En cette avant-veille de Noël, un de mes amis qui habite une petite ville aux environs de Paris me recevait au sortir d'une retraite de collégiens. Je lui racontais, tout en prenant l'apéritif, comment j'avais essayé de redonner à ces jeunes pleins de bonne volonté âgés de 12-13 ans le goût d'une vie vraiment chrétienne, marquée par les rythmes de la prière.

Je lui expliquais que je leur avais fait dire le benedicite avant le repas, prière dont ils n'avaient aucune idée jusque là. Mon hôte, un peu gêné, me dit : " Nous-mêmes en famille, nous disions la prière avant les repas, il y a quelques années encore. Mais nous avons dû cesser, car nos enfants faisaient des comparaisons : "Les Untel ne prient pas avant de manger, ce sont de vrais païens !" Comment leur expliquer ? Nous avons mieux aimé arrêter. " " Que veux-tu, ajoute-t-il, nous sommes en pays de mission ! "

Sur le moment, je fus un peu interloqué par la finale, car si un pays de mission est un pays où l'on fait disparaître les signes de reconnaissance des chrétiens, il y a peu de chance qu'il y ait jamais de mission. Mais je m'aperçus surtout que, dans l'esprit de mon ami, comme chez beaucoup de catholiques, ou bien on est entre soi (en chrétienté comme on aurait dit jadis) et dans ce cas on se montre, ou bien on est mêlé aux " autres " et alors on se tait ou du moins on évite tous les signes extérieurs.

En converti que je suis, je serais plutôt prêt à penser que c'est l'inverse : lorsque les chrétiens sont dispersés au milieu des autres, c'est là qu'ils ont à laisser voir ce qu'ils portent en eux, même si cela n'est pas forcément bien reçu. Ils en ont moins besoin quand ils sont portés par une certaine unanimité. On me répondra que l'exemple est mal choisi et qu'il ne faut pas nécessairement braquer tout le monde par une prière ostensible. Je l'admets volontiers. Mais si ce n'est pas ce signe-là, ce sera un autre (le maigre du vendredi ou que sais-je encore ?). Rendre notre appartenance invisible et purement intérieure ne nous aidera ni à être disciple du Christ jusqu'au bout, ni à entraîner les autres à sa suite.

Dire, comme me faisait un de mes anciens curés, " les chrétiens ne devraient se signaler que par l'excellence de leur charité " est malheureusement une douce plaisanterie. D'ici à ce que notre charité, au premier regard, touche les cœurs et frappe les imaginations, il se passera beaucoup de temps ! Et même Jésus, notre Seigneur, malgré trente ans de vie cachée à Nazareth, ne semble pas avoir beaucoup marqué ses compatriotes ; c'est son enseignement qui a attiré le regard sur ce qu'il portait...

Il en est des signes de notre appartenance catholique, comme de tous les signes, ils nous jugent en même temps qu'ils nous aident à nous rappeler ce que nous sommes. Si tous les juges étaient justes, si tous les militaires étaient braves, disait Pascal, ils n'auraient pas besoin de tenue spéciale. La même chose vaut pour la tenue ecclésiastique : elle est plutôt le signe de la faiblesse de notre témoignage qu'un signe d'honneur. Un jour, parlant avec le père Guy Gilbert, celui-ci m'avait demandé : " Pourquoi portes-tu encore ce truc-là ? moi, il y trente ans que je m'en suis débarrassé ! J'ai voulu montrer par là que je rompais avec l'establishment ... " J'ai pensé à part moi (je n'ai pas osé le lui dire) : moi, c'est pour la même raison que je l'ai gardé. Car, du temps de mon ordination (plus récente que la sienne), plus grand monde ne portait le col romain et c'était une manière de faire un pied-de-nez au monde bien pensant. Par le fait même, je me marquais à mes risques et périls au service du Christ et j'acceptais de devenir un signe de contradiction pour ceux que je rencontrais, ce qui n'a pas manqué d'arriver.

Les signes sont certes ambigus et on aurait tort de se battre pour eux. Mais il en faut et leur défaut se fait si cruellement sentir aujourd'hui qu'il faudra bien en prendre acte et essayer d'y remédier. Un christianisme anonyme et sans repère n'a aucune chance d'avenir. Nous avons été bien trop spiritualistes en imaginant qu'il suffisait de porter en soi des convictions pour soulever le monde. La foi doit quelque part marquer notre vie, jusque dans notre corps, sinon elle n'a pas plus de réalité que nos paroles, elle participe de ce nihilisme qui nous enveloppe où toutes les opinions se croisent, s'échangent et se valent dans une parfaite insignifiance.

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