Soupçonné d'avoir euthanasié plusieurs patients dont il avait la charge, le docteur Nicolas Bonnemaison, praticien attaché au service des urgences du centre hospitalier de Bayonne, a été mis en examen le 12 août dernier pour  empoisonnement sur personnes particulièrement vulnérables . Profitant de la confusion qui règne dans l'opinion publique sur les enjeux relatifs à la fin de vie, le lobby de l'euthanasie s'est immédiatement saisi de cette affaire pour relancer le débat de la  dépénalisation de l'aide active à mourir  avant les échéances politiques de 2012. Pas sûr qu'il ait fait le bon choix...

Le lobby pro-euthanasie à la manœuvre

 Selon un dispositif et des stratégies minutieusement élaborées à travers les années, se remettent en place, comme dans une pièce de théâtre hâtivement ressortie des cartons, les protagonistes d'une mauvaise comédie qui reprennent leurs postures convenues en quête d'une audience qu'ils viennent quérir faisant feu de tous les artifices dont ils se sont fait un métier [1]. Les mots d'Emmanuel Hirsch, président du Collectif Plus Digne la Vie et spécialiste reconnu d'éthique médicale, sont cinglants mais ils sonnent justes. Ce qu'il convient de nommer l'  affaire Bonnemaison  est en effet devenu en plein cœur de l'été l'occasion qu'attendaient les officines pro-euthanasie pour reprendre l'avantage après l'échec de leurs manœuvres au Sénat en janvier dernier[2].

Nombre de leurs militants ont désormais pris fait et cause pour ce médecin, au risque cependant d'embarrasser leurs dirigeants tant le cas apparaît comme indéfendable. Il est en effet reproché au docteur Bonnemaison d'avoir de sa propre initiative mis fin aux jours de quatre malades en leur injectant des  substances ayant entraîné leur décès immédiat  selon les termes du procureur adjoint du tribunal de grande instance de Bayonne. Le médecin a ainsi reconnu avoir recouru à l'administration d'un produit à base de curare, le Norcuron, utilisé normalement dans des conditions très strictes pour paralyser les muscles respiratoires dans certaines opérations chirurgicales et jamais dans le cadre d'une prise en charge en fin de vie. Au vu des premiers résultats de l'enquête, il apparaît donc que le médecin ait agi de son propre chef sans demander l'avis du malade ou de la famille et sans en référer à ses collègues. En outre, si les patients en question étaient tous en fin de vie, dans l'attente d'un transfert en unité de soins palliatifs, le magistrat a précisé qu'ils ne semblaient  pas en proie à des souffrances particulières .

Actes d'une extrême gravité

La première euthanasie aurait eu lieu en avril, la dernière le 3 août sur une patiente de 92 ans. C'est cette mort qui a particulièrement paru suspecte aux soignants du service des urgences, la patiente décédant juste après l'entrée du médecin dans sa chambre muni d'une seringue. Alerté par un cadre de santé, lui-même informé des agissements du médecin par des infirmières et des aides-soignantes de l'unité, la direction du centre hospitalier a saisi la justice le 9 août. Interpellé le lendemain par les enquêteurs de la police, le docteur Bonnemaison a reconnu les faits et a été remis en liberté sous contrôle judiciaire. Le parquet a fait appel de cette décision. Pour le procureur-adjoint de Bayonne, nous sommes en effet en présence d' actes d'une extrême gravité et totalement prohibés par la loi (...) Compte tenu du trouble majeur à l'ordre public suscité par cette affaire, nous avons demandé que ce médecin soit placé sous mandat de dépôt . La cour d'appel de Pau doit se prononcer le 6 septembre.

Pour l'avocat du docteur Bonnemaison et une partie du lobby de l'euthanasie à sa suite, il est cependant honteux de faire peser sur les épaules de ce médecin le risque d'une peine de réclusion criminelle à perpétuité en le poursuivant pour  empoisonnement sur personnes vulnérables. Maître Arnaud Dupin estime en effet qu'il est absurde de parler dans cette affaire d' assassinat , la Justice devant au contraire reconnaître la légitimité d'actes médicaux visant à abréger les souffrances de personnes en fin de vie par compassion et humanité[3]. Le docteur Régis Aubry (CHU de Besançon), président de l'Observatoire national de la fin de vie, estime quant à lui que les actes perpétrés par l'urgentiste ne relèvent pas de l'euthanasie car  le fait de donner la mort à quelqu'un qui ne le demande pas ne saurait s'apparenter à une euthanasie, y compris dans les pays ont légalisé cette pratique [4].

