Que fêtons-nous à Pâques ? Le printemps ? L'amour vivant dans nos cœurs ? Le Christ ressuscité ? Reconnaissons que ce dernier point est loin d'être évident à l'heure actuelle pour les chrétiens, au vu des explications embarrassées qui le plus souvent accompagnent l'énoncé de la Résurrection.

 

Certains voudraient écarter l'expression " résurrection de la chair " qui serait la formulation naïve d'une vérité spirituelle (Dieu n'est-il pas " Esprit ", comme le disait, au prix d'un contresens, tel exégète renommé ?). On se perd dans des précautions oratoires pour nous expliquer que la Résurrection, ce n'est quand même pas ce qu'on croyait jusqu'ici : un mort qui se relève et se met à marcher. Pensez donc ! Dieu s'occupant de la biologie, fi donc ! Alors la Résurrection, c'est le resurgissement de la foi dans les cœurs découragés, c'est le renouveau de l'espérance en un monde transformé, c'est la solidarité avec les plus démunis etc., etc. On confond tranquillement l'effet et la cause et on veut nous faire croire que les témoins, qui bien sûr n'ont rien vu et rien touché d'objectif, sont devenus soudain des croyants, d'un coup de baguette magique, ou parce qu'ils auraient compris le message tordu qu'on essaie de nous ingurgiter.

Le réalisme de la Résurrection choque, il dérange. Pourquoi ? Notre époque n'est pourtant pas particulièrement gênée par ce qui concerne le corps, la chair s'étale un peu partout dans une tranquille impudeur. Pourquoi la Résurrection serait-elle disqualifiée pour avoir commerce avec nos corps ? C'est précisément le droit de Dieu sur nos corps qui est refusé par là. Que Dieu s'occupe des âmes, si bon lui semble, mais qu'il laisse nos corps être ce qu'ils sont ! La religion s'occupe des idéaux et des valeurs, tant mieux ! c'est son travail, mais qu'elle laisse le monde réel, celui de la politique, de la santé, du plaisir, se régir selon ses propres lois.

La Résurrection est la contestation radicale de la prétention de l'homme à l'autonomie. En nous expliquant que Dieu veut toucher du feu du ciel tout notre être, corps compris, nous réapprenons que rien n'est soustrait à son influence, que tout est repris dans son dessein, que le salut n'est pas seulement moral. Péguy l'avait bien compris, qui disait du surnaturel qu'il était aussi charnel.

Curieusement, cette même peur du réalisme des œuvres divines se retrouve à l'autre bout des vérités chrétiennes : dans le dogme du péché originel, de plus en plus contesté aujourd'hui par les maîtres à penser d'un christianisme évolué. Ce qui choque, ce que l'on refuse, c'est au fond l'idée que le sort de l'homme jusque dans son existence corporelle pourrait dépendre d'une faute spirituelle commise au début de l'aventure humaine.

Derrière les objections d'allure scientifique, il y a ce scandale : comment la mortalité pourrait-elle venir d'un refus d'obéir à Dieu ? Est-ce qu'il y a un rapport entre le mouvement vital de notre être et la réussite de notre jonction à Dieu ?

L'idée du châtiment qui s'est longtemps imposée a sans doute masqué la réalité dont il s'agit ici : Dieu ne se venge pas de la désobéissance de nos premiers parents en nous infligeant la mort, car dans ce cas il faudrait imaginer que l'homme puisse malgré le péché connaître un certain bonheur, dont Dieu déciderait de le dépouiller pour que l'honneur soit sauf et la justice respectée. Bien au contraire, la mort (jusque dans sa réalité physique) est la conséquence du péché, elle découle de la rupture initiale et toujours plus ratifiée entre Dieu est nous. L'homme ayant été fait pour lui corps et âme, l'éloignement de celui qui est sa vie signifie le dépérissement de tout son être, sans que la divinité ait à y joindre quelque châtiment que ce soit.

En campant sur le double créneau de la résurrection de la chair et du péché originel, nous préservons pour la foi chrétienne la possibilité de contester tous les faux absolus de ce monde. On lui garde son audace tranchante face à tous les consensus qui veulent nous amener à nous résigner à nos limites.

Seigneur ressuscité, gardez-nous de la tentation de vous renvoyer au ciel, pour pouvoir cultiver tranquillement notre jardin !

Le père Michel Gitton, membre du Conseil presbytéral du diocèse de Paris, est en mission comme recteur de la Basilique Saint-Quiriace de Provins, diocèse de Meaux. Chroniqueur à l'hebdomadaire France catholique, il vient de faire paraître Initiation à la liturgie romaine, préface du cardinal J. Ratzinger, Ad Solem, 140 p., 20 eur.

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