et le Vatican seraient, par leur intransigeance, responsables de la naissance du premier enfant cloné ! Telle est l'hypothèse que l'on peut découvrir en lisant les propos du Pr Frydman et de Mme Lenoir, ministre délégué aux Affaires européennes.

A l'ONU, la France et l'Allemagne avaient demandé l'interdiction du seul clonage reproductif. Tandis que les Etats-Unis et le Vatican étaient favorables à une interdiction de tout clonage, qu'il soit reproductif ou thérapeutique. Position scientifiquement irréprochable, puisque tout clonage est reproductif dans la mesure où il commence par produire un embryon. Or, selon Mme Lenoir, "cette dernière prise de position, considérée comme trop absolue par nombre d'Etats, n'a pas permis d'arrêter un mandat de négociation en vue de l'élaboration d'une convention internationale. Nous en sommes là" (Le Monde des 29 et 30 décembre 2002). De son côté, le Pr Frydman regrette cette "position maximaliste" qui a fait que, "du coup, rien n'a été décidé" et que "les Etats-Unis, à vouloir jouer les chevaliers blancs, ont tout perdu" (Libération des 28 et 29 décembre 2002).

En réalité, les partisans du clonage sont beaucoup plus nombreux qu'on ne l'imagine, mais ils voudraient nous (et se) rassurer en distinguant un méchant clonage (reproductif) et un gentil clonage (thérapeutique). Ils souhaiteraient naviguer sous pavillon de complaisance en rebaptisant "transfert de noyau somatique" le clonage thérapeutique. En somme, ils aimeraient interdire le clonage tout en commençant par l'autoriser !

La vérité, c'est que nous sommes en pleine dépression éthique. Quelle émotion de lire, sous la plume des commentateurs, que le principal reproche à faire au clonage, c'est de ne pas fournir à l'enfant le cadre d'une relation de couple indispensable à la constitution de son identité ! Alors que, depuis belle lurette, les techniques de procréation médicalement assistée, avec dons d'ovules ou dons de sperme, ont fait éclater ce cadre. Pourquoi soudain s'indigner de la détermination des caractéristiques génétiques et physiques d'un nouvel être humain ? Alors que les diagnostics prénatal et préimplantatoire ont déjà installé le principe de la sélection de l'humain conforme à certains standards. Pourquoi proclamer tout à coup qu'un être est unique et irremplaçable, qu'il ne peut être l'objet d'un choix délibéré de la part d'un autre humain, alors que le "projet parental" est devenu le critère d'acceptabilité de l'enfant ? Pourquoi s'inquiéter de ce que l'enfant cloné serait dans une situation psychique qualifiée d'impossible alors qu'il serait possible de lui donner deux parents de même sexe ?

Bien sûr, toutes ces raisons sont exactes. Mais il est aussi exact que ces raisons ont toutes été transgressées. Par "compassion". Dès lors, il est pratiquement certain que la "compassion" viendra aussi à bout de la peur du clonage. Certains médecins français estiment déjà qu'ils n'auraient pas à juger des motivations d'une femme demandant l'implantation d'un embryon cloné, pas plus qu'ils ne jugent des motivations d'une femme recourant à une fécondation in vitro "classique".

Au fond, ce n'est pas cette naissance qui est condamnable, mais ceux qui rendront toujours possible le clonage reproductif parce qu'ils ne veulent pas interdire aussi le clonage thérapeutique. Et ceux qui tentent de faire croire que l'exploitation de millions d'embryons clonés, à usage thérapeutique, serait moins grave que la naissance d'un seul enfant cloné.

Allons jusqu'au bout du raisonnement : si le clonage reproductif est tellement monstrueux, aurait-on préféré disposer d'Eve, très jeune, en pièces détachées ? Cette alternative est strictement la proposition du clonage thérapeutique. Qui osera le dire, maintenant que l'embryon cloné a un visage ? Le clonage thérapeutique, c'est le clonage reproductif plus la mort. Le clonage reproductif est un crime contre l'humanité, mais le clonage thérapeutique l'est doublement. Ne jouons pas les Candide : la seule solution est d'interdire en amont tout clonage embryonnaire. La recherche vaut mieux que des délires sectaires. Adam ne doit pas tuer Eve.

Jean-Marie Le Méné est président de la Fondation Jérôme-Lejeune.

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