L'euthanasie légale renforce l'euthanasie clandestine

Essayons d'y voir plus clair. Bien que partant de points de vue radicalement opposés, les deux hommes font une confusion sur le sens du concept d'euthanasie, tant sur le plan moral que juridique.

Au regard de l'éthique médicale, l'euthanasie est en effet communément définie comme l'acte ou l'omission pratiquée par un médecin (ou tout autre tiers) dans le but de supprimer la vie d'un malade, que celui-ci en ait préalablement fait ou non la demande. S'il est vrai que l'euthanasie et le suicide médicalement assisté autorisés par les lois belge et néerlandaise reposent théoriquement sur le consentement du malade, ces mêmes pays qualifient aussi d'euthanasies tous les actes perpétrés en dehors du respect de la volonté du patient. Il n'y a donc pas lieu d'opérer de différences entre les deux types de pratiques, volontaire ou non.

Il semble d'ailleurs que les médecins belges et hollandais s'affranchissent de plus en plus du recueil de l'avis du malade qui n'est finalement qu'un critère procédural parmi d'autres. Une récente étude rapportée par le Collectif Plus Digne la Vie et parue dans une revue médicale canadienne a montré que sur un échantillon de 208 personnes décédées en Belgique à la suite d'une injection létale, 32% d'entre elles n'avaient pas explicitement exprimé le souhait d'être euthanasiées. Par ailleurs, les Pays-Bas ont reconnu publiquement que le taux d'euthanasies non déclarées en raison d'un non respect de la volonté du malade était d'au moins 20%[5].

Il nous semble donc faux de vouloir artificiellement séparer des actes en fonction de l'existence d'une demande ou non du malade alors que les Etats concernés ne font pas eux-mêmes le distinguo. A partir du moment où il y a intention d'abréger la vie d'un patient, il y a euthanasie, que celle-ci s'appuie sur l'avis du malade ou pas. A dire vrai, il n'est paradoxal qu'en apparence que l'euthanasie  librement consentie  s'accompagne d'une progression concomitante des cas d'euthanasies  hors-la-loi . En effet, une fois que la société décide de légitimer l'euthanasie d'un malade qui en fait la demande, les médecins et les familles en vienne à juger finalement qu'il en est mieux ainsi pour tout malade placé dans les mêmes conditions, même si ce dernier ne donne pas son accord. Pourquoi faire passer de vie à trépas un patient atteint d'un cancer en phase terminale qui le réclame et pas un autre patient qui se trouve dans la même situation mais qui n'en aurait pas émis le souhait ? Tout se déroule donc comme si la loi, en augmentant la permissivité et la tolérance envers l'aide médicale à mourir entamait la détermination des soignants et des familles qui en viennent à traiter la mort comme une simple option en fonction de la qualité de vie du malade, que celui-ci soit ou non consentant. Parce que les mêmes causes produisent les mêmes effets, on peut être certain que légaliser l'euthanasie en France reviendrait comme chez nos voisins à rabaisser le niveau des exigences soignantes et éthiques des professionnels de santé et rendre à terme favorables toutes les conditions pour que se produisent d'autres affaires Bonnemaison... Car jusqu'à preuve du contraire, rien n'indique pour l'heure que ce qui s'est passé à Bayonne soit monnaie courante dans notre pays. La piste  de la  faille psychologique  semble d'ailleurs de plus en plus ouvertement évoquée pour tenter d'expliquer un geste par ailleurs inexcusable.

Sur le plan pénal il y a homicide même si la victime consent

Sur le plan strictement pénal, l'erreur d'interprétation de Me Dupin est troublante. Celui-ci ne peut ignorer que lorsque l'intention de procurer la mort à autrui est établie, l'acte euthanasique est un meurtre et, en cas de préméditation, un assassinat. A défaut d'une telle intention, l'acte ayant conduit au décès d'autrui peut être poursuivi comme  violence ayant entraîné la mort sans intention de la donner . Dans le cas présent, le docteur Bonnemaison a non seulement reconnu les faits qui lui sont reprochés mais affirmé aux officiers de la police judiciaire qu'il ne regrettait pas son geste.

