Les évêques américains s’expliquent sur le discours à tenir aux responsables politiques favorables à l’avortement, en particulier ceux qui se recommandent de leur appartenance à l’Église catholique. Dans un document publié le 18 juin par une commission présidée par le cardinal McCarrick, ils rappellent la nécessité d’" unir principes moraux et choix politiques ", mais ils veulent privilégier l’information.

Le document répond à l’émoi suscité par le refus de quatre évêques d’accorder la communion au candidat John Kerry. Dans un entretien publié par l’agence Zenit (US), le théologien et cardinal Avery Dulles sj encourage les évêques américains à éclairer les hommes politiques catholiques sur leurs responsabilités morales. Liberté religieuse, excommunication, le cardinal répond simplement à toutes les questions qui fâchent. Traduction française Décryptage.

Q : Quelles sont les étapes qu’un évêque peut ou doit suivre pour encourager pratiquement un homme politique catholique à renoncer à soutenir l'avortement, l’euthanasie et la recherche sur les embryons ?

Cardinal Dulles : La première étape devrait être probablement de s'assurer que les homme politiques comprennent la doctrine de l’Église et ses raisons. Beaucoup d’homme politiques, comme une grande partie du public américain, semblent ignorer que l'avortement et l'euthanasie sont des violations sérieuses du droit inaliénable à la vie.

Or ce ne sont pas seulement des questions d'"église", elles sont régies par la loi normale de Dieu, qui porte sur tout l’être humain. Le droit à la vie est le plus fondamental de tous les droits, puisqu'une personne privée de la vie n'a aucun autre droit.

L’Église ne construit pas elle-même les lois civiles, mais elle avertit les législateurs que les lois doivent être conçues pour soutenir la justice, y compris les droits de l'enfant non né. Les évêques doivent essayer d'entrer en dialogue avec les homme politiques et toutes autres personnes publiques pour les rappeler à leurs responsabilités morales.

Si, après ce dialogue, l'évêque trouve l’homme politique incurablement opposé à l'enseignement catholique sur cette matière, il doit lui conseiller ou lui commander de ne pas recevoir la sainte communion, qui est par nature un signe de solidarité avec l’Église.

D'autres étapes pourraient également être considérées. Par exemple, l'évêque pourrait instruire les paroisses et les établissements catholiques ne pas inviter tels homme politiques à parler dans les lieux d'Église, ne pas leur donner de rôles dans la liturgie et ne pas leur rendre hommage, de quelque façon que ce soit.

Q : Certains ont remis en cause cette insistance sur la question de l'avortement quand d'autres sujets -- tels que le conflit en Irak et la peine de mort – opposent aussi certains homme politiques et l’Église. Pourquoi l'avortement ?

Les trois cas que vous mentionnez sont tout à fait différents. L’Église reconnaît des circonstances où la guerre et la peine de mort sont justifiées, quoique de telles mesures soient indésirables et devraient être limitées au strict minimum nécessaire.

L’actuel Saint-Père a clairement indiqué sa pensée : il est sûr que les guerres et les exécutions sont des erreurs et particulièrement inutiles. Les catholiques respecteront ceci comme le jugement de prudence d'un pasteur sage et saint.

Mais les catholiques qui acceptent entièrement la doctrine de l’Église peuvent parfois être en désaccord pour savoir si une déclaration de guerre ou une sentence de mort est moralement défendable.

L'avortement est dans un genre différent. En tant qu’atteinte délibérée à une vie humaine innocente, l'avortement direct ne peut jamais être justifié. Sur ce principe moral, il ne peut y avoir aucune discussion dans l’Église. Cet enseignement a toujours été constant et explicite.

La loi civile ne doit pas autoriser, encore moins encourager, de tels désordres moraux. Elle doit le plus possible protéger la vie et la dignité humaines. Mais en évaluant la manière de procéder, il peut y avoir des divergences de vues. S'il est impossible d'obtenir une loi interdisant tous les avortements, ou si une telle loi serait inapplicable, il peut être préférable d’obtenir une loi qui limite l'accès à l'avortement autant que possible, tout en continuant à travailler pour la pleine justice.

La politique, après tout, est la sphère du possible, pas de l'idéal. À condition que les principes moraux soient clairement connus et poursuivis, les évêques et les homme politiques feront bien de maintenir le dialogue sur ces questions de stratégie.

Q : À quels risques l’Église s’expose-t-elle si elle inflige des sanctions plus strictes aux hommes politiques ?

En imposant des sanctions, l’Église essaie de protéger les sacrements contre les profanations qui se produisent quand ils sont reçus par des personnes sans dispositions appropriées. Les hommes politiques en désaccord avec l’Église veulent souvent recevoir la communion comme une manière de prouver qu'ils sont toujours de "bons catholiques", quand en fait ils choisissent de placer leur parti politique au-dessus de leur foi. Mais l'imposition de sanctions entraîne au moins trois risques.

En premier lieu, l'évêque peut être accusé, de quelque manière que ce soit, d’essayer de contraindre la conscience de l’homme politique.

Deuxièmement, on peut facilement accuser l’Église de tenter d’intervenir dans le processus politique lui-même, ce qui dans ce pays dépend du libre consentement du citoyen.

Et enfin, l’Église court le danger de s’aliéner les juges, législateurs et administrateurs publics dont la bonne volonté est nécessaire pour d'autres bons programmes, comme le soutien à l'école catholique et l’assistance aux pauvres.

Pour toutes ces raisons, l’Église répugne à réprimander les homme politiques sur la voie publique, même lorsqu'il est clair que leurs positions sont moralement indéfendables.

La première responsabilité de l’Église est d’enseigner et de persuader. Elle essaie de convaincre les citoyens de s'engager dans le processus politique avec une conscience bien formée.

Les évêques espèrent que les électeurs et le gouvernement œuvreront à une société dans laquelle chaque vie humaine sera protégée par la loi de la conception à la mort naturelle.

Q : En corollaire, l’Église risque-t-elle de perdre son statut fiscal (l’exemption d'impôts) si elle maintient la pression sur cette question ? Ces initiatives épiscopales ont-elles pu être interprétées comme des actions politiques ? Cette considération ne prime-t-elle pas sur le tout ?

Puisque les États-Unis se glorifient de leur tradition de liberté religieuse, le pays continuera probablement à reconnaître le droit de l’Église à parler publiquement sur les aspects moraux de la loi civile et de l'ordre public.

L’Église catholique a généralement essayé d'éviter de soutenir tel parti ou tel candidat particulier. Pour autant, les Églises qui confirment les principes moraux dans la vie politique ne renoncent pas à leur statut d’institutions religieuses et leur droit à l'exonération fiscale.

Il est vrai que certains interprètent mal le "non-establishment" de la religion dans le Bill of Rights (1) qu’ils comprennent comme une volonté d’exclure la religion de la vie publique. Sur ce point, en fait, l’amendement a été prévu pour protéger la liberté de l’Église de toute interférence de l'État.

Il est assorti d’un deuxième amendement, lequel garantit la liberté des Églises à enseigner et adorer selon leurs croyances. En accomplissant la mission que Dieu lui a donnée pour la moralité et la justice, l’Église rend un service inestimable à la société civile.

Les chrétiens devraient faire tout leur possible pour rectifier les fausses interprétations du principe de "non-establishment" et pour sauvegarder le droit des Églises à enseigner et à témoigner de ce qu'ils considèrent comme relevant de la foi.

Q : Que doit faire un prêtre devant un homme politique publiquement opposé à l’Église et qui se présente pour communier ?

Dans cette situation, le prêtre a des options limitées. Souvent, pour éviter une vilaine scène qui perturberait la cérémonie, le prêtre se sentira obligé de ne pas refuser la communion. En l'absence d'un certain décret formel excluant une personne des sacrements, la plupart des prêtres seront très prudents au sujet des catholiques se présentant à l'autel.

La responsabilité primordiale demeure chez celui qui demande la communion : il doit s'examiner selon ses dispositions, comme le dit Paul en 1Corinthiens, 11, 27-29. Seul Dieu peut connaître avec certitude l'état de l'âme du fidèle à cet instant.

Q : Quelques observateurs se demandent pourquoi le droit canon prévoit l'excommunication pour une femme qui subit un avortement – dans certaines conditions – mais pourtant n'applique pas la même sanction à un homme politique dont les votes pourraient aider à financer des milliers d'avortements. Y a-t-il une faille dans la loi canonique ?

En théologie morale une distinction importante est faite entre commander ou effectuer une action, et la coopération à l'action d’autrui. Là où la coopération est éloignée, son influence sur l'effet peut être très légère.

Voter pour une ligne de crédits qui inclut quelques dispositions pour financer des avortements, ne peut être un péché grave au regard de l’excommunication prévue au Canon 1398. Le vote peut être considéré licite si le financement de ces avortements est seulement accidentel et ne peut être retiré d’une ligne de dépense par ailleurs très souhaitable.

Le problème légal au sujet de l'avortement aux Etats-Unis ne vient pas principalement des législateurs mais de l'ordre judiciaire, qui interprète la Constitution comme un droit civil à l'avortement pratiquement sur demande. Cette interprétation de la Constitution, nous le croyons, est incorrecte et doit être corrigée.

Q : Comment les homme politiques et le public devraient-ils regarder l'excommunication ? Quelle est l'intention de l’Église avec cette peine ?

L'excommunication n'est pas une expulsion de l’Église. La personne excommuniée reste un catholique, mais elle ne peut accéder aux sacrements jusqu'à ce la levée de la sanction par l’autorité compétente. Cette peine spirituelle, la plus sérieuse que l’Église peut infliger, est, pour ainsi dire, un dernier recours.

Dans des cas extrêmes, l'Église se trouve elle-même obligée de déclarer qu'une personne donnée n'est plus dans la communion avec l’Église. Le but d'une telle excommunication est de protéger les sacrements contre la profanation, d’empêcher le fidèle d'ignorer la force de l’enseignement catholique, et d’aider la personne excommuniée à se reconsidérer, se repentir et être sauvée.

© Traduction française Décryptage, avec l’aimable autorisation de l’agence Zenit.

Note

(1) Le " Bill of Rights ", ou “déclaration des droits” comprend les dix premiers amendements ajoutés à la Constitution des États-Unis en 1791 pour protéger les droits de la personne et ceux des États (Ndt).

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