L'encyclique Ecclesia de Eucharistia (L'Église vit de l' Eucharistie) n'est pas, à proprement parler, une encyclique sur l'Eucharistie considérée comme sacrement, ni une encyclique sur la Messe, mais une encyclique sur l'Église dans son lien au mystère eucharistique.

Faute de bien comprendre la perspective du document pontifical on risque d'être déconcerté, comme l'ont été certains qui s'attendaient soit à une méditation mystagogique sur le sacrement soit à un exposé plus historique sur l'évolution historique du sens du mystère, tel par exemple Paul De Clerck dans l'entretien qu'il accorde au journal La Croix dans on édition du 18 avril 2003.

Si l'on comprend ce point de vue de l'encyclique, on voit qu'elle se situe tout entière dans une vision conciliaire et qu'elle prolonge l'intuition centrale du Concile : la " communion " est le mystère profond qui exprime l'Église. C'est ce qu'enseigne la Congrégation pour la doctrine de la Foi dans son document de 1992 : " Le concept de communion est "au cœur de l'auto-connaissance de l'Église", en tant que mystère de l'union personnelle de chaque homme avec la Trinité divine et avec les autre hommes, commencée par la foi, et orientée vers la plénitude eschatologique dans l'Église céleste, tout en étant déjà une réalité en germe dans l'Église sur terre " (1).

Vu de cette manière l'encyclique Ecclesia de Eucharistia " ne se laisse pas prendre dans " dans un cadre théologique qui est très strictement celui du XIIIe siècle occidental " comme le dit Paul De Clerck à moins que l'on ne fasse de Vatican II qu'une redite de la Somme théologique, ce qui serait un peu gros ! Car bien qu'il n'y ait pas de contradiction entre la perspective de saint Thomas et Vatican II, centrer la connaissance de l'Église autour du concept de " communion " implique un approfondissement significatif de la théologie du " Corps mystique " sur laquelle était bâtie l'ecclésiologie médiévale. En situant l'Eucharistie dans la double perspective de la communion apostolique (hiérarchique) et ecclésiale, l'encyclique est bien au centre des préoccupations actuelles de l'Église et se

nourrit de tout l'enseignement du concile sur l'Église comme communion.

Qui dit " communion " dit bien une " koinonia ". Une communauté qui s'édifie et se construit, le fait par rapport à quelque chose ou par rapport à quelqu'un. Ce quelqu'un loin d'être une simple idée ou une simple expression subjective de la foi est vraiment le Christ présent en son Corps et en son Sang sous les espèces sacramentelles. On pourrait dénoncer cette perspective en disant que voilà le cadre médiéval dans lequel l'encyclique s'inscrit ! Mais cela, cette connaissance de la réalité vivante de l'Eucharistie et du langage qui l'exprime n'appartiennent-ils qu'à une vision archaïque d'un système théologique que l'on voudrait dépassé, ou bien ne sont-ils pas plutôt l'une des richesses du trésor de l'Église ? Pourquoi y renoncer ?

Une fois reconnu ce rappel de la richesse théologique du sens du sacrement, l'encyclique n'en demeure pas là. Elle approfondit, pour le temps actuel, les deux grandes dimensions de l'Église comme " communion ". En premier le rôle de l'Eucharistie comme source de l'édification de l'Église. C'est là une doctrine conciliaire que l'on retrouvera particulièrement bien exprimée dans Lumen Gentium et Sacrosanctum Concilium (cf LG., 17 et SL, 47) et qui permet de comprendre à quel point l'apostolicité de l'Église, ou la communion hiérarchique, n'est pas uniquement un exercice du pouvoir de juridiction, mais est, avant tout, la réactualisation vivante du repas du Seigneur, banquet " sacré " intimement lié à son suprême sacrifice.

C'est pourquoi l'Eucharistie est d'abord confié aux Apôtres et, à travers eux par la transmission apostolique, au ministère sacerdotal qui seul à le pouvoir d'assembler l'Église autour du Corps et du Sang du Seigneur. Seul le prêtre peut refaire, " non pas comme un simple souvenir " mais comme une actualisation vivante les gestes du Seigneur. Lui-même présida le dernier Repas, consacrant, sous les espèces du pain et du vin, son Corps et son Sang au rachat du monde. Cela c'est la mémoire vivante de l'Église et l'encyclique nous fait mieux comprendre que sans l'Eucharistie confiée au Apôtres et en particulier à l'Évêque, il n'y a pas d'Église et pas d'assemblée autour du Corps et du Sang du Christ.

Si l'encyclique met bien l'accent sur le rôle du ministre ordonné qui consacre le pain et le vin in persona Christi, cela n'aboutit pas à rejeter le rôle de l'Esprit-Saint dans la consécration (comme le dit assez maladroitement Paul De Clerck) mais à bien souligner un aspect important : l'Eucharistie n'est pas seulement une assemblée de prière, ce n'est pas seulement une réunion des fidèles pour la lecture de la Parole de Dieu, c'est la remise en acte vivant du Repas du Seigneur. Ce lien intime entre le ministère sacerdotal et l'Eucharistie doit inciter le prêtre à puiser sa force apostolique dans ce sacrement ; il doit aussi fortifier les fidèles dans leur participation à l'Eucharistie, lieu où ils exercent le plus pleinement leur sacerdoce commun, sachant qu'il n'y a pas d'assemblée eucharistique s'il n'y a pas de prêtre qui au milieu d'eux rend présent le Christ dans son don total au Père (EE, n. 32).

La communion apostolique est le don que l'Église fondée sur Pierre et les apôtres fait aux croyants ; la réponse des fidèles est la communion ecclésiale. La communion ecclésiale est l'adhésion de foi que les baptisés donnent aux Apôtres qui, dans leur ministère, leur transmettent la Parole du Seigneur et les invitent à participer à son sacrifice. Cette adhésion se manifeste par une pleine acceptation de la Parole révélée et enseignée, par une acceptation du gouvernement de l'Église comme venant de la volonté divine de son fondateur. Les fidèles marquent leur adhésion à l'Église non seulement en acceptant son enseignement et son gouvernement mais en exprimant leur " communion " par la " communion " eucharistique.

Ce passage de l'encyclique sur la communion ecclésiale vient non seulement du Concile, mais du Synode extraordinaire de 1985. Il nous fait sortir du subjectivisme et de l'individualisme : " communier " à la messe, ce n'est pas seulement recevoir, pour soi, comme un acte de dévotion privée, pour ses propres besoins spirituels, le Corps et le Sang du Christ, c'est marquer par son geste publique, une adhésion de foi et d'acte à toute l'Église, à la foi et au gouvernement des Apôtres, à la charité qui doit unir tous les frères.

C'est pourquoi l'encyclique rappelle à cet endroit que pour poser ce geste de " communion ", il faut en avoir les dispositions, non seulement les dispositions intérieures de charité théologale—absence de faute grave—mais les dispositions extérieures d'acceptation de la plénitude de communion avec toute l'Église. Rappelant que la " célébration de l'Eucharistie ne peut pas être le point de départ de la communion qu'elle présuppose " (EE, n. 35), l'encyclique montre que les pratiques abusives de " communio in sacris " loin de hâter la pleine communion avec nos frères séparés " pourraient même constituer un obstacle " pour y parvenir (EE, n. 44), en minimisant ou avalisant la valeur de la distance qui nous sépare du but : la manifestation de la grandeur des vérités de foi que suppose la " communion ". Il y aura longuement à réfléchir sur ce rappel de la nécessités des " dispositions ". Elles ne sont pas uniquement la manifestation d'une conscience droite ou d'une bonne volonté. Celui qui n'a pas la foi en la pleine communion que présuppose le partage du pain eucharistique, même si cela ne révèle aucune mauvaise volonté et concorde avec sa conscience, celui-là n'a pas les " dispositions " suffisantes pour poser ce geste de " communion " eucharistique. Ce ne sont pas là, faut-il le rappeler, des préoccupations médiévales ! Elles sont bien de notre temps et apporte des solutions qui, bien qu'elles combattent le subjectivisme dans lequel on voudrait nous installer, sont bien dans la ligne de la dignité du don de l'Eucharistie fait aux croyants.

Les deux derniers chapitres sont " savoureux " dans le sens où nous retrouvons un encouragement à nous comporter comme Marie de Béthanie qui n'hésite pas à payer d'un prix très élevé le nard précieux qu'elle répand sur les pieds du Christ ou comme les Apôtres qui ont préparé " avec minutie la Grande Salle " du dernier repas. Nos eucharisties doivent conserver ou redevenir les lieux de fêtes ou nous apportons " ce que nous avons de plus beau " pour cette rencontre avec le Seigneur. C'est sans doute pour cela qu'il faut s'y approcher comme Marie, " la femme eucharistique ". Ce dernier chapitre sur Marie est peut-être de la seule plume de Jean Paul II, mais il n'exprime pas seulement une piété personnelle. Le rôle de la femme dans l'Église est trop précieux pour être réduit à de simples schèmes de dévotion privée. Si l'on veut reconnaître un rôle de la femme dans l'Église, il faut commencer par accepter totalement celui qu'a tenu Notre Dame.

(1) Congrégation pour la Doctrine de la foi, Lettre aux évêques de l'Église catholique sur certains aspects de l'Église considérée comme communion,28 mai 1992, n. 3.

> D'accord, pas d'accord ? Envoyez votre avis à Décryptage

>