 Une règle constante en droit pénal postule l'indifférence, sur le terrain de la qualification et de la responsabilité pénale, du consentement ou non de la victime de l'infraction [6]. Ce qui signifie que la demande d'un malade à être euthanasié ne constitue en aucun cas un fait justificatif à l'infraction. Qu'il y ait accord du malade ou pas, une euthanasie demeure une euthanasie. De même, les mobiles du médecin l'ayant conduit à perpétrer l'homicide sont totalement indifférents à la qualification pénale. Que l'auteur du crime ait tué par compassion ou pour soulager la douleur, l'acte d'euthanasie reste qualifié en tant que tel. En fait, le consentement du malade ou les motivations de l'auteur seront examinés lors de l'instruction et des débats en audience, non pas sous l'angle de la culpabilité mais sous celui de la sanction. De même que la personnalité du médecin, jugée ici comme fragile, ses antécédents avérés de  dépression  ou l'état d'épuisement professionnel dans lequel il se trouvait éventuellement au moment des faits, pourront constituer des  circonstances atténuantes  pour définir précisément le verdict de la sanction pénale, en aucun cas pour le disculper.

Dans le cadre de notre affaire, le médecin est poursuivi à juste titre pour  empoisonnement , le nouveau code pénal de 1994 disposant que  le fait d'attenter à la vie d'autrui par l'emploi ou l'administration de substances de nature à entraîner la mort constitue un empoisonnement . La peine encourue est de trente ans de réclusion. Mais parce qu'il existe ici des circonstances aggravantes tenant à la qualité de la victime, celle-ci étant dite  vulnérable  lorsqu'elle est malade et/ou âgée, le docteur Bonnemaison risque la prison à perpétuité.

On se souvient que l'infirmière Christine Malèvre qui avait défrayé la chronique en 1998 pour avoir euthanasié 6 malades dont elle avait la responsabilité dans le service de pneumo-neurologie où elle exerçait avait été condamnée le 15 octobre 2003 à 12 ans de réclusion criminelle assortie de l'interdiction à vie d'exercer sa profession. Elle aussi avait été au début de l'affaire l'égérie du lobby de l'euthanasie avant que celui-ci ne se rétracte devant l'ampleur des faits qui lui étaient reprochés.

Au vu des éléments que nous venons de relater brièvement, il apparaît que le cas du docteur Bonnemaison apparaisse comme particulièrement condamnable et pourrait à terme se retourner contre tout ce que la France compte d'officines pro-euthanasie. Il n'est pas étonnant non plus que plusieurs sociétés savantes se soient désolidarisées de leur confrère, chose pourtant rarissime. Même l'Association des Médecins Urgentistes de France et Samu Urgences de France, par les voix de leurs présidents respectifs, les docteurs Patrick Pelloux et Marc Giroud, ont pris leur distance en n'hésitant pas à parler d'un  événement d'une particulière gravité tout en adressant leurs condoléances aux familles concernées. La Société Française d'Accompagnement et de Soins Palliatifs  déplore cet événement , rappelant de son côté que la France dispose du  dispositif législatif le plus avancé au monde pour protéger les plus fragiles .

Les trois organisations professionnelles sont unanimes pour redire leur attachement à la loi Leonetti qui permet aujourd'hui de soulager et accompagner l'ensemble des malades en fin de vie sans qu'il ne soit besoin à aucun moment d'écourter leur vie.

 

A venir

  • Affaire de Bayonne (2/3) : la loi Leonetti autorise-t-elle l'euthanasie passive ?
  • Affaire de Bayonne (3/3) : déficience des soins palliatifs ?

 

 

[1] Emmanuel Hirsch,  Il y a trahison à la vocation du médecin de confondre l'acte de sollicitude avec le geste du meurtre , Collectif Plus Digne la Vie.

[2] Pierre-Olivier Arduin,  L'euthanasie récusée , La Nef, février 2011.

[3] Agnès Leclair,  Euthanasie : un médecin mis en examen , Le Figaro, 13 août 2011.

[4] Claire Legros,  Bayonne : le docteur Bonnemaison mis en examen pour euthanasie , La Vie, 12 août 2011.

[5] Jean Leonetti,  Rapport d'information Solidaires devant la fin de vie, n. 1287, tome 1, Assemblée nationale, décembre 2008, p. 135.

[6]  Euthanasie, soins et traitements de fin de vie , Dictionnaire permanent Bioéthique et biotechnologies, Editions Législatives, 2008, p. 865.

 

 